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me joïe, & nous avons loüé Dieu de ce qu'il a gueAN. 1539. ri votre alteffe d'une dangereufe maladie, & nous

le prions qu'il la veüille long-temps conferver, dans l'ufage parfait de la fanté qu'il vient de lui rendre. Elle n'ignore pas combien notre église eft pauvre, miserable, abandonnée & petite de princes regens & vertueux qui la protegent ; & nous ne doutons point que Dieu ne nous en laiffe toûjours quelques-uns, quoiqu'il ménace de temps en temps de F'en priver, & qu'il la mette à l'épreuve par diffe

rentes tentations.

pas

Voici donc ce qu'il y a d'important dans la queftion que Bucer nous a propofée. Votre altesse comprend affez d'elle même la difference qu'il y a d'établir une loi univerfelle, & d'ufer de dispense en un cas particulier pour de preffantes raisons, & avec la permiffion de Dieu : car il eft d'ailleurs évident que les difpenfes n'ont point de lieu contre la premiere des loix qui eft la divine. Nous ne pouvons confeiller maintenant que l'on introduife en public, & que l'on établisse comme par une loi dans le nouveau teftament, celle de l'ancien qui permettoit d'avoir plus d'une femme, votre alteffe fçait que fi l'on faifoit imprimer tout ce que l'on pense fur une matiere fi délicate, on le prendroit pour un précepte, d'ou il arriveroit une infinité de troubles & de fcandales. Nous prions votre altesse de confiderer les dangers où feroit exposé un homme convaincu d'avoir introduit en Allemagne une semblable loi, qui diviferoit les familles & les engagerait en des procès éternels.

Quant à l'objection que l'on fait, que ce qui est

&

jufte devant Dieu, doit être absolument permis,
on y
doit répondre en cette maniere. Si ce qui eft
équitable aux yeux de Dieu, eft d'ailleurs comman-
dé & neceffaire, l'objection eft veritable; s'il n'eft
ni commandé ni neceffaire, il faut encore avant
que de le permettre avoir égard à d'autres circon--
ftances, & pour venir à la queftion dont il s'agit:
Dieu a inftitué le mariage pour être une focicté de
deux personnes, & non pas de plus, fuppofé que
la nature ne fut pas corrompue, & c'est là le fens
du paffage de la Genele, ils feront deux en une
ne feule
chair. C'est ce qu'on obferva au commencement.
Lamech fut le premier qui époufa plufieurs fem-
mes, & l'écriture remarque que cet usage fut in-
troduit contre la premier regle. Il pafla néan-
'moins en coûtume dans les nations infideles,
l'on trouve même depuis qu'Abraham & sa postc-
rité eurent plufieurs femmes. Il eft encore constant
par le Deuteronome, que la loi de Moïfe le permit
enfuite, & que Dieu eut en ce point de la condef-
cendance pour la foibleffe de la nature. Puifqu'il
eft donc conforme à la création des hommes & au
premier établiffement de leur focieté, que chacun
d'eux fe contente d'une feule femme, il s'enfuit que
la loi qui l'ordonne eft loüable; qu'elle doit être
reçûe dans l'églife, & que l'on n'y doit point intro
duire une loi oppofée, parce que Jesus-Chrift à
repeté dans le dix-neuviéme chapitre de faint Ma-
thieu le passage de la Genese : Ils feront deux en
une feule chair; & y rappelle dans la memoire des
chrétiens, quel avoit dû être le mariage, avant
qu'il eut dégeneré de fa pureté. Ce qui n'empêche

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AN. 1539.

pourtant pas qu'il n'y ait lieu de dispense en certaines occafions. Par exemple,fi un homme marié détenu captif en païs éloigné, y prenoit une seconde femme pour conferver ou recouvrer la santé, ou que la fienne devînt léprcuse, nous ne voïons pas qu'en ce cas on put condamner le fidele qui épouferoit une autre femme par le confeil de fon pafteur, pourvû que ce ne fut pas à deffein d'introduire une loi nouvelle, mais feulement pour fatisfaire à son befoin.

