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rideau du fond s'écartait enfin très légèrement devant le saint et le soldat, laissant deviner un immense couloir nu éclairé de lueurs éclatantes : tout le monde comprit qu'il s'agissait du paradis, et Dieu sait comme nous eussions ri

si cet acte avait été monté avec les procédés de l'Opéra.

Simplicité ne signifie pas négligence ou pauvreté. L'absence complète d'effort du côté des décors au Théâtre de l'Euvre est un grave défaut. Au Vieux-Colombier, où M. Jacques Copeau a joué du Shakespeare et des pièces dont l'action change fréquemment de lieu, il y a pour chaque représentation un unique décor de base, tandis que les scènes auxiliaires se passent devant le rideau. Cet excellent procédé celui qu'employait jadis le grand Will lui-même

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nous

a permis de voir la Nuit des Rois d'une seule traite, sans ces entr'actes désespérants qui, au Théâtre-Français, quand on jouait Hamlet, rompaient après chaque scène la communion de pensée du public et du poète.

Le décor de base, sans être une représentation exacte de la nature ou d'un lieu, est dans le style ou dans l'esprit de la pièce. Il comprend des surfaces et des volumes plus ou moins fictifs et propres à servir le mouvement de la scène et le jeu des acteurs. En principe, il est constitué, au fond du théâtre, par une grande baie donnant sur une étendue uniforme, le ciel ou la mer. Autour de cette ouverture, une galerie, un escalier à plates-formes, enfin, une disposition propre à utiliser le théâtre dans le sens de la hauteur.

Les éclairages divers du fond de la baie, de rudimentaires changements dans son ameublement évoqueront des lieux différents. La baie pourra aussi être fermée, de manière

qu'il ne subsiste que son encadrement. Enfin, des scènes pourront être jouées dans la baie seule, tandis que le public devra faire abstraction du reste du théâtre. Avec la tragédie de M. Schlumberger, la Mort de Sparte, apparut l'excellence de la méthode. Le même décor stylisé a pu représenter, grâce à d'imperceptibles modifications de rideaux et d'éclairements, une rue à Sparte, l'intérieur d'un palais, un coin de champ de bataille, et cela, sans la moindre invraisemblance. On

a mis bien longtemps à trouver qu'il en est du théâtre comme de la peinture, où il existe une beauté plastique nécessaire et différente de la beauté humaine.

On ne devrait jamais parler d'éclairage au théâtre, mais bien plutôt d'éclairements, comme dans un tableau. Réduits au minimum d'effets utiles, ils agiront sur le décor seul et jamais sur les acteurs, à qui il revient de mettre leur jeu en valeur par eux-mêmes, si besoin en est. Ils seront simples et souvent violents; l'épisode de la route ensoleillée dans la Rose de Roseim fut très bien réalisé par un éclairement uniforme d'une crudité aveuglante. Nous vîmes aussi dans la même pièce des clairs-obscurs dignes de Rembrandt.

Nous pourrions répéter pour le costume ce que nous avons dit pour le décor. Il faut rompre avec la stupide monomanie, héritée des Goncourt, qui consiste à rechercher l'exactitude depuis le bouton de chemise jusqu'au lacet de bottine. Là encore le trait saillant doit dominer, symboliser, révéler immédiatement le personnage. M. Georges Pitoeff a récemment monté au Théâtre Moncey une remarquable comédie d'Andreieff: Celui qui reçoit des gifles. Il ne s'est

point attaché à reconstituer exactement le costume de ses héros. L'action se passait dans un cirque. Clowns, dompteuse, écuyère, musiciens, étaient habillés avec l'art le plus parfait. mais avec la plus complète fantaisie : jamais ils n'eussent été vêtus de la sorte dans la réalité ; et cependant, le costume de chacun gardait un principe, une couleur, une forme exagérée dans un détail qui d'emblée faisait deviner à qui on avait affaire. M. Poiret n'agit pas autrement lorsqu'il est chargé d'habiller une pièce ».

L'Euvre, le Vieux-Colombier, la Comédie Montaigne, le Théâtre des Champs-Elysées, les représentations de M. Pitoeff,

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ter.

tels ont été cet hiver les centres de réaction contre les hétéroclites traditions de mise en scène photographique. Un écrivain ne sténographie pas les conversations du jour pour faire une pièce il choisit les faits et les livres transformés par sa propre façon de voir. Au metteur en scène de l'imiAu Moyen-Age, les mystères étaient joués dehors et en costumes de l'époque; ils n'en avaient que plus d'action sur le public. Louis XIV, qui incarnait Neptune dans Les Amants magnifiques, n'a jamais cru manquer de vraisemblance en portant seulement un casque à plume et une cuirasse sur ses habits de cour. C'est en se déguisant en dieu marin qu'il eût été irréel et ridicule.

II

LES COMÉDIENS

Dans le précédent chapitre (La mise en scène), nous avons réagi contre tout système qui tend à la reproduction servile de la réalité. Pareils systèmes, en effet, pâtissent de la décevante précarité des moyens du théâtre. En outre, on renonce avec eux à cette transfiguration qui est indispensable à l'art. Décors et costumes, avons-nous dit, peuvent fort bien s'éloigner de la réalité pour ne conserver que des qualités techniques et artistiques qui servent le mouvement de la scène et le jeu des acteurs; de la sorte le spectateur ne comparera pas avec la vie réelle des transcriptions, qui, si elles prétendent à toucher de près à la réalité, sont inévitablement palinodiques ou caricaturales.

Ne doit-il donc exister rien de vrai au théâtre ? Que non pas. L'élément vivant, exact, y sera donné par les comédiens, qui ne devront pas, dès lors, grimer leurs rôles comme leur visage.

Trois conditions pour faire un bon acteur : le physique, la diction, et ce qu'on pourrait nommer la composition des rôles, mais ce dernier terme, équivoque en lui-même, demande à être expliqué.

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On dit toujours à ceux qui veulent faire du cinéma qu'ils doivent être photogéniques. Une qualité analogue est nécessaire aux comédiens; mais tout d'abord, distinguons entre le tragédien, qui incarne des personnages stylisés, élaborés, donc qui s'éloignent de la réalité pour monter vers l'art pur, et le comédien qui interprète des types, des gens à la douzaine, et se rapproche, par conséquent, de la vie.

Tout tragédien qui n'est pas plastiquement beau, ou dont le visage manque de caractère, dessert l'œuvre qu'il joue. Voilà pourquoi M. de Max est un admirable tragédien, tandis que M. Albert Lambert sera toujours ridicule; voilà pourquoi encore, quel que soit le génie de Mme Segond Weber, je préfère voir Phèdre à l'Odéon, où Mlle Aubry dresse une très belle silhouette classique. Dès l'instant que le public sent une différence physique entre l'acteur et son personnage, la tragédie fait l'effet d'un mélodrame.

Le physique des acteurs est d'une importance d'autre sorte mais non moindre dans la comédie. Il paraît enfantin de dire qu'ils doivent avoir le physique de leur rôle; mais comme ils sont ordinairement imposés à l'auteur, la condition est rarement remplie. Dans La souriante Mme Beudet, l'excellente comédienne qu'est Greta Prozor communique au rôle par son genre de beauté mal approprié autant d'irréalité qu'il est possible. Par contre, les ignares sans nom que sont nombre de directeurs de théâtre se fondent uniquement sur le physique, - et quel physique cliché dans leur imagination bornée ! pour distribuer des rôles. Hallucinés par la silhouette de Mlle Sorel, ils utiliseront comme coquette, toute

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