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LA RAGE DES PATAQUÈS

A faire un métier des plus rudes
On n'a pas un fonds très lettré.
Même la nuit, dans le silence
Lorsque je tire le cordon
Pour châtier mon ignorance
Dans Littré je prends ma leçon.

Hors de ma loge la paresse

Moi je progresse (bis)

Encore un an, sans qu'ça paraisse

J'aurai de l'instruction!

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Par cet échantillon, le lecteur comprendra que l'instruction n'est pas vainement obligatoire et nous pourrions lui montrer que, de la loge de madame Pochet au Palais-Bourbon, le pataquès fait rage sous toutes les formes. Les bavards politiques n'en sont pas plus exempts que les bavards domestiques.

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LA RAGE DU CAFÉ-CONCERT

Air connu.

Au caf, au caf,

Au café-concert,

Venez chaque soir après votre dessert.

La rage du public pour le café-concert n'est excusable que pendant l'été, parce qu'en cette belle saison, le concert s'étale en plein air sous les beaux arbres des Champs-Elysées, et encore il est prouvé par la Faculté que les rhumatismes s'y élancent... de la Seine sur les con

sommateurs.

Les autres cafés-concerts à ciel ouvert sont également envahis chaque soir par les amateurs, bénéficiant ainsi des fermetures théâtrales. Mais, prenons le café-concert d'hiver. Quoi qu'on en dise, le tort qu'il fait au théâtre depuis quelques années est considérable.

L'Eldorado, la Scala, l'Eden-Concert se sont mis à monter des pièces à spectacle avec un luxe de décors et de costumes égal à celui que déploient les Variétés, les Folies Dramatiques, les Bouffes-Parisiens et les Nouveautés, pour ne citer que ceux-là. Que nous sommes loin de la saynète réglementaire à quatre personnages au plus en habits de ville. Ces cafés-concerts jouent chaque hiver des revues de fin d'année qui comportent jusqu'à cent cinquante personnages (dans les revues de la Scala notamment) des décors à trucs et à changements à vue et d'innombrables costumes magnifiques et... très chers. Il s'ensuit que les affiches de ces établissements affectent le même luxe et s'étalent dans les plus grands formats sur les mêmes colonnes que les théâtres et qu'il se présente cette anomalie criarde: l'affiche du caféconcert en vogue est six fois plus grande que celle de l'Académie nationale de musique et celle du Théâtre-Français. Encore un an et si M. Morris ne fait pas surgir de terre d'autres colonnes spéciales

LA RAGE DU CAFÉ-CONCERT

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pour les concerts, ceux-ci couvriront impudemment toutes les affiches des théâtres.

Nous parlions tout à l'heure de la mise en scène luxueuse qui fait dans ces concerts-spectacles une si grande concurrence aux théâtres de genre — n'oublions pas, pour appuyer notre dire, de rappeler que leurs artistes-étoiles qui forment une véritable pléiade, touchent des cachets qui contre-balancent ceux que gagnent nos étoiles dramatiques des deux sexes. Exemples: Paulus est engagé pour quatre années encore à la Scala à raison de trois cents francs par jour. Perrin, Libert, Bourgès; MMmes Bonnaire, Duparc et dix autres gagnent entre cent et deux cents francs par soirée. Le café-concert se contre beaucoup moins généreux pour ses fournisseurs littéraires et lyriques. Il est heureusement, avant tout, tributaire de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, dont M. Victor Souchon est le très intelligent et très habile agent général à la satisfaction unanime de tous ses clients. C'est à lui, c'est à son énergique intervention que les paroliers et les musiciens de tous ces cafés chantants et rafraîchissants, doivent l'augmentation notable de leurs droits qui, pour le dernier trimestre, ont atteint le chiffre de cent quatre vingt-sept mille huit cent soixante francs treize centimes. Dieu sait s'il y a eu des grincements de dents et des résistances pour arriver à ce résultat; mais M. Souchon, calme et imperturbable, a laissé passer l'orage sur sa tête en se contentant de murmurer comme Mazarin : <«< Ils chantent, ils payeront! >>

