Images de page
PDF
ePub

moire sont les images de choses qui sont réellement arrivées; tout comme il faut prouver que les idées sensibles sont les images d'objets extérieurs qui existent actuellement. Or, c'est une preuve également impossible à faire dans les deux cas; en sorte que l'hypothèse des idées n'anéantit pas moins les objets de la mémoire que ceux des sens, et qu'elle les enveloppe dans le même scepticisme absolu.

Il ne paraît pas que ni Locke ni Berkeley aient aperçu cette seconde conséquence de leur système; mais elle ne pouvait échapper à la pénétration de Hume; elle entrait naturellement dans son plan de scepticisme universel. Aussi sa doctrine est-elle mieux liée, et son système plus conséquent et plus homogène que celui de ses prédécesseurs.

Nous accorderons à Hume que les idées de la mémoire ne sont point une raison de croire à l'existence passée des choses dont nous nous souvenons; mais nous lui demanderons pourquoi la perception et la mémoire sont accompagnées de croyance, tandis que la simple conception ne l'est pas? Bien que cette croyance ne soit qu'une illusion dans son système, il faut pourtant l'expliquer; car elle est un phénomène de la nature humaine.

C'est ce que Hume a fait en donnant une théorie nouvelle de la croyance qui s'accorde parfaitement avec la théorie des idées dont elle semble découler, et qui a l'avantage en même temps de concilier tout ce qu'il y a de croyances dans l'esprit humain avec le plus parfait, scep

ticisme.

Qu'est-ce donc que la croyance selon Hume? La croyance doit être ou une idée ou la modification d'une idée. Nous concevons beaucoup de choses sans être persuadés qu'elles existent, et soit que la persuasion s'ajoute à la concep

tion, soit qu'elle ne s'y ajoute pas, la conception de la chose reste la même; la croyance n'y met aucune idée nouvelle. La croyance n'est donc qu'une modification de l'idée que nous avons déjà, ou une manière différente de concevoir la chose crue. Mais écoutons Hume lui-même:

<< Toutes les perceptions de l'esprit sont de deux sor «tes, les impressions et les idées, qui ne diffèrent les << unes des autres que par leurs divers degrés de force et « de vivacité. Les idées sont des copies des impressions, << et les représentent de tout point. Voulez-vous varier l'i« dée d'un objet particulier, vous ne le pouvez, qu'en lui <«< donnant plus de force, ou en diminuant celle qu'elle a: << tout autre changement altérerait sa nature, et lui fe«<rait représenter un objet ou une impression différente, << Il en est des idées comme des couleurs; celles-ci peuvent « s'affaiblir, ou acquérir plus d'éclat et de vivacité; mais «< si vous produisez en elles quelque autre variation, elles. << cessent à l'instant d'être les mêmes. Puis donc que la «< croyance n'est qu'une manière particulière de concevoir « un objet, il s'ensuit qu'elle n'est qu'un degré de plus <«< dans la vivacité de l'idée. On peut donc définir très<< exactement l'opinion ou la croyance, une idée vive <«< associée à une impression présente. »

Cette théorie de la croyance est très-fertile en conséquences, que Hume poursuit avec sa sagacité ordinaire, et fait tourner au profit de son système. Aussi bien, est-elle la base principale sur laquelle il repose, et elle suffit pour prouver ce qu'il appelle son hypothèse: «< que la «< croyance est plutôt un acte de la partie sensitive que de << la partie intellectuelle de notre nature. »

Il est difficile d'examiner une telle doctrine aussi sérieusement qu'elle est proposée. Elle rappelle l'ingénieuse explication que Martinus Scriblerus a donnée de la puis

sauce du syllogisme, quand il a dit que la majeure était le mâle, la mineure la femelle, et que ces deux êtres, étant unis par le moyen terme, engendrent la conclusion. A coup sûr l'esprit humain ne s'est jamais égaré davantage qu'en s'étudiant lui-même; et cependant je suis convaincu qu'il n'est arrivé à aucun philosophe de soutenir une plus grande absurdité que cette théorie de la croyance et des caractères qui distinguent l'une de l'autre, la perception, l'imagination et la mémoire,

L'assentiment que nous donnons à une proposition est une opération de l'esprit dont nous avons conscience, et que nous connaissons parfaitement, bien que sa simplicité ne permette pas de la définir. En comparant cette opération avec la force, la vivacité, ou toute autre modification de nos idées, non seulement elle nous paraît en différer, mais nous ne pouvons lui trouver aucune ressemblance avec elle.

