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-Oui, oui, dit le roi, la señora es espagnola. Et il se frottait les mains en riant.

-Cependant, me dit la reine, vous êtes née en France, n'est-ce pas ?... Vous n'êtes pas née en Grèce?... Ma belle-fille, avec qui je parlais de vous hier, m'a dit qu'elle avait vu à Naples quelqu'un'de votre nom, un prince de Comnène... Est-ce votre père ou votre frère?

- C'est mon oncle, madame, lui répondis-je. Et je lui expliquai en deux mots que mon nom n'était pas Comnène, et que c'était seulement par ma mère que je tenais à cette famille.

La reine me congédia, ainsi que le roi, après une audience assez longue, comme on le voit, et remplie de bonté et de bienveillance pour moi. J'ai conservé de cette première entrevue un souvenir que le temps n'a pas détruit. Plus tard, j'ai été en mesure de lui en témoigner ma reconnaissance, ainsi que des marques de bonté qu'elle me donna dans une autre circonstance. Hélas! le moment où mon assistance put être utile à cette malheureuse famille n'était pas éloigné! Ce fut lorsque les ordres de l'empereur la confinèrent si cruellement à Marseille. Mon frère y était toujours. Il fut pour eux ce que son âme grande et belle, son coeur généreux lui commandaient d'être; et certes, ce ne fut pas ma

parole qui augmenta son intérêt envers les nobles proscrits qui étaient confiés à sa garde. Cependant je crois pouvoir assurer que, dans sa tendresse fraternelle pour une sœur qu'il a toujours si bien aimée, il fut heureux de témoigner plus de soins, plus d'attentions à ceux qui m'avaient accueillie avec bonté et bienveillance aux jours de leur grandeur.

CHAPITRE III.

Particularité importante de ma visite à leurs majestés. Mon étonnement à la vue du prince de la Paix, et sa singulière tenue. Réflexions que me suggéra cette circonstance. Union du prince de la Paix avec une princesse de la maison de Bourbon. Étranges commentaires sur ce mariage. Haine de la princesse de la Paix Mme Tudo. pour son mari. Anecdote bizarre. Faveur d'un jeune garde du corps. - Passion malheureuse du roi pour la musique. - Ma présentation à la princesse des Asturies. — Mauvaise humeur du prince des Asturies. Hésitation de Junot. Le comte de Campo d'Allange. Notre promenade dans les jardins.

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UNE particularité que j'ai passée sous silence dans ma visite royale mérite pourtant d'être rapportée. En entrant dans la chambre où la reine me fit l'honneur de me recevoir, j'ai déjà dit que j'eus peu de pas à faire pour arriver près d'elle et du roi. Tous deux étaient debout.

La chambre pouvait avoir vingt-cinq pieds sur dix-huit à peu près. Sa grandeur était donc raisonnable, et me permettait de voir très-bien à l'extrémité de la pièce ce qui s'y passait. Je n'y fis pas d'abord grande attention; mais ensuite, quelque peu convenable qu'il fût de regarder par-dessus l'épaule de la reine, la singularité du spectacle qui s'offrait à moi me fit enfreindre la convenance.

C'était un homme que je voyais à l'autre bout de la chambre. Cette particularité n'aurait eu en elle-même rien d'extraordinaire, si son attitude et sa manière d'être eussent été ce qu'elles de vaient être dans la chambre du roi et de la reine d'Espagne; mais toutes deux avaient un air étrange et inusité.

Cet homme paraissait avoir de trente-quatre à trente-cinq ans. Sa figure était belle, c'està-dire qu'il était ce qu'on appelle un beau gros garçon bien portant, sans souci, et pas du tout distingué dans sa tournure; ce qui est rare en Espagne, où l'espèce caballerisca a pu dégéné rer, mais où du moins elle n'offre à l'oeil rien de commun dans son allure. Le personnage que je voyais était chamarré de cordons de toutes les sortes; il avait le premier ordre de l'Espagne, la toison d'or, celui de Saint-Janvier, le grand

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ordre de Charles III, de Saint-Ferdinand, de Malte, du Christ; et je dus comprendre que cet homme était un important personnage ; et en effet je ne me trompais pas, c'était le prince de la Paix.

Mais ce qui me paraissait étrange n'était pas de le voir dans la chambre de la reine, où il demeurait tout le jour; c'était sa tenue. Appuyé contre une console qui était au bout de l'appar tement, il y était presque couché, et jouait avec un gland de draperie qui était à sa portée. Je ne puis dire l'impression qu'il produisit sur moi en se présentant sous un jour aussi peu convenable. Je n'ai jamais pu expliquer comment devant une transeunte il n'avait pas été plus retenu dans sa façon d'être. Était-ce, au contraire, cette qualité de transeuntes1 qui lui a donné la pensée de se faire voir à moi sous ce point de vue familier dans le plus intime intérieur du roi et de la reine? Je l'ai présumé et je le crois encore; ou peut-être l'habitude était-elle si forte qu'elle ne lui a pas paru ni ridicule ni extraordinaire.

Au moment où je parle, sa faveur était immense, et n'offrait aucun exemple, même dans ce pays, où les rois depuis tant de règnes n'ont d'autre prérogative que celle de s'asseoir sur un trône saus puissance, et de la déposer dans les • Passante, étrangère.

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