Le grand art et même le moyen n'ont rien à voir au café-concert, ce qui n'empêche qu'en dépit des critiques de toute sorte qu'on lui a décochées et qu'on lui décoche encore, il se porte mieux que vous et nous. Que dis-je, vous verrez qu'il fera rage longtemps encore, car ses amateurs enragés deviennent aussi nombreux que les fausses notes de ses chanteurs. Oui, quoique vous puissiez dire et écrire au nom sacré de la moralité, du bon goût en décadence, vous ne changerez de longtemps l'ordre de choses existant. Je vous parie une loge à l'Ambigu contre un titre de 1,000 francs de rente du nouvel emprunt que si le théâtre national de l'Opéra-Comique, par exemple, restant avec sa troupe et ses ouvrages d'élite tel qu'il est, servait des grogs américains à la Vanzandt, des cigares et des pipes à son public, avec le prix des places abaissé au prix des fauteuils de l'Eldorado, il ne ferait pas le quart des recettes qu'encaisse cet établissement surnommé l'Opéra de la Chansonnette.

Vous ne réussiriez pas davantage à ramener la jeunesse intelli

gente des écoles aux saines aspirations et récréations du grand art, de préférence aux turpitudes du café-concert, si, aujourd'hui pour demain, vous serviez également des bocks, des mazagrans et des cigares à la Comédie-Française, et que vous en missiez les fauteuils au prix unique de un franc cinquante, comme aux Folies-Rambuteau — Molière, Racine, Corneille, Casimir Delavigne, Alfred de Musset, Victor Hugo et vingt autres classiques auraient encore le dessous à vouloir lutter contre les immortels poètes de l'Amant d'Amanda, la Sœur de l'emballeur, Descends donc de ton cheval, feignant, etc. Pour nous résumer et prouver que nous n'avons pas exagéré nos appréciations à propos du flot toujours montant qui, à un moment donné submergera le théâtre en France, voici un relevé des cafés-concerts de Paris et de la banlieue.

Cafés-concerts ouverts l'été.

Alcazar (Champs-Elysées), Ambassadeurs (Champs-Elysées), Pavillon de l'Horloge (Champs-Elysées), Ba-ta-clan (fermé de juillet à août seulement), Bâteaux-Mouches (au Point-du-Jour), du Cadran (au Point-du-Jour), du Commerce, Eden-Concert, Eldorado, concert de l'Epoque, concert Européen, Folies-Belleville, Folies-Bobino, FoliesRambuteau, Folies-Rochechouart, Goguette française, concert du Prado, concert des Ternes, concert de la Villette.

Cafés-concerts d'hiver.

Alcazar (faubourg Poissonnière), Ba-ta-clan, Eden-concert, Eldorado, Epoque, Européen, Folies Bobino, Folies de Belleville, Folies Rambuteau, Gaîté-Rochechouart, Gaîté-Montparnasse, concert de la Pépinière, Grand Concert parisien, concert du Prado, La Scala, concert des Ternes, concert de la Villette.

LA RAGE DU CAFÉ-CONCERT

Cafés-concerts de 3 et 4 ordre.

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Alcazar d'Italie (barrière d'Italie), concert d'Austerlitz, concert des Bords du Rhin (?), concert Cluny, concert de la Chanson, concerts des Familles, concert Fontaine, concert de la Gaîté (Belleville), concert du Globe, concert des Omnibus, concert du Progrès (!), concert Rabelais, Tivoli, du Gros-Caillou, plus cinquante-quatre cafés recevant des sociétés lyriques.

Dans la banlieue nous avons :

Café-concert au théâtre d'Asnières, les Folies-Marcel à Courbevoie, les Folies-Fontainebleau à Gentilly, le casino Galleron et le concert national à Puteaux, le concert du Parc à Sceaux, le concert Berger.

Enfin, il est rare qu'un directeur de café-concert fasse faillite, mais plus rare encore aujourd'hui qu'un directeur de théâtre devienne millionnaire.

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