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d'un côté comme de l'autre; j'en ai la certitude. Moi, je resterai dans celui que vous ne voudrez pas.

M. DALINVILLE, gaiement.

« De cette façon, nous pourrons toujours compter sur un protecteur dans le parti triomphant.

« C'est cela même... »

M. MITIS.

Et il continue d'exposer sa théorie crûment, cyniquement et non sans une verve d'éloquence. Pour s'en bien figurer l'effet, il faut relire ces scènes satiriques en se remettant dans la vraie situation du moment. Mais le dirai-je? quand je considère où nous en sommes venus à vingt-cinq ans de distance, quand je repense à cette vigueur de l'attaque et à cette confiance excessive avec laquelle on remettait alors à la bourgeoisie éclairée un rôle qu'elle n'a pas su tenir, la plume m'échappe des mains, et j'ai trois fois rejeté le livre au moment d'extraire ce que j'en voulais d'abord citer.

Qu'il nous suffise de constater que M. Théodore Leclercq a eu bonne part, à sa façon, dans cette guerre alerte, moqueuse, pénétrante, bien française et bien parisienne, qu'on a de tout temps déclarée chez nous aux hypocrites et aux faiseurs de grimaces, aux entrepreneurs de morale; il a sa place à la suite dans cette iste brillante qui, depuis et avant la Satyre Menippée, se continue jusqu'à Beaumarchais et au delà. Il a été l'un des plus remarquables de cette élite d'archers et de frondeurs armés à la légère, devant qui se fondent les grosses armées, et d'autant plus remarquable en ceci, que, par nature, il était plus inoffensif et plus pa

resseux.

Nullement homme de parti d'ailleurs, se moquant des deux côtés, et sachant que l'espèce est partout la même. Dans un de ses meilleurs Proverbes, le Jury, il

n'a pas craint de railler la nature humaine jusqu'au cœur d'une des institutions les plus chères à l'opinion libérale. Dans le Duel, il a exprimé sa doctrine d'expérience tolérante par la bouche de Mme Derville, une aimable grand' mère qui tâche de donner de la modération à son petit fils. Ce petit-fils, comme beaucoup de jeunes gens, s'irrite et se cabre d'indignation contre ce qu'il voit: il croit que jamais forme d'hypocrisie humaine n'a été plus odieuse que celle dont il est témoin, et qu'il n'y a plus, si on ne peut la vaincre, qu'à se sauver, comme Alceste, dans les bois :

« Non, lui répond la spirituelle grand'mère, il ne faut que faire le raisonnement que je me suis fait quand j'avais encore besoin de raisonner. La société, me disais-je, n'est composée que de mendiants. En veut-on aux mendiants que l'on trouve dans les places publiques, de toutes les ruses qu'ils emploient pour attirer l'attenion des passants? Est-il jamais venu à l'idée de personne de leur reprocher les emplâtres dont ils se couvrent, ou les jambes de bois dont ils feignent d'avoir besoin? Eh bien! en regardant de même d'autres mendiants qu'on rencontre dans le monde, au lieu de se laisser suffoquer à la vue des stratagèmes qu'ils inventent pour attirer aussi l'attention sur eux, il faut se dire tout simplement : C'est leur emplâtre ou leur jambe de bois. »

Dans une de ses dernières préfaces (1833), M. Théodore Leclercq a très-bien peint sa douce paresse et son humeur peu ambitieuse, qui laissait à son observation tout son jeu et toute sa lucidité: « Assez bon observateur, dit-il, positivement parce que je reste en dehors des prétentions actives, je regarde faire, et j'écris sans remonter plus haut que le ridicule, qui est mon domaine, laissant des plumes plus fortes que la mienne combattre ce qui est odieux. » Là où il est le plus charmant et le plus naturellement dans son domaine, c'est quand il peint les légers ridicules dont il ne s'irrite point, mais dont il sourit et dont il jouit, les ridicules des gens qu'on

voit et qu'on aime à voir, avec qui l'on joue la comédie sans qu'ils se doutent qu'ils la jouent doublement euxmêmes. Personne plus que M. Théodore Leclercq n'a eu le sentiment vif et la science de la vie privée, de la vie de société, en un mot du salon et de tout ce qu'on y surprend en un clin-d'œil de commérage piquant, de babil aiguisé, de luttes, de tracasseries, d'hostilités courtoises et élégantes. Il a rendu et comme enlevé tout cela dans ses rapides esquisses avec la distinction et le bon goût de la meilleure compagnie, et de manière à plaire à ceux mêmes qu'il vient de saisir et à les provoquer à se jouer.