Puifque ce font donc deux chofes toutes differentes, d'introduire une loi nouvelle, & d'ufer de dispense à l'égard de la même loi, nous fupplions votre alteffe de faire reflexion fur ce qui fuit. 1°. Il faut prendre garde avant toutes chofes que la pluralité des femmes ne s'introduife point dans le monde en forme de loi que tout le monde puisse suivre, quand il en aura le defir ou le caprice. 2o. Il faut que votre alteffe ait égard à l'effroïable scandale qui ne manquera pas d'arriver, fi elle donne occafion aux ennemis de l'évangile de s'écrier que nous ressemblons aux Anabaptiftes, qui font un jeu du mariage, & aux Turcs qui prennent autant de femmes qu'ils en peuvent nourrir. 3°. Que les actions des princes font plus en vûe & par confequent plus expofées à l'imitation, que celles des particuliers. 4°. Que les inferieurs ne font pas plûtôt informez que les fuperieurs fe font émancipez en quoi que ce foit, qu'ils s'imaginent qu'il leur eft permis d'en faire autant, & que c'est par-là que la licence devient fi generale. 5°. Que les états de votre altesse sont remplis d'un grand nombre

de gentilshommes d'une humeur farouche; qu'il n'y a là comme presque partout ailleurs dans l'Al- AN. 1539. lemagne, que les perfonnes nobles qui puiffent poffeder les benefices des églifes cathedrales ; que ces benefices font de très-grand revenu; que ceux qui les tiennent ont beaucoup d'averfion pour la pureté de l'évangile qu'ils jugent leur être contraire; nous fçavons les impertinens difcours que les plus illuftres d'entr'eux ont tenu; & il eft aifé de juger quelle feroit la difpofition de votre noblesse & de vos autres fujets, fi votre alteffe introduifoit une femblable nouveauté. 6o. Votre alteffe par une grace particuliere de Dieu, cft en grande réputation dans l'empire & dans les païs étrangers; & il est à craindre que l'on ne diminue beaucoup de l'eftime & du refpect qu'on a pour elle, fi elle execute le projet d'un double mariage. La multitude des fcandales qui font ici à craindre, nous oblige à conjurer votre alteffe d'examiner la chofe avec toute la maturité de jugement que Dieu lui a donné.

Ce n'eft pas auffi avec moins d'ardeur que nous la conjurons d'éviter en toute maniere la fornication & l'adultere ; & pour avoüer fincerement la verité, nous avons eû long-temps un regret fenfible de voir votre alteffe abandonnée à de telles impuretez, qui pouvoient être fuivies des effets de la vengeance divine, de maladies & de beaucoup d'autres inconveniens; nous prions encore votre alteffe de ne pas croire que l'ufage des femmes hors le mariage, foit un peché leger & méprifable comme le monde fe le figure; puifque Dieu a fou

vent châtié l'impudicité par les peines les plus feveAN. 1539. res; que celle du deluge eft attribuée aux adulteres des grands; que l'adultere de David a donné lieu à un exemple terrible de la vengeance divine; que faint Paul repete fouvent, qu'on ne fe mocque point impunément de Dieu; & que les adulteres n'entreront point dans fon roïaume: car il eft dit au fecond chapitre de la premiere épitre à Timothée, que l'obéiffance doit être compagne de la foi, fi l'on veut éviter d'agir contre fa confcience. Au troifiéme chapitre de la premiere épitre de faint Jean, que fi notre coeur ne nous reproche rien, nous pouvons avec joïe invoquer le nom de Dieu; & au chapitre huitiéme de l'épitre aux Romains, que nous vivrons, fi nous mortifions par l'esprit les defirs de la chair, mais que nous mourrons au contraire en marchant felon la chair; c'eft-à-dire, en agiffant contre notre propre confcience. Nous avons rapporté ces paffages, afin que votre alteffe confidere mieux que Dieu ne regarde point comme une bagatelle le vice de l'impureté, comme le fuppofent ceux qui par une extréme audace ont des fentimens païens fur une doctrine fi conftante.C'est avec plaifir que nous avons appris le trouble & les remords de confcience où votre alteffe eft maintenant pour cette forte de défauts ; & que nous avons entendu le repentir qu'elle en témoigne, votre altesse a prefentement à negocier des affaires de la plus grande importance, & qui concernent tout l'univers. Elle eft d'une complexion fort délicate & fort vive; elle dort peu, & ces trois raifons qui ont obligé tant de perfonnes prudentes à menager leur corps,

font

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