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sition universelle de 1867 remporte un véritable triomphe sur l'immense terrain du Champ de Mars, celle de 1878 sur le même emplacement, avec de nombreuses annexes et un pont jeté sur la Seine pour relier le palais et les jardins du Trocadero à l'édifice monumental du Progrès, fait oublier toutes ses devancières. Exposer et s'exposer à toutes sortes d'expositions, est devenu une véritable

rage.

Nous avons d'abord, outre le Salon dont on médit beaucoup, mais qui fait partie intégrante de la vie parisienne et du mouvement artistique les expositions de peinture particulières, comme tout récemment celles de Feyen-Perin et de de Nittis chez Bernheim, et celle de Munkacksy, les Derniers Moments de Mozart à propos de laquelle on fit tant de musique. Le Salon engendre l'exposition des Refusés et celle des impressionnistes qui vous laisse une impression follichonne. Citons encore l'exposition de Blanc et Noir, comme qui dirait un mêlé-cassis. Il y a enfin les expositions permanentes de la rue de la Paix, de la rue de Sèze et de la rue Drouot.

Une exposition qui ne me met pas en rage, mais qui m'embaume au propre et au figuré, c'est l'exposition d'Horticulture; elle nous donne une faible idée de ce que devait être le paradis terrestre, avant la pomme. On y voit tous les produits de Flore et de Pomone et les enrhumés du cerveau ou les affligés de gastrite sont guéris du coup en respirant ces fleurs odoriférantes et en savourant par la pensée -ces fruits exquis.

L'exposition de Meunerie me laisse froid trop de fours, de galettes, de brioches et trop d'industriels qui y débitent un tas de choses étrangères à la minoterie avec accompagnement de trompes de chasse.

Le Concours hippique n'est qu'une exposition de la race chevaline, qui nous permet d'admirer l'adresse des habits rouges, des profes-seurs d'équitation de Saumur et de Saint-Cyr et des officiers de cavalerie en garnison dans le département de la Seine. Les habituées s'exposent aux regards de tous en exposant des toilettes printanières; cette année elles étaient toutes en deuil, signe des temps.

Les organisateurs de l'exposition du travail sont animés d'un bon esprit, mais leur exposition est un peu trop la reproduction d'un immense bazar, et vendre bon marché n'est pas précisément la devise des industriels représentés pour la plupart par des vendeuses séduisantes et irrésistibles. Quant aux bars tenus par des Suissesses des Batignolles, des Anglaises de Chaillot, des Russes de Montmartre et des Italiennes

LA RAGE DES EXPOSITIONS

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de Montparnasse, ils peuvent aller de pair avec les brasseries costumées. Les magasins de nouveautés ont la rage des expositions qu'ils pratiquent sur une large échelle. Qui n'a visité ces halles où la mousseline disparaît sous un tas de choses hétéroclites que les philosophes s'étonnent à bon droit de voir réunies là. Paris bientôt ne comptera plus que des brasseries et des magasins de nouveautés.

Il y a les expositions artistiques des cercles où en dehors d'œuvres réellement de valeur, s étalent en long et en large tant de croûtes que l'on admire quand même. - Un ponte mis à mal la veille par un banquier chançard ne peut pas s'il appartient à la grande confrérie artistique ne pas recevoir comme fiche de consolation

un compliment de son collègue.

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Il y a également dans ces cercles des expositions dramatiques, puisque l'on y représente des œuvres inédites de certains membres qui sont toutes proclamées de purs chefs-d'œuvre.

M. Molier nous montre tous les ans en son cirque si original les formes athlétiques, les prouesses, les tours de force - à pied et à cheval des gentlemen ses amis et de gentes damoiselles de hauts lieux; c'est une exposition fort courue et à laquelle il n'est pas donné à tout le monde d'assister.

II

y

a la Morgue où chaque jour on expose les désespérés de la vie et les victimes de MM. les assassins que la sûreté ne pince jamais, c'est une exposition qui attire toujours un nombreux public avide d'émotions.

Il y a les petits théâtres où certaines grues dramatiques ont la rage d'exposer leurs charmes surannés, et où nous sommes exposés à entendre parfois des inepties en prose et en vers et des airs de musique qui nous donnent la danse de Saint-Guy.

Il y a eu l'exposition triennale. Elle a fait four, n'en parlons plus; l'exposition des diamants de la couronne, l'exposition canine où les banquiers coudoyaient plus d'un cerbère, l'exposition des bébés qui aurait dû amener l'exposition des nourrices. Que d'expositions avant celle de 1889, qui doit être le plus beau fleuron de la couronne de notre ministre du commerce et de l'industrie, car M. Lockroy nous a assuré qu'elle serait le digne couronnement de ce siècle. Ainsi soit-il!

LA RAGE DE LA CHARITÉ

La charité jadis s'exerçait sans éclat

Dans Paris maintenant, on en fait un état.

Loin de moi la pensée de m'élever contre la charité, car, sachez-le, le plaisir de donner est plus grand que celui de recevoir. Je proteste seulement contre cette rage qui, à un moment donné, s'était emparé de nous tous, et ce au profit des étrangers, alors que nous avons tant de misères à soulager autour de nous, et qu'à tout instant on ramasse des malheureux qui meurent d'inanition. Le peintre Pelez en sait quelque chose, lui qui tous les ans expose au Salon des tableaux aussi navrants que réalistes qui ne figureront jamais dans le boudoir d'une cocotte. A tout instant, dans le monde des théâtres, c'est une quête ou une représentation qu'on organise au profit d'un comédien dans le besoin, d'un machiniste blessé ou d'une veuve sans ressources. C'est parfait, et je ne demande nullement que M. Pasteur guérisse de cette rage ceux qui en sont atteints, pas plus que les peintres qui décrochent un de leurs tableaux pour figurer dans une vente faite au bénéfice d'un camarade devenu aveugle ou de ses enfants auxquels il ne laisse comme héritage qu'un beau nom. Je connais des peintres qui, dans ces occasions et bien que peu fortunés, donnent souvent un tableau d'une valeur variant entre 1,000 et 10,000 francs. Ce sont de ces choses que l'on voit rarement sous le péristyle de la Bourse. Ajoutons pourtant que dans la finance on fait souvent appel au bon cœur des gens de bourse et que ce sont toujours les commis qui donnent plus que les patrons.

