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feux en 1805. La preuve que la mesta est la cause spéciale de cette dépopulation, c'est que des provinces moins susceptibles d'être peuplées, le sont avec profusion, et cela tout près de l'Estramadure. La Galice, les montagnes de Burgos en sont un exemple. Je me suis étendue sur ce sujet, parce qu'il est non-seulement intéressant, mais d'une haute importance lorsqu'on veut connaître l'Espagne.

CHAPITRE VI.

Province de l'Estramadure.

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. Le coche de Colleras. Aven

ture qui m'arrive dans ce pays. Ma manière de voyager.

Visite inattendue de Jérôme Bonaparte.

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Détails

sur Jérôme. Colère de l'empereur en apprenant son mariage. M. Alexandre Le Camus, depuis comte de Fursteinstein. Melle Paterson. Sa ressemblance avec

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En

la princesse Borghèse. - Ma conversation avec Junot. - Mes présages se réalisèrent.- Pont d'Almaraz. têtement de nos muletiers. Le fameux Gonzalès de San-Sébastien. Le Puerto. Chêne vert de la pénin

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sule. Le village de Joray Cego. Bonne réception que nous font les autorités de Truxillo.

LORSQUE nous entrâmes dans la province d'Estramadure, la contrée changea tout-à-fait d'aspect; elle devint agreste, sauvage, et tout-à-fait pittoresque. Je prenais souvent plaisir à partir le matin, tandis qu'on attelait les sept mules de

mon coche de Colleras avec de longues cordes qui ne tenaient à aucun palonnier, et qui toutes se rattachaient à la cheville ouvrière de la voiture.

Le mayoral et le zagal n'avaient besoin que de les appeler par leur nom pour qu'elles vinssent se ranger par l'ordre qu'elles occupaient la veille. La seule voix du mayoral disant: Eh! Colonella!... Eh! Carbonera! Eh! Peregrina!... suffisait pour que la mule, avec sa peau rasée, excepté la queue, ce qui en fait un horrible animal, vînt se ranger à côté de la première, et que la première vînt toute seule au commandement du maître. Leur éducation se fait d'une manière cruelle: elles sont fouettées jusqu'au sang, et le mot est littéral, jusqu'à ce qu'elles répondent au nom que leur parrain a bien voulu leur choisir. Je ne m'étonnai plus autant de leur docilité, les pauvres bêtes!

Nous avions quitté Truxillo depuis deux jours, et nous approchions de Mérida, lorsqu'un matin je me trouvai assez endormie pour ne pas quitter ma voiture lorsque le mayoral y attela les mules: car, pour le dire en passant, je couchais dans ma voiture lorsque la venta ou la possada me paraissaient inlogeables; ce qui arrivait assez ordinairement une fois sur trois depuis que nous étions en Estramadure. Je trou

vais alors une bien plus grande commodité à demeurer dans ma dormeuse, dans un lit bien bon, bien chaud, bien propre, au lieu d'aller me mettre dans ces affreuses chambres de possadas espagnoles, dont les greniers les plus dépouillés, les cabarets de grandes routes réservés aux rouliers les moins difficiles, ne peuvent donner une idée. Et puis je trouvais aussi fort commode de rester couchée jusqu'à l'heure du déjeuner, et de rouler parmi les bruyères parfumées de l'Estramadure tout en sommeillant ou bien en lisant. Lorsqu'on fait un voyage de trente jours de marche, on a le temps de regarder fuir le terrain sous les roues de la voi

ture.

Nous devions déjeuner à Nabalmoral. Je finissais de m'habiller pour être en état de descendre quand la voiture s'arrêterait, lorsque Junot vint auprès de la portière et me dit :

- Laure, es-tu prête? dépêche-toi de descendre.

Oui, mais tout à l'heure; pourquoi donc es-tu si pressé? Ta course matinale a bien ouvert ton appétit!

Ce n'est pas moi qui suis pressé, c'est un ami d'enfance qui est venu te demander à déjeuner de Baltimore; ainsi tu vois bien qu'il faut te dépêcher.

Je crus qu'il plaisantait et ne fis aucune attention à ce qu'il me disait. Je n'allai pas un instant plus vite, et ce ne fut qu'après avoir attaché le dernier cordon et placé la dernière épingle que je levai le store et que je pus voir quelle était la personne qui m'attendait. Je jetai un cri de surprise et je puis dire aussi de contentement: c'était Jérôme Bonaparte.

C'est une longue et intéressante histoire que celle de Jérôme. Tout le monde sait qu'il s'est marié en Amérique avec la fille d'un banquier de Baltimore, appelée mademoiselle Paterson, et qui était jolie et riche; mais ce qu'on ne sait pas aussi bien, c'est que Jérôme eut beaucoup moins de torts qu'on ne l'a cru et qu'on ne l'a dit dans le monde. L'empereur, n'étant encore que consul, n'avait aucun droit sur les siens comme chef de famille. Joseph Bonaparte, madame Bonaparte la mère, étaient, au fait, les maîtres d'accorder ou de refuser un consentement. Il est certain que la mère de Jérôme lui avait permis d'épouser mademoiselle Paterson, et que Joseph aussi avait donné son consentement. La colère de l'empereur, en apprenant la nouvelle du mariage de son jeune frère, fut extrême, et au momet dont je parle elle venait de se manifester d'une façon peu fraternelle

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