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alliez vous enrhumer, vous me feriez certainement un

procès. >

Un autre adversaire du nouveau ministère c'était la Cour d'appel d'Alexandrie. Non seulement elle avait brisé le pouvoir juridictionnel des consuls, mais elle commençait aussi à avoir toutes les attributions du ministère de la justice, et même à acquérir le pouvoir législatif.

Le ministère européen ne pouvait donc avoir pour lui que les fellahs. Nubar-Pacha, par la bonté de son âme, par sa sympathie franche pour ceux-ci avait obtenu une grande popularité auprès d'eux. Mais les fellahs, habitués au joug séculaire de la féodalité et du despotisme, obéissaient docilement au Khédive. Lui désobéir était pour eux une hérésie. De sorte que le ministère avait pour lui une force inactive et inconsciente que l'instruction seule pouvait vivifier.

Il devait donc agir avec beaucoup de précautions et d'habileté pour se maintenir au pouvoir.

A-t-il obéi à cette nécessité? Non.

Le ministère des finances, qui est la branche la plus importante de l'administration égyptienne, fut rempli de fonctionnaires anglais au détriment des fonctionnaires. indigènes. Cet accaparement des postes rémunérateurs déplut au peuple. D'autant que M. de Blignières s'était contenté de deux collaborateurs français qui, d'ailleurs,

G. CHARMES, Un essai de Gouvernement européen en Égypte (Revue des Deux-Mondes du 15 août 1879, p. 790).

étaient fort au courant des affaires de l'Égypte. C'était la première mauvaise politique du ministère européen.

La deuxième faute du ministère Nubar-Pacha fut de vouloir accomplir toutes les réformes à la fois. Il jugea qu'un pays comme l'Égypte, qui se trouve sous la garantie des Puissances, n'a besoin que d'une armée uniquement pour le maintien de l'ordre intérieur. Il supprimait, par mesure d'économie, un grand nombre de postes d'officiers.

Ce fut aussi une mauvaise politique. Dans un pays où le sentiment national n'est pas développé, où l'on fait des réformes, non par la volonté du peuple mais sur l'initiative de quelques hommes d'État, il faut toujours se méfier d'une force comme l'armée, qui peut être très dangereuse. Le ministère ne prit pas ce fait en considération, et il eut tort. Quelque temps après cette décision, les officiers cernaient Nubar-Pacha et M. Wilson au ministère et les menaçaient de mort s'ils ne revenaient sur pas sur cette décision.

Ce n'est que sur la promesse d'Ismaïl-Pacha de les réintégrer dans leurs postes que les officiers et la foule se dispersèrent.

C'était une belle occasion pour Ismaïl-Pacha de marcher contre ce ministère qu'il avait institué à contrecœur et qui avait relégué le Khédive omnipotent au simple rôle de spectateur.

Quelques heures après cette émeute, les consuls anglais et français se rendirent au palais pour demander au Khédive s'il n'y avait rien à craindre pour la sécurité

des Européens. Ismaïl répondit que les ministres ayant pris cette décision sans le consulter, c'était à eux qu'il fallait s'adresser et non à lui qui n'avait aucun pouvoir depuis que le ministère européen était en fonction.

Le stratagème du Khédive avait réussi. Au dire des hommes politiques, c'était lui qui avait secrètement combiné l'émeute ou tout au moins l'avait favorisée. Ce qui prouve l'exactitude de cette affirmation, c'est que les colonels insurgés et quelques milliers de soldats qui les suivaient s'étaient dispersés sans aucune résistance sur la demande du Khédive.

Celui-ci avait ainsi saisi l'occasion, sinon de renverser le ministère européen, du moins d'amoindrir son pouvoir. Ismaïl parvint à former un nouveau ministère où son fils, Tewfik-Pacha, entrait comme président du conseil. Les deux Puissances obtinrent alors le droit de veto exclusif pour leurs ministres respectifs. Elles donnaient comme raison, très acceptable d'ailleurs, que les ministres indigènes n'auraient jamais leur liberté d'action dans un conseil où le prince héritier serait le président. En outre, dans une note énergique elles engageaient la responsabilité du Khédive toutes les fois qu'il y aurait mauvaise foi de sa part.

Tout cela n'était pas de nature à décourager IsmaïlPacha. Il voulait à tout prix reconquérir son omnipotence et s'émanciper du contrôle européen.

Le ministère européen soutenu par les deux Puissances continuait ses réformes au milieu de toutes les intrigues d'Ismaïl-Pacha.

La commission internationale d'enquête avait préparé son projet de règlement de la dette publique égyptienne. Ce projet déclarait l'Égypte en déconfiture et proposait un arrangement qui demandait naturellement un certain sacrifice de la part des créanciers. M. Wilson, vice-président, remit ce projet au Khédive afin que celui-ci le rendît exécutoire.

Mais les conclusions de la commission d'enquête avaient déplu au Khédive. Il avait déjà fait préparer par ses conseillers intimes un contre-projet et avait conclu un arrangement secret avec plusieurs établissements financiers de la place de Paris.

«

Le mot de déconfiture l'avait fortement irrité. L'Égypte, disait-il, a régulièrement payé ses créanciers et elle continuera à les payer toujours. » Il renvoya ses ministres. Cet acte courageux du Khédive étonna tout le monde, même les deux Puissances qui avaient si énergiquement agi contre toutes les intrigues du Pacha. Après deux mois d'hésitation, la France et l'Angleterre demandèrent au Khédive de donner sa démission'. Celui-ci s'adressa alors à son souverain et implora son appui. Mais la France et l'Angleterre étaient là pour déjouer toute nouvelle intrigue. Le Sultan, sur leur invitation, n'hésita pas une minute à destituer IsmaïlPacha par un firman en date du 29 juin 18792.

Le Padichah était d'autant plus heureux de cette invi

Livre Jaune, affaires d'Égypte, dépêche du 19 juin 1879. 2 Firman d'investiture de Tewfik-Pacha. (Voy. supra, p. 89)

tation que, au milieu de tous ces événements qui se déroulaient en dehors de lui, il marquait une fois de plus sa souveraineté en Égypte.

SECTION III

LE GOUVERNEMENT DE TEWFIK-PACHA ET LA POLITIQUE

FRANCO-ANGLAISE

Tewfik-Pacha, qui succédait à Ismaïl, était plus sincère que son père dans ses promesses et dans ses actes. C'était un prince sans énergie, aimant, avant tout, l'ordre et la tranquillité. Comme l'Europe, lui aussi croyait au réveil du sentiment national en Égypte. Il voulait s'attirer la sympathie des Égyptiens sans pourtant mettre de côté les observations et les conseils des contrôleurs européens. Dans l'armée, les hauts commandements étaient, jusqu'alors, confiés à des officiers d'origine turque ou circassienne. Le nouveau Khédive nomma à ces postes, contrairement à la tradition suivie par ses prédécesseurs, des officiers égyptiens.

Encouragés par les faveurs du Khédive et flattés par les Égyptiens à cause de leur opposition à l'ingérence des étrangers dans l'administration, les trois colonels Arabi, Abd-el-Al et Ali-Fehmi formèrent un parti d'opposition au gouvernement.

Les trois officiers et leurs partisans demandèrent un peu bruyamment le remplacement du ministre de la

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