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l'amour. Mais, chez l'homme, l'esprit, héritier de l'intelligence animale, prend sa revanche, se révolte d'être prosterné devant l'instinct. I invente alors tout un mirage verbal et poétique pour embellir son asservissement. Les qualités de l'esprit remplacent comme criterium l'aptitude physique; la beauté, le fruit de la vigueur, disparaît; les humains sont laids parce que l'infirme est admis au mariage, mais ils héritent des qualités intellectuelles qui font prospérer une espèce, sans cela, scientifiquement vouée à dépérir. Ainsi, dans une égale hostilité des éléments, l'homme qui pense a une autre longévité que la brute c'est un fait. Rompant avec la nature qui désigne pour futur époux le mieux doué, sans permettre le choix, l'homme s'adresse à l'amour lui-même, puissance déréglée, origine des folies de l'âme, qui, dans cette émancipation, prend une existence distincte du corps, mais parallèle à lui. D'où lutte incessante entre l'âme et le corps, que compliquent les hérédités les plus diverses, et si insoupçonnées que leurs manifestations, souvent venues de loin, déconcertent. M. de Curel met en scène un symbolique squelette, acheté d'occasion par un peintre, et dont la tête appartint à un savant, l'échine à un assassin, le bras gauche à un banquier, le droit à un prêtre.....

Mais de quelle lointaine hérédité tenons-nous cette énergie spirituelle qui intervient avec tant de puissance ?..... Le premier mot d'un amour qui se déclare ́n'est-il pas pour se flatter d'être éternel? Ce mot révélateur met sur une piste qu'on peut suivre si haut, si loin qu'on parvient, d'un puissant coup d'aile, jusqu'aux anges.......

C'est ainsi que le transformisme, doctrine démodée qu'on a confondue avec l'évolutionnisme et dont a voulu tirer plus qu'elle ne comporte, conduit M. de Curel

son héros n'avoue l'y accompagner

à l'idéalisme.

sans que

Un exemple éclaire la doctrine. Blanche Riolle, femme simple et intelligente, guidée par son .mari, découvre le mystère d'elle-même en réfléchissant sur les actions des autres. Elle s'initie à un trouble sensuel qu'elle ignorait et qui s'accommode par ailleurs du plus sincère amour pour son mari. L'origine de cette dualité lui apparaît dans ses diverses hérédités, et, à l'instant qu'elle va mourir, une vision lui montre sa glorieuse arrivée dans la Jérusalem céleste où seront récompensées sa foi et sa bonne foi.

M. de Curel n'a pas hésité à représenter un fait scientifique par un phénomène surnaturel, et c'est d'excellent théâtre que d'employer à propos, pour obtenir un fort relief, un procédé particulier au théâtre.

Les caractères sont admirablement établis. La langue est crue le praticien qui enseigne n'emploie pas d'euphémismes, et Justin Riolle, cet ardent et ce sage, ennoblit tout ce dont il parle. Cette étude loyale d'un sujet si délicat est parfaitement saine et honnête.

L'interprétation n'est pas d'un seul niveau. M. Chambreul dans Justin Riolle, manque de carrure, et sa diction rapide et indistincte empêche de comprendre, à mesure qu'ils s'enchaînent, les arguments un peu abstraits de la pièce. Mlle Provost, au contraire, réussit à garder sans cesse le contact avec le public elle a mis en valeur un rôle, un peu accessoire, avec l'intelligence dont elle est coutumière.

Tout ce que fait cette ravissante comédienne est parfait. Mme Mady Berry (Blanche Riolle) a été d'une simplicité et d'une vérité admirables. Le public, qui s'imaginait assister à un vaudeville, n'est digne ni de telles pièces, ni de tels

acteurs.

Nous retrouvons la même force, un même dédain apparent, pudeur peut-être de sincères, dans Le Maître de son cœur, de M. Paul Raynal. Comme chez M. Sarment, ils se manifestent dans l'ironie qui est de choix et un peu distante. Loin de s'encanailler à rire avec le public de plaisanteries, de mots faciles, l'ironie, cachant la réflexion profonde, s'attaque plus à l'auditeur qu'aux personnages.

