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duites sur les organes les nerfs et le cerveau, nous éprouvons certaines sensations, nous concevons certains objets, et croyons que ces objets existent; mais la nature accomplit cette suite d'opérations dans les ténèbres. Nous ne pouvons découvrir ni la cause d'aucune de ces opérations, ni la connexion qui les unit; nous ne savons pas même si elles sont unies par une dépendance nécessaire, ou seulement associées dans notre constitution par la volonté du Créateur.

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Il paraît absurde qu'une impression quelconque sur un corps soit la cause efficiente de la sensation : entre la sensation et le double fait de la conception et de la croyance des objets extérieurs, nous n'apercevons aucune connexion nécessaire. Il semble que nous aurions pu toutes les sensations que nous avons sans les impressions organiques qui les précèdent, et les conceptions qui les suivent. On ne voit pas pourquoi nous n'aurions pu percevoir les objets extérieurs, sans impressions sur nos organes, et sans les sensations qui dans notre constitution actuelle se mêlent invariablement à ce fait.

Il n'est pas plus facile d'expliquer la croyance qui se joint à la conception et qui est aussi l'ouvrage de nos

sens.

Les mots croyance, assentiment, conviction, sont inaccessibles à la définition logique, parce que l'opération de l'esprit qu'ils expriment, est parfaitement simple et sui generis; ils n'en ont pas besoin, parce qu'ils sont de la langue commune et clairs pour tout le monde.

La croyance a nécessairement un objet; car on ne croit pas sans croire quelque chose, et ce qu'on croit est l'objet de la croyance. On a toujours une conception quelconque, claire ou obscure, de cet objet; car si l'on peut concevoir très clairement une chose sans croire à son

existence, on ne saurait rien croire sans le concevoir.

La croyance est toujours exprimée dans le langage par une proposition affirmative ou négative; cette double forme est dans toutes les langues consacrée à cet usage. Il n'y aurait sans croyance, ni affirmation, ni négation dans la pensée, ni manière dans la langue d'exprimer ces deux faits. La croyance admet tous les degrés, depuis le soupçon le plus léger jusqu'à la conviction la plus complète. Tout cela est si évident, pour quiconque réfléchit, que ce serait abuser de la patience du lecteur de le développer davantage.

Il est peu d'opérations de l'esprit dont nous ne trouvions que la croyance forme un élément, quand nous les analysons avec soin. Un homme ne peut avoir conscience de ses propres pensées, sans croire qu'il pense; il ne peut percevoir un objet, sans croire que cet objet existe; il ne peut se souvenir distinctement d'un événement, sans croire que l'événement a réellement existé. La croyance est donc un élément de la conscience, de la perception et du souvenir.

La croyance n'entre pas seulement comme élément dans la plupart de nos opérations intellectuelles, mais encore dans beaucoup des principes actifs de notre esprit. La joie, la tristesse, l'espérance, la crainte, impliquent la croyance d'un bien ou d'un mal, présent ou futur; l'estime, la reconnaissance, la pitié, la colère, impliquent la croyance de certaines qualités, dans l'objet de ces sentiments; toute action faite dans un but suppose dans l'agent la conviction qu'elle tend à ce but. La croyance joue un rôle si important dans nos opérations intellectuelles, dans les principes de notre activité, et dans nos actions elles-mêmes, que si la foi dans les choses divines est considérée comme le mobile principal de la

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vie d'un chrétien, on peut dire que la croyance en général est le mobile principal de la vie d'un homme.

Sans doute les hommes croient souvent ce qu'ils n'ont aucune raison suffisante de croire, et sont entraînés, parlà, dans des erreurs funestes; mais à moins d'être complétement sceptique, on ne peut nier non plus qu'il n'existe de légitimes raisons de croire.

Nous donnons le nom d'évidence à toute raison légitime de croire. Croire sans évidence est une faiblesse à laquelle tout homme est intéressé d'échapper, et que chacun désire éviter. Quand l'évidence disparaît, ou qu'on cesse de l'apercevoir, il n'est pas en notre pouvoir de continuer de croire un seul moment.

