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de prêter à une de fes amies. L'éventail parvint à l'Em-
pereur; il vit les vers, & ordonna qu'ils feroient lus dans Poéfie des Chinois
l'affemblée de tous les Princes de fon Sang, toutes les
fois qu'ils feroient convoqués au palais, & qu'on ajoutât
qu'ils étoient de fon oncle. Ce ne fur qu'après des lec-
tures multipliées, que l'Empereur fit grace à ce Prince
de cette humiliante leçon.

C'est par une fuite de cette furveillance févere fur tout
ce qui peut porter atteinte aux mœurs, que tous les Ro-
mans, en général, font prohibés par les Loix. Le même
Empereur régnant en a flétri trois, qui paffent d'ailleurs
pour des chef-d'œuvres : le premier, parce qu'il tend à
affoiblir l'horreur naturelle du meurtre, a été noté du
caractere tao, couteau, poignard; le fecond, qui est un
Roman plein de diableries & de forcelleries, a été marqué
du caractere fie, faux, menfonger; & le troifieme, du ca-
ractere in, impur, déshonnéte, parce qu'il contient des
aventures galantes & trop licencieuses. Cependant la Po-
lice, moins févere que les Loix, permet les Romans &
les Hiftoriettes qui préfentent un but utile, & qui n'ont
rien de dangereux pour les mœurs. Tout Auteur qui
écrit contre le Gouvernement eft puni de mort, ainsi que
ceux qui ont concouru à l'impreffion ou à la distribution
de ses Ouvrages.

Xxxx ij

Pieces dramatiques, &c.

CHAPITRE III.

Pieces dramatiques, Eloquence, Ouvrages d'érudition,
College impérial des Han-lin.

rope,

Les regles dramatiques, admifes & confacrées en Eune font pas les mêmes à la Chine. On n'y connoît point nos trois unités, ni rien de tout ce que nous obfervons pour donner de la régularité & de la vraisemblance à l'action théatrale. Ce n'eft point une action unique qu'on représente dans ces Drames, c'est la vie toute entiere d'un Héros, & cette repréfentation peut être cenfée durer quarante ou cinquante ans.

Les Chinois ne font aucune diftinction de la Tragédie & de la Comédie; ils n'ont conféquemment point de regles particulieres, appropriées à chacun de ces genres fi difparates. Toute Piece dramatique fe divife en plufieurs parties, que précede une forte de Prologue ou d'Introduction, qu'on nomme Sie-tfé; les autres parties ou actes s'appellent Tché: on pourroit les divifer en scenes, en déterminant celles-ci par l'entrée & la fortie des Acteurs. Chaque personnage, lorsqu'il paroît, commence toujours par fe faire connoître aux fpectateurs ; il leur apprend quel eft fon nom, & le rôle qu'il va jouer dans la Piece. Le même Acteur représente souvent plufieurs rôles dans la même Piece. Telle Comédie, par exemple, fera jouée par cinq Acteurs, quoiqu'elle contienne & fasse fucceffivement paroître dix ou douze perfonnages qui parlent.

Les Tragédies Chinoises n'ont pas de chœurs proprement dits; mais elles font entremêlées de plufieurs morceaux de chant. Dans les endroits où l'Acteur eft cenfé devoir être agité de quelque paffion vive, il fufpend fa déclamation & fe met à chanter. Souvent les inftrumens de mufique l'accompagnent. Ces morceaux de Poéfie font deftinés à exprimer les grands mouvemens de l'ame, comme ceux qu'infpirent la colere, la joie, l'amour, la douleur: un perfonnage chante, lorsqu'il eft indigné contre un scélérat, lorsqu'il s'anime à la vengeance ou qu'il fe prépare à la mort.

