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· DU CARDINAL DE RETZ,

ÉCRITS PAR LUI-MÊME,

A MADAME DE

LIVRE V.

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Je ne demeurai que quatre heures à Piombino, j'en sortis aussitôt que j'eus dîné, et je pris la route de Florence. Je trouvai, à trois ou quatre lieues de Volterre, un signor Annibal (je ne me ressouviens pas du nom de cette maison ). Il était gentilhomme de la chambre du Grand-Duc, et il venait de sa part, sur l'avis que le gouverneur de Porto-Ferrare lui avait donné de me faire complimenter, et me prier d'agréer de faire une légère quarantaine avant que d'entrer plus avant dans le pays.

Il était un peu brouillé avec les Génois, et il appréhendait que, sous le prétexte de communi cation avec des gens qui venaient de la côte Es

4.

I

BLIC

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pagne, suspecte de contagion, ils n'interdissent
le commerce de la Toscane. Le signor Annibal
me mena dans une maison qui est sous Volterre,
qui s'appelle l'Hospitalita, et qui est bâtie sur le
champ de bataille où Catilina fut tué. Elle était
autrefois au grand Laurent de Médicis, et elle est
tombée par alliance dans la maison de Corsini.
J'y demeurai neuf jours, et j'y fus toujours servi
magnifiquement par les officiers du Grand-Duc.
L'abbé Charier, qui, sur le premier avis de mon
arrivée, était allé à Porto-Ferrare, était venu
de Florence, en poste, m'y trouver; et le bailli
de Gondi vint m'y prendre avec les carrosses du
Grand-Duc, pour me mener coucher à Camo-
gliane, belle et superbe maison qui est au mar-
quis Nicolini, son proche parent. J'en partis le
lendemain au matin, d'assez bonne heure, pour
aller coucher à Lambrosiano, qui est un lieu de
chasse où le Grand-Duc était depuis quelques,
jours. Il me fit l'honneur de venir au-devant de
moi à une lieue de là, jusqu'à Empoli, qui est une
assez jolie ville; et le premier mot qu'il me dit,
après le premier compliment, fut que je n'avais
pas trouvé en Espagne les Espagnols de Charles-
Quint. Comme il m'eut mené dans mon appar-
tement & Lambrosiano, et que je me vis dans ma
propre chambre, dans un fauteuil au-dessus de

..

lui, je lui demandai si je jouais bien la comédie. Il ne m'entendit pas d'abord; mais comme il eut connu que je voulais lui marquer par-là que je ne me méconnaissais point moi-même, et que je ne prenais point la main sur lui sans y faire au moins la réflexion que je devais, il me dit: Vous êtes le premier cardinal qui m'ait parlé ainsi ; vous êtes aussi le premier pour qui je fasse ce que je fais sans peine. Je demeurai trois jours avec lui à Lambrosiano, et le second, il entrà dans ma chambre tout ému, en me disant : Je vous apporte une lettre du duc d'Arcos, vice-roi de Naples, qui vous fera voir l'état où est le royaume de Naples. Cette lettre portait que M. de Guise y était descendu; qu'il y avait eu un grand combat auprès de la Tour des Grecs; qu'il espérait que les Français ne feraient point de progrès; qu'au moins les gens de guerre le lui faisaient espérer ainsi; car, comme, disait le vice-roi, lo non soi soldato, je suis obligé de m'en rappor ter à eux. La confession, comme vous voyez, est assez plaisante pour un vice-roi. Le Grand-Duc me fit beaucoup d'offres, quoique le cardinal Mazarin l'eût fait menacer, de la part du Roi même, de rupture, s'il me donnait passage par ses états. Rien ne pouvait être plus ridiculę, et lo Grand-Duc lui répondit par son résident, qui mé

l'a confirmé depuis, qu'il le priait de lui donner une invention de faire agréer au Pape et au sacré college le refus qu'il m'en pourrait faire. Je ne pris de toutes les offres du Grand-Duc que quatre mille écus que je me crus nécessaires, parce que l'abbé Charier m'avait dit qu'il n'y avait encore aucune lettre de change pour moi à Rome. J'en fis ma promesse, et je les dois encore au GrandDuc, qui a trouvé bon que je le misse le dernier dans le catalogue de mes créanciers, comme celui qui est assurément le moins pressé de son rem→ boursement.

J'allai de Lambrosiano à Florence, où je demeurai deux jours avec le cardinal Jean-Charles de Médicis et M. le prince Léopold, son frère qui a aussi depuis été cardinal. Ils me donnèrent une litière du Grand-Duc, qui me porta jusqu'à Sienne où je trouvai M. le prince Mathias qui en était gouverneur. Il ne se peut rien ajouter aux honnêtetés que je reçus de cette maison, qui a véritablement hérité du titre de magnifique, que quelques-uns d'eux ont porté et que tous ont mérité. Je continuai mon chemin dans lears litières et avec leurs officiers; et comme les pluies furent excessives en Italie, je faillis à me noyer auprès de Ponte-Cantine, dans un torrent, dans Téquelin coup de tonnerre, qui effraya mes mu

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