Il est plus aisé de sentir que de décrire en quoi consiste l'évidence; elle gouverne ceux-mêmes qui n'ont jamais réfléchi sur sa nature. Les logiciens tâchent de l'expliquer et de distinguer ses espèces diverses et ses différents degrés; mais tout homme de bon sens la saisit et l'apprécie avec justesse, quand elle est placée devant ses yeux, et qu'il est libre de préjugé. De même qu'on peut avoir de bons yeux sans connaître la théorie de la vision, de même on peut être doué d'un excellent jugement sans avoir réfléchi sur les caractères abstraits de l'évidence.

Les circonstances de la vie commune nous conduisent à distinguer différents genres d'évidence, que nous désignons par des termes universellement compris. Telles sont l'évidence des sens, l'évidence de la mémoire, l'évidence de la conscience, l'évidence du témoignage des hommes, l'évidence des axiomes, l'évidence du raisonnement. Tous les hommes de bon sens conviennent que ces différents genres d'évidence peuvent offrir de justes motifs de croire; et les circonstances, qui les fortifient ou les affaiblissent, sont généralement connues.

Les philosophes ont soumis à l'analyse ces genres d'évidence, pour tâcher de découvrir en eux une nature commune à laquelle ils pussent les ramener. Telle était la prétention des Scholastiques dans leurs ténébreuses disputes sur le criterium de la vérité. Descartes plaça ce criterium dans la clarté de la perception, et posa ce principe célèbre, que tout ce que nous apercevons clairement et distinctement être vrai, l'est en effet la difficulté est de savoir ce qu'il entend par une perception claire et distincte. Locke le plaça à son tour dans la ception de la convenance ou de la disconvenance de nos idées, laquelle perception est immédiate dans la connaissance intuitive, et se produit par l'entremise d'autres idées dans le raisonnement 2.

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Je me forme, ce me semble, une idée distincte des différents genres d'évidence que j'ai énumérés, et peut-être de quelques autres encore qu'il n'est pas nécessaire de désigner ici; et cependant, j'avoue que je suis incapable de découvrir en eux une nature commune à laquelle on puisse les ramener. Le seul caractère commun qu'ils me paraissent présenter, c'est qu'ils nous déterminent à croire, les uns de cette croyance ferme qu'on appelle certitude, les autres d'une persuasion moins achevée et qui varie selon les circonstances.

Pour nous en convaincre, prenons l'évidence qui résulte du témoignage des sens; prenons-la lorsque ce témoignage est revêtu des circonstances qui établissent son autorité, et voyons, en la rapprochant de chacune des espèces d'évidence que nous avons citées plus haut, s'il est possible de la ramener à l'une d'entre elles, ou si elle est d'une nature spéciale et irréductible.

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1° Elle me semble d'abord tout-à-fait différente de l'évidence du raisonnement. On a coutume d'appeler toute évidence suffisante, évidence raisonnable, et en effet toute évidence suffisante est de nature à déterminer une créature raisonnable à croire. A ce titre sans doute l'évidence des sens n'est pas moins raisonnable que celle qui résulte d'une démonstration. Si la nature nous instruit par d'autres moyens que le raisonnement, la raison elle-même nous apprend à recevoir cette instruction avec gratitude, et à en faire le meilleur usage possible.

Mais l'évidence raisonnable n'est point cette espèce particulière d'évidence qu'on appelle évidence du raisonnement. Par évidence du raisonnement, nous entendons cette évidence que reçoit une proposition, lorsqu'elle est déduite par le raisonnement d'une ou de plusieurs autres propositions déjà reconnues et admises. Ainsi l'évidence de la cinquième proposition d'Euclide consiste en ce qu'elle est la conséquence nécessaire des axiomes et des propositions précédentes. Il y a dans tout raisonnement des prémisses et une conséquence, et les prémisses sont la raison d'admettre la conséquence..

Il n'est pas besoin de prouver que l'évidence produite par le témoignage des sens, n'est pas du même genre. Nous ne cherchons point de raison de croire à la réalité de ce que nous voyons et de ce que nous touchons; et si nous en cherchions, nous n'en trouverions point. Cependant, notre croyance est aussi ferme que si elle était appuyée sur la démonstration.

Des philosophes distingués, supposant qu'il n'est pas raisonnable de croire sans raison, ont cherché à en découvrir qui justifiassent la confiance que nous accordons au témoignage de nos sens; mais, loin d'être suffisantes,

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