Images de page
PDF
ePub

qu'elle defiroit, elle lui avoua qu'elle lui avoit fait infidélité. Je vous le pardonne, répondit le mari; mais j'attends pareillement de vous le pardon du mal que je vous ai fait. L'Angloife le lui ayant promis de tout fon cœur : C'est, lui dit cet époux, de ce que vous venez de m'aque m'étant apperçu vouer, je vous ai empoifonnée, ce qui eft la caufe de votre mort.

Un Italien, quoique réconcilié en apparence avec fon ennemi depuis plufieurs années, confer voit néanmoins toujours pour lui une haine fecrete. Un foir qu'ils fe promenoient enfemble dans un lieu écarté, l'Italien le prit par derriere, le renverfa, & lui mettant le poignard fur la gorge, le menaça de le tuer, s'il ne renioit Dieu. L'autre, après avoir fait beaucoup de difficulté, s'y réfolut à la fin pour éviter la mort. L'Italien n'eut pas plutôt obtenu ce qu'il demandoit, qu'il lui plongea le poignard dans le fein, & fe retira après, en fe vantant de s'être vengé de la maniere du monde la plus terrible, en faifant périr en mêmetemps le corps & l'ame de fon ennemi. Apologie d'Hérodote.

Tirons le rideau fur cette fcene d'horreur, pour en préfenter une qui a pu donner lieu à la petite comédie du Médecin malgré lui. Borife Godounove, Grand Duc de Mofcovie, étant tourmenté de la goutte, invita, par de grandes promeffes, ceux qui y fauroient quelques remedes, de les lui déclarer. La femme d'un Boïare, irritée des mauvais traitements de fon mari, & defirant de s'en venger, ufa du ftratagême de la femme de Sganarelle. Elle publia que fon mari avoit un spécifique excellent pour la goutte; mais qu'il n'aimoit point, allez fa Majefté pour le lui donner. On envoya quérir cet homme. Il eut beau protefter fon igno. rance, on le fouetta jufqu'au fang, & on le mit. en prifon. Les plaintes qu'il fit contre fa femme, ne fervirent qu'à le faire maltraiter plus rudement.. Enfin, on lui fit dire qu'il envoyat fon remede ›

ou qu'il fe préparât à mourir. Ce malheureux, voyant fa perte inévitable, feignit d'avouer qu'il favoit quelques remedes, mais qu'il n'avoit ofě les employer pour fa Majefté, & que fi on vouloit lui donner quinze jours pour les préparer, il s'en fer. viroit. Les ayant obtenus, il envoya à Czirback, à deux journées de Mofcou, fur la riviere d'Occa, d'où il fe fit amener un chariot de toutes fortes d'herbes, bonnes & mauvaises, & en prépara un bain pour le grand Duc, qui y recouvra la fanté. On fe confirma alors dans la penfée, que le refus du Boïare ne provenoit que de fa malice; c'eft pourquoi on le fouetta encore plus fort que les deux premieres fois. Le Prince lui fit enfuite préfent de quatre cents écus, & de dix-huit paylans pour les pofféder en propre, avec des défenfes trèsrigoureufes d'en avoir du reffentiment contre fa femme. Il fe foumit à cet ordre, car on rapporte qu'ils vécurent depuis dans une amitié parfaite. Olearius.

VE

VÉNITIE N S.

Enife, fituée au milieu des Lagunes, n'a qu'un commerce précaire, & des richeffes fondées fur l'inaction de fes voifins. Auffi les Vénitiens, montrant un jour en grande pompe leur tréfor de faint Marc à un Ambafladeur d'Espagne; celui-ci, pour tout compliment, ayant regardé fous les tables, leur dit : Qui non c'è la radice.

Il n'y a peut-être pas de pays au monde où l'on foit plus fibre qu'à Venife, pourvu qu'on ne fe mêle point des affaires du Gouvernement, fur le quel il faut obferver un filence refpectueux. On rifque même à le louer, prefque autant qu'à le blâ. mer. Un Sculpteur Génois, s'entretenant avec deux François, ceux-ci fe répandirent en invectives contre le Sénat & la République, & le titre de Pan salon fut donné plufieurs fois aux Sénateurs. Le

[ocr errors][merged small]

Génois défendit les Vénitiens le mieux qu'il lui fut poffible. Le lendemain il eut ordre, de la part du Confeil, de fe préfenter. Il arriva tout trem blant. On lui demanda s'il reconnoîtroit les deux perfonnes avec qui il avoit eu une conversation fur le Gouvernement de la République? A ce difcours, fa peur redoubla; il répondit qu'il croyoit n'avoir rien dit qui ne fût en faveur du Sénat. On lui ordonna de paffer dans une chambre voifine, où il vit les deux François morts & pendus au plancher. Il crut fa perte affurée; mais on le ramena devant les Sénateurs, & celui qui préfidoit, lui dit gravement Taifez-vous une autre fois, mon ami, notre République n'a pas besoin d'un défenseur de votre efpece. Lettres Juives.