Esprit délicat, il avait besoin, même pour railler, de sentir autour de lui l'air tiède de la faveur et de l'indulgence: elle ne lui a jamais manqué. Homme heureux, après tout, qui a trouvé son moment sans l'attendre ni le chercher, qui a joui de son esprit et développé son talent en ne recueillant que son plaisir. Cette quantité d'idées comiques et de germes qu'il a mis en circulation ne lui ont jamais coûté que la douceur de les produire. Il a eu toutes les joies de la fertilité sans les travaux pénibles de l'achèvement. Il n'a jamais connu cet effort combiné qui consiste à monter une pièce, à la construire, à la faire sortir plus ou moins sauve de toutes les embûches des coulisses, à la faire marcher droit et haut devant la rampe redoutable; il n'a jamais eu à consommer, comme dit Voltaire, cette œuvre du démon. Quand il faisait répéter un de ses Proverbes à sa troupe élégante et qu'il la trouvait ce jour-là trop capricieuse, c'était pour lui le sujet d'un Proverbe nouveau.

Après la Révolution de juillet 1830, M. Théodore Leclercq continua de produire encore et de publier le recueil de ses volumes: pourtant, si sa réputation était dès lors tout à fait établie, le grand moment de vogue

et d'attention était passé. M. Théodore Leclercq rentra doucement dans cette demi-ombre qui déplaisait si peu à sa modestie. Il perdit des amis dont il ne s'était jamais séparé un seul jour; il était devenu vieillard, lui qu'on ne s'habituait guère à se figurer que sous la forme de la gentillesse et de la jeunesse de l'esprit. Les dernières années de sa vie, entourées et consolées d'ailleurs des soins de la plus aimable et affectueuse famille, s'écoulèrent dans des infirmités cruelles, qui ne lui arrachèrent pas une plainte. Trois années de paralysie ne lassèrent point sa patience et sa résignation. Il sentait, après tout, qu'il avait été heureux.

Il vivra dans la série de nos comiques, comme l'expression fidèle des mœurs et de la société d'un moment; plus près, je le crois, de Picard que de Carmontel, et

onnant encore mieux l'idée d'un La Bruyère, mais d'un La Bruyère féminin et adouci, lequel, assis dans son fauteuil, se serait amusé, sans tant d'application et de peine, à détendre ses savants portraits, à mettre de côté son chevalet et ses pinceaux, et à laisser courir ses observations faciles en scènes de babil déliées et légères.

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TABLE DES MATIÈRES.

RABELAIS, par M. Eugène Noël....

Œuvres de Mme DE GENLIS..

Qu'est-ce qu'un Classique?..

Mme DE CAYLUS et de ce qu'on appelle Urbanité..

Les Confessions de J.-J. ROUSSEAU...

Biographie de CAMILLE DESMOULINS, par M. Ed. Fleury..

VAUVENARGUES..

Œuvres de FRÉDÉRIC-LE-GRAND.

M. DROZ....

FRÉDÉRIC-LE-GRAND littérateur.

La Duchesse du Maine..
FLORIAN..

ÉTIENNE PASQUIER..

Les Mémoires de SAINT-SIMON.

DIDEROT....

FONTENELLE, par M. Flourens...

Œuvres de CONDORCET, avec Notice par M. Arago.

BUSSY-RABUTIN...

Mme ÉMILE DE Girardin.

Histoire du Chancelier DagueSSEAU, par M. Boullée...

L'ABBÉ DE CHOISY...

Mme DE LA VALLIÈRE.

M. DE LATOUCHE....

LA GRANDE MADEMOISELLE.

M. THÉODORE LECLERCQ..

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FIN DE LA TABLE.

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- Imp. E. CAPIOMONT et V. RENAULT, 6, rue des Poitevins.

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