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Toutes les parties étant ainfi ordonnées vers un feul térme, marqué avec précifion, le poëte fait valoir tous les privileges de fon art, Quoique fon fujet foit tiré de l'hiftoire, il s'en rend le maître. Il ajoute: il retranche: il tranfpofe : il crée : il dresse les machines à fon gré: il prépare de loin des refforts fecrets, des forces mouvantes: il deffine d'après les idées de la belle nature les grandes parties: il détermine les caractères de fes perfonnail forme le labyrinthe de l'intrigue: il difpofe tous fes tableaux felon l'intérêt général de l'ouvrage; &, conduifant fon lecteur de merveilles en merveilles, il lui laiffe toujours appercevoir dans le lointain, une perfpective plus charmante, qui féduit fa curiofité, & l'entraîne malgré lui, jufqu'au dénouement & à la fin du poëme.

ges:

Il eft vrai que ni la fociété, ni l'hiftoire ne lui offrent point de tableaux fi parfaits & fi achevez. Mais il fuffit qu'elles lui en montrent les parties; & qu'il ait, lui, en foi, les principes qui doivent le guider dans la compofition du tout.

Le plan de toute l'action étant dreffé de la forte, il invoque la Mufe qui doit

l'infpirer auffitôt après cette invocation il devient un autre homme :

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fubito non vultus, non color unus;

Et rabie fera corda tument, majorque videri
Nec mortale fonans, afflatur numine quando

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Il est autant dans le ciel que fur la ter re: il paroît tout pénétré de l'efprit divin; fes difcours reffemblent moins au témoignage d'un hiftorien fcrupuleux, qu'à l'extafe d'un prophéte. Il appelle par leurs noms les chofes qui n'exiftent pas encore: hæc tum nomina erunt. Il voit plufieurs fiécles auparavant la mer Cafpienne qui frémit, & les fept embauchures du Nil qui fe troublent dans l'attente d'un héros.

Ce ton majestueux fe foutient. Tout s'annoblit dans fa bouche: les penfées, les expreffions, les tours, l'harmonie, tout eft rempli de hardieffe & de pompe. Ce n'est point le tonnerre qui gronde par intervale, qui éclate, & qui fe tait: c'eft un grand fleuve qui roule fes flots avec bruit, & qui étonne le voyageur qui l'entend de loin dans une vallée profonde.

En un mot c'est un dieu qui fait un rẻcit à des dieux.

XII.

Epopées d'Homere.

Dans des ouvrages auffi longs que des Epopées, pour peu qu'on ait l'efprit prévenu, on y trouve prefque toutes les qualitez qu'on veut y trouver.

Parmi ce grand nombre de chofes qu'ils contiennent, il y en a néceffairement de mauvaises, qu'on doit reprendre ; de médiocres, aufquelles on peut donner un tour mauvais; de bonnes mêmes, qu'on blâme, faute de fe mettre dans le point de vûe de l'auteur. Un amateur d'Ho

mere prouve que c'est le pere, le prince des poëtes, le feul poëte qui exifte. Selon Scaliger, Virgile l'emporte infiniment fur celui-ci. Selon les Italiens la Jerufalem du Taffe paffe de bien loin l'un & l'autre. M. Adiffon en commençant le panégyrique de Milton prend pour texte, Cedite Romani fcriptores, cedite Graii: » Ecri» vains Grecs & Romains foumettez-vous, "voici votre maître, & votre vainqueur.» Enfin il n'y a pas jusqu'à la Franciade de

Ronfard, & aux Hebdomades de DuBartas, qui n'aient été placées par des hommes célébres tout à côté, ou même au-deffus des modéles de l'antiquité.

Prétendre réduire par l'autorité, ou ramener par le raifonnement, ceux qui ont pris leur parti; c'eft ne pas connoître la conftitution de l'empire littéraire, & ignorer les droits abfolus & fouverains du goût, lequel regne prefque toujours en tyran, lors même qu'il eft juste.

S'il y a eu un Homere,

Y a-t-il eu un Homere? M. Perrault

eft prefque le feul qui ait ofé en faire un problême. Il ne faut que jetter les yeux fur l'Iliade pour voir que cet ouvrage eft un. C'eft par-tout le même but, le même style, le même génie, & par conféquent il n'y a qu'un feul homme qui ait pu en être l'auteur. Que ce foit Homere ou un autre, peu importe à qui ne veut pas difputer des mots.

Qui étoit Homere.

Sept villes confidérables se font difputé la gloire d'avoir donné le jour à

Homere; Smyrne, Rhode, Colophone, Salamine, Sio, Argos, Athenes.

Selon Herodote, il étoit fils d'une certaine Critheïs, & vint au monde fur les bords du fleuve Melés, d'où il fut furnommé Melefigène. Il eut pendant fa vie le fort de plufieurs grands hommes. Il fut expofé aux injures de la fortune. A peine avoit-il un lieu pour fe retirer; & après fa mort il eut des temples: Nunc non cinis ille beatus? On admire les qualitez de fon cœur, qu'il a peintes dans fes ouvrages: la droiture, la fimplicité, & l'élévation des fentimens, & fur-tout une modestie dont il a laiffé l'exemple à tous les poëtes; mais dont ils approchent ordinairement auffi peu que de fes ouvrages.

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Caractère d'Homere.

Quintilien, un des plus fages critiques de l'antiquité, le trace en peu de mots: il a réuni toutes les parties, le fublime, grave, le gracieux, le riant; il eft éten du, ferré, admirable par fon abondance & par fa brièveté: Hunc nemo in magnis Sublimitate, in parvis proprietate fuperaverit; idem latus ac preffus, jucundus & gravis, tum copia tum brevitate mirabilis.

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