Le P. du Halde a inféré dans fa collection une Tragédie Chinoife, intitulée l'Orphelin de Tchao, traduite par le P. de Prémare. Ce Drame est tiré d'un recueil Chinois qui contient les cent meilleures Pieces de théatre qui aient été compofées fous la dynastie des Yuen, dans le quatorzieme fiecle. M. de Voltaire en a emprunté le fujet de fa Tragédie de l'Orphelin de la Chine. Voici comment il parle de l'Ouvrage Chinois : » L'Orphelin de » Tchao eft un monument précieux qui fert plus à faire » connoître l'esprit de la Chine, que toutes les Relations qu'on a faites de ce vafte Empire. Il est vrai que cette » Piece est toute barbare, en comparaifon des bons Ou» vrages de nos jours; mais auffi c'eft un chef-d'œuvre, » fi on le compare à nos Pieces du quatorzieme fiecle. » Certainement nos Troubadours, notre Bazoche, la So» ciété des Enfans fans fouci & de la Mere-fotte, n'approchoient pas de l'Auteur Chinois. On ne peut compa»rer l'Orphelin de Tchao qu'aux Tragédies Angloifes & Espagnoles du dix-feptieme fiecle, qui ne laiffent pas

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Pieces dramati

ques, &c.

Pieces dramati

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» encore de plaire au delà des Pyrénées & de la mer. "L'action de la Piece Chinoife dure vingt-cinq ans, » comme dans les farces monstrueuses de Sakespear & de Lopez de Vega, qu'on a nommées Tragédies; c'est un » entassement d'événemens incroyables...... On croit lire » les mille & une Nuits en action & en fcenes: mais, malgré l'incroyable, il y regne de l'intérêt ; &, malgré » la foule des événemens, tout eft de la clarté la plus » lumineuse ce font-là deux grands mérites en tout » temps & chez toutes nations; & ce mérite manque à beaucoup de nos Pieces modernes. Il eft vrai que la » Piece Chinoise n'a pas d'autres beautés : unités de » temps & d'action, développement de fentimens, pein» ture des mœurs, éloquence, raison, paffion, tout lui » manque ; & cependant, comme je l'ai déjà dit, l'Ou"vrage eft fupérieur à tout ce que nous faifions alors «.

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Les Lettrés Chinois travaillent peu pour le théatre, & recueillent peu de gloire de leurs productions en ce genre, parce que la Comédie eft plutôt tolérée que permise à la Chine. Les anciens Sages de la nation l'ont constamment décriée & regardée comme un art corrupteur. La premiere fois qu'il est fait mention de Pieces de théatre dans l'Histoire, c'est pour louer un Empereur de la dynaftie des Chang d'avoir profcrit cette forte de divertiffemens frivoles & dangereux. Siuen-ti, de la dynastie des Tcheou, reçut des remontrances par lefquelles on l'engageoit à éloigner de fa Cour ce genre de fpectacles, dont l'effet devoit être funeste pour les mœurs. Un autre Empereur fut privé des honneurs funéraires, pour avoir trop aimé le théatre & fréquenté des Comédiens. C'est par une suite

de cette maniere de penfer, qui eft universelle à la Chine, que toutes les falles de spectacle, mises sur le même rang que les maifons de proftitution, font reléguées dans les fauxbourgs des villes. Les Gazettes Chinoifes s'empressent de publier le nom du plus obfcur légionnaire qui s'eft montré avec courage dans un combat; elles annonceront à tout l'Empire l'acte de piété filiale, le trait de modestie & de pudeur d'une fimple fille des champs; mais les Auteurs de ces papiers feroient punis, s'ils ofoient infulter à la nation jufqu'à l'entretenir du jeu & des fuccès d'un Mime, du genre de danse, des graces, & de la figure d'une Hiftrionne.

Passons à l'éloquence Chinoife. Elle eft moins fondée fur des préceptes que fur l'imitation des anciens chefd'œuvres, confacrés comme des modeles dans l'art oratoire. Cette éloquence ne confifte pas dans un certain arrangement de périodes harmonieuses; elle réfulte d'expreffions vives, de métaphores nobles, de comparaisons hardies, & fur-tout de l'emploi heureux des maximes & des fentences des anciens Sages. Les Loix la mettent à portée d'influer fur le gouvernement de l'Etat, non pas comme dans les anciennes Républiques en parlant directement au peuple affemblé, mais par les écrits & les remontrances qu'elle peut adreffer à l'Empereur & à ses Miniftres. Dans ces fortes d'Ecrits, qui exigent la plus févere circonfpection, l'éloquence doit fe borner à inftruire, réfuter, reprendre, émouvoir, faire fentir la néceffité des réformes; & il faut qu'elle produife ces effets à l'aide de peu de lignes, & dans une premiere lecture: on n'y fouffre dès-lors aucun ornement déplacé, point

Pieces dramati

ques, &c.

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