Exemple :

« A dix-neuf ans, elle a épousé le duc de Rège qui l'a laissée veuve après quelques mois. On a regretté cette mort, parce que Rège était un fort brave homme. On aurait regretté davantage qu'il vécût, car c'était un homme bien. ennuyeux. >>

Autre exemple :

«

Vous savez, ce n'est pas correct, pas traditionnel de rire comme ça en parlant d'amour.

Bah! la tradition, c'est le goût des autres. »

Ces deux citations n'ont-elles pas été écrites à coup sûr par un gentilhomme, et chacune d'elles sous son apparence légère n'est-elle pas un thème à réflexions profondes que

l'auteur, par sa concision même, ne semble proposer qu'à ceux qui sont capables de s'élever jusqu'à elles?

Le grand succès qu'obtient Le Maître de son cœur, à l'Odéon, depuis deux ans, rend inutile que nous nous étendions sur ses qualités dramatiques, sur ce dialogue si simple, si facile en apparence, où pas une phrase n'est inutile, et où chaque réplique semble un comprimé de pensée. Mais ́sa parution en librairie peut être justement l'occasion de louer cette pensée remarquable et générale; M. Paul Raynal a su parler de l'amitié en termes qui ne sont pas inférieurs à ce sentiment plus beau peut-être, à coup sûr plus complet et plus rare que l'amour. Il est le premier écrivain qui y ait vraiment réussi, ou du moins qui ait touché cette délicate matière d'une main aussi pénétrante que discrète.

On se souvient du thème, qui débute par le contraste entre le couchant mélancolique d'un amour et un autre amour qui se lève comme une aube nouvelle. Deux jeunes hommes, Simon de Péran et Henry Guize, sont amis. Tous deux ont eu Aline de Rège pour camarade d'enfance. Simon de Péran, qui longtemps ne l'avait pas remarquée, l'aime et le lui déclare. Elle accepte cet amour avec sincérité et légèreté, Mais aussitôt, le hasard, qui la laisse en tête à tête avec Henry Guize, lui donne l'occasion de sentir qu'il est de nature plus riche, plus conforme à ses goûts. Et puis, son besoin de domination est excité par cet être, maître de luimême, qui semble rester insoumis aux forces de l'amour. Elle désespère Simon. C'est Henry qui, scrupuleux peut-être d'avoir trahi quelque émotion, ira vaincre son orgueil et la rendre à son ami.

Aline, convaincue en apparence, n'accepte en réalité Simon que pour obéir, pour plaire à celui qu'elle aime. Aussi, quand, au moment de la quitter, Henry, malgré lui, lui avoue que, dans leur dure escarmouche, elle n'a pas été la plus vaincue et qu'il a senti un présage, une joie confuse dont elle était la messagère, découvre-t-elle sa passion avec furie, avec éclat, sans pitié pour Simon qu'elle brise. En vain Henry se défend-il :

<< Vous m'aimez... vous m'aimerez... répond-elle, j'ai peur de périr de bonheur... Je vous ai troublé. Quel charmant triomphe!... Vous ne me repousserez pas toujours. Vous viendrez à moi. Je vous attendrai... Je suis déchirée magnifiquement. J'ai ma blessure. »

Simon, prenant un revolver dans sa poche, l'appuie sur sa poitrine et fait feu. En vain Henry se précipite-t-il vers lui, crie-t-il, en soutenant sa tête navrante :

<< M'entends-tu? M'entends-tu? Je ne t'ai pas trahi! »

Il ne peut savoir si l'enfant assassiné l'a entendu. Elle a grande allure, cette Aline, duchesse de Rège, dont Mlle Briey nous a laissé un si frémissant souvenir. Elle est femme complètement, au-dessus de ces futilités de toilette ou de mondanités qui relèvent d'une psychologie de boulevardiers. Elle est la femme amoureuse qui porte tout le prix d'un passé où elle s'est enrichie et qui réclame l'aide morale d'un amour pour que cette richesse secrète ne soit pas perdue. Elle est frémissante; elle s'humilie, acceptant la souf

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