[ocr errors]

Qu'une forte croyance et une croyance faible different en degrés, cela se comprend aisément; mais comment comprendre qu'il n'y ait qu'une différence de degrés entre croire et ne pas croire? N'est-ce pas dire en d'autres termes qu'il n'y a qu'une différence de degrés entre quelque chose et rien, ou, ce qui revient au même, que rien est un degré de quelque chose?

A toute proposition susceptible de devenir l'objet d'une croyance, correspond une proposition contraire susceptible de devenir l'objet d'une croyance opposée. Selon Hume, c'est la même idée plus ou moins vive. Ainsi les contraires ne diffèrent qu'en degrés; ainsi le plaisir est un degré de la douleur, la haine un degré de l'amour. Mais à quoi bon signaler les absurdités qui découlent d'une pareille doctrine? la plus forte de toutes est la doctrine elle-même.

voir un

Il n'est personne qui ne sache ce que c'est que objet, ce que c'est que se souvenir d'un événement passé, ce que c'est que concevoir une chose qui n'existe pas. Il nous est aussi évident que ces opérations sont de nature différente, qu'il nous est évident qu'une saveur diffère essentiellement d'une couleur, et l'une et l'autre d'un son. Le jour viendra peut-être où nous croirons que la perception, l'imagination et la mémoire ne sont que des nuances d'une même opération; mais ce jour-là nous croirons aussi que la saveur, la couleur et le son, ne sont que des degrés différents d'une même sensation.

Dans le troisième volume de son Traité de la nature humaine, Hume s'est aperçu que sa théorie de la croyance prêtait à de fortes objections; il a cherché à la rectifier; mais il n'est pas aisé de déterminer la nature de cette rectification. Il semble persister à croire que la croyance n'est qu'une modification de l'idée : seulement le mot vivacité n'est plus à ses yeux une expression convenable pour l'exprimer; il met à la place des équivalens, et dit : «< que nous saisissons plus fortement l'idée <«< dont nous sommes convaincus et que nous avons sur << elle une prise plus ferme et plus entière. »

Certes, il est méritoire à un philosophe de reconnaître et de rétracter ses erreurs; mais c'est une gloire à laquelle Hume ne me paraît avoir ici que des titres bien légers. Quelle différence y a-t-il entre saisir une idée plus fortement, avoir sur elle une prise plus forte, et avoir cette même idée à un degré supérieur de force et de vivacité ? Je ne vois pas même que l'expression nouvelle soit plus propre que l'ancienne. Quelle que soit la modification de l'idée dont il fasse la croyance, que ce soit sa force, sa vivacité, ou une modification sans nom, il suffit qu'il suppose que la perception, la mémoire et

l'imagination, ne sont que les degrés successifs de cette modification, pour que sa doctrine soit passible de toutes les absurdités que j'ai signalées.

Avant de quitter le sujet de la mémoire, je dois faire connaître la distinction qu'a faite Aristote entre la mémoire proprement dite, et ce qu'il appelle réminiscence, parce que cette distinction, que notre langue ne consacre pas, est cependant fondée sur les faits.

La mémoire n'agit pas toujours; elle ne place pas sans cesse sous nos yeux les souvenirs qu'elle conserve: elle nous les présente seulement quand l'occasion l'exige. Si elle le fait spontanément et sans effort, toutes les fois que nous en avons besoin, la mémoire est parfaite. Elle l'est moins lorsque le souvenir, après avoir sommeillé plus ou moins long-temps dans les circonstances mêmes qui devaient le rappeler, renaît cependant de lui-même, sous l'influence de quelque circonstance nouvelle. Elle l'est moins encore lorsque le souvenir nous fuit, qu'il nous faut le poursuivre péniblement, et que nous ne l'atteignons enfin qu'avec effort. C'est ce dernier degré de la mémoire qu'Aristote a distingué par le nom de réminiscence, de la mémoire proprement dite.

La réminiscence renferme donc la volonté de se rappeler et un effort, pour y parvenir. Mais ici se présente une difficulté. Nous ne pouvons vouloir nous souvenir qu'à cette condition que nous concevrons la chose oubliée; car pour vouloir, il faut concevoir ce que l'on veut. La volonté de nous souvenir d'une chose semble donc impliquer que nous nous en souvenons déjà, et que, par conséquent, nous n'avons auçun besoin de la rappeler. Mais cette objection n'est point suffisante. Pour vouloir se souvenir d'une chose, il faut, à la vérité, s'être souvenu auparavant de quelque chose qui s'y rapporte,

« PrécédentContinuer »