On a usé beaucoup d'encre à propos des fêtes de charité qui firent rage pendant une période de dix ans. Il y a beaucoup à dire contre, il y a plus à dire pour. Ainsi, lors de la fête de Murcie, Paris disparaissait sous la neige et la glace. Les communications étaient partout interceptées; nombre de théâtres étaient fermés faute de gaz. Eh bien, pendant quinze jours, dames patronnesses et commissaires se rendirent ponctuellement à l'Hippodrome, bravant le froid et risquant leur santé. Pendant quinze jours on prépara un programme merveilleux; on organisa ces boutiques dont quelques-unes ont été rachetées par M. Molier pour en orner son cirque. Tout le monde paya de sa personne et de son argent. La fète fut splendide et donna de l'élan au commerce, car les couturières furent littéralement sur les dents. Les cochers

LA RAGE DE LA CHARITÉ

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<<firent leur beurre » et furent tout aussi arrogants qu'au carrousel du Champs-de-Mars.

Axiome.

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Quand un cocher fait sa tête les affaires marchent bien. Les plus belles actrices firent ample récolte de billets de banque et de pièces d'or, en vendant 25 louis une photographie ou 50 louis un tambourin illustré. Les commissaires (tous journalistes) dévalisèrent le lendemain Bonnet, le confiseur, en faisant main basse sur ses pastilles agents de change, tant, à force de crier, ils avaient attrapé d'extinctions! La recette fut colossale et nos bons amis tra los montes, grâce à la charité parisienne, eurent un adoucissement à leurs maux. D'aucuns prétendent que quelques alcades que la joie inondait gardèrent pour eux quelques bribes sous forme de chèques personnels. Ceci est le petit côté de l'histoire, et puis il y a tant de mauvaises langues dans le monde.

La fête de Szeggedin à l'Opéra, le pendant de celle de Murcie fut couronnée d'un plein succès. Puis vint la Foire aux Plaisirs aux Tuileries qui fut le prélude de la Fête d'Ischia dont la première partie, réservée aux Italiens, fut réussie en tout point. La seconde, dont le produit était destiné aux pauvres de Paris, fut contrariée par un ouragan épouvantable. Ce qui n'empêcha pas les dames artistes et les commissaires d'être à leur poste... de combat, dès neuf heures du matin et en permanence jusqu'à deux heures de l'après-midi. On ne savait pas s'il était prudent d'ouvrir le jardin au public, en présence des accidents qui se produisaient à tout instant écroulement de baraques, chute de branches d'arbres, de mâts, de poteaux, etc. Enfin on ouvrit les grilles, la foule se rua dans le jardin, et Me Granier trouva le moyen de vendre cinq louis des gaufres assaisonnées à la poussière, pendant que Christian débitait des boniments et des cahiers de chansons ou des recueils de calembours dus à son imagination. Le concert de l'Orangerie faisait rage et le feu d'artifice excitant l'admiration générale.

Il y eut encore quelques fêtes taillées sur ce modèle, mais le succès fut moins grand. A Paris, il nous faut du nouveau, n'en fût-il plus au monde; et puis l'élément saltimbanque a empiété sur l'élément artiste, aussi nombre d'étoiles se sont récemment éclipsées, préférant envoyer leur obole, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

Faut-il vous parler des concerts de bienfaisance qui font rage au Trocadéro ? Je ne vous citerai que celui qui a été donné en l'honneur de M. Pasteur et qui a été pour l'illustre savant l'occasion d'une ovation spontanée et attendrissante.

Venons maintenant aux fêtes de charité mondaines,

La grande préoccupation de nos aristocratiques mondaines est d'organiser des ventes et fêtes de charité sous d'innombrables formes. Tous les journaux citent chaque jour les noms les plus huppés des dames patronnesses de telle ou telle œuvre. Et cette publicité va au cœur et à l'amour-propre de ces dames. Ce que je constate avec peine, c'est de voir certains individus chercher à se faire de la réclame en s'immiscant dans ces fêtes. Ils se disent: charité bien ordonnée commence par soi-même; donc en avant les coups de cymbales sur la grosse caisse du puffisme. Aussi nous voyons à chaque fête publique ou privée, parmi les bons, parmi les vrais, parmi les purs charitables tout un essaim d'artistes médiocres, de commerçants jaloux et cupides, d'insipides chanteurs, de mauvais comédiens prêter le concours de leur savoir faire, au bénéfice des victimes à ce qu'ils disent, mais en réalité au bénéfice de leur satisfaction personnelle. Voilà pourquoi aux fêtes du Commerce et de l'Industrie données aux Tuileries et qui ont été pour ainsi dire l'épilogue de la foire au pain d'épices et le prologue de la fête de Neuilly, les organisateurs ont préféré faire une véritable kermesse rappelant les Porcherons. L'argent qui y a été dépensé était plébéien; il n'en sentait pas plus mauvais pour cela et la récolte a été fructueuse. On peut laïciser tous les établissements et les œuvres charitables, qu'importe il y aura toujours en France des sœurs de charité, heureusement !

POUR

LES

PAUVRES

S.V.P

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