Un François, le promenant à Venife dans la place de faint Marc, heurta, par mégarde, un de ces Nobles dont Venise eft remplie. Le Noble le prit gravement par le bras, & le pria de lui apprendre quelle bête il croyoit la plus lourde & la plus pefante. Le François, étonné d'une pareille queftion, refta quelque temps fans répondre. Mais, le Vénitien fans rien perdre de fa gravité, lui ayant redemandé la même chofe, le François répondit bonnement qu'il croyoit que la bête la plus lourde, étoit un éléphant. Eh bien, dit fiérement le Vénitien, apprenez, Monfieur l'éléphant, qu'on ne heurte point un Noble Vénitien. Lettres Juives.

Comme les Gondoliers Vénitiens paffent la plus grande partie de leur vie prefque en tête-à-tête avec Ia Nobleffe, les plus honnêtes citadins, & les étrangers de diftinction, qui tous les jours abordent à Venife, ils fourniffent fouvent à la converfation par des plaifanteries on leur permet même, en ce genre, des libertés; en voici un exemple. Les rues de Venife font éclairées la nuit par de trèspetites lanternes, fufpendues comme celles qui éclairent les rues de Paris. Un Noble, paffant dans une rue où un Gondolier, étoit occupé à en fufpendre une, lui dit de la tenir plus haute; elle l'eft

affez, repliqua le Gondolier, pour les cornes de nous autres; toutefois, fi votre Excellence la juge trop baffe, je la releverai. L'Excellence paffa, & s'emprefla de régaler fes amis du mot du Gondolier. Obfervations fur l'Italie.

Le même Obfervateur rapporte que ces Gondoliers ont le privilege exclufif dont jouiffoit M. de Roquelaure à la Cour de Louis XIV. On leur fait honneur de tous les bons mots, dont des raisons de décence ou de politique, ne permettent pas aux véritables peres de fe déclarer: tel étoit celui que l'on citoit, lors de l'exaltation du Pape actuel. Depuis la rupture éclatante entre la République & Benoît XIV, ce Pape n'avoit donné le chapeau à aucun Vénitien nous avons été long-temps fans chapeau, faifoit-on dire à un Gondolier : Ma babbiamo adeffo il capelliere.

VÉRITÉ...

Ans les pays foumis au pouvoir arbitraire, la Vérité a befoin de quelque emblême pour fe préfenter devant le Prince. Un Roi de Perfe, venoit dans un mouvement de colere de dépofer fon grand Vifir, & en avoit mis un autre à fa place. Cependant comme il n'étoit pas d'ailleurs mécon tent des fervices du dépofé, il lui dit de choifir dans fes Etats un endroit tel qu'il lui plairoit, pour y jouir, le refte de fes jours avec fa famille, des bienfaits qu'il avoit reçus de lui jufqu'alors. Le Vifir lui répondit : « Je n'ai pas befoin de tous "" les biens dont votre Majesté m'a comblé, je la fupplie de les reprendre, & fi elle a encore quel» que bonté pour moi, je ne lui demande pas un lieu qui foit habité, je lui demande avec inf ,,tance de m'accorder quelque village défert, que » je puiffe rétablir avec mes gens, par mon travail, ines foins & mon induftrie.,, Le Roi donna

[ocr errors]

Iii iij

[ocr errors]
[ocr errors]

"

ordre qu'on cherchât quelques villages tels qu'il les demandoit; mais après une grande recherche. ceux qui en avoient eu la commiffion, vinrent lui -rapporter qu'ils n'en avoient pas trouvé un feul. Le Roi le dit au Vifir dépofé, qui lui répondit: ,, Je favois fort bien qu'il n'y avoit pas un feul ,,.endroit ruiné, dans tous les pays dont le foin » m'avoit été confié. Ce que j'en ai fait, a été afin que votre Majefté fût elle-même en quet état je les lui rends, & qu'elle en charge un au tre qui puiffe lui en rendre un auffi bon compte., Un jeune Prince très-puiffant régnoit dans les Indes; il étoit d'une fierté qui pouvoit devenir funefte à fes fujets, & à lui-même. On effaya en vain de lui repréfenter que l'amour des fujets eft Toute la force & toute la puiffance du Souverain. Ces fages remontrances në fervirent qu'à faire pésir leurs auteurs dans les tourments. Un Bramine, ou Philofophe, dans le deffein de lui inculquer cette Vérité, fans toutefois s'expofer au même pé. ril, imagina le jeu des échecs, où le Roi, quoi que la plus importante de toutes les pieces, eft im puiffant pour attaquer & même pour fe défendre contre fes enneinis, fans le fecours de fes fujets & de fes foldats. Le Monarque étoit né avec beau coup d'efprit; il fe fit lui-même l'application de cette leçon utile, changea de conduite, & par-là prévint les malheurs qui le menaçoient. La reconnoiffance du jeune Prince lui fit laiffer au Bramine le choix de la récompenfe. Celui-ci demanda autant de grains de bled qu'en pourroit produire le nombre des cafes de l'échiquier, en doublant toujours depuis la premiere jufqu'à la foixantequatrieme; ce qui lui fut accordé fur le champ, & fans examen. Mais il fe trouva, par le calcul, que tous les tréfors & les vaftes Etats du Prince ne fuffiroient point pour remplir l'engagement qu'il venoit de contracter. Alors notre Philofophe faifit cette occafion pour lui repréfenter combien il importe aux Rois de fe tenir en garde contre ceux

« PrécédentContinuer »