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Aujourd'hui on va en ballon comme on va en tramway. Les ballons captifs ont donné le goût aux simples mortels de planer dans les airs, les uns pour admirer le panorama merveilleux de Paris, lesautres parce qu'ils se figurent être des aigles sans allusion politique - A tout instant il y a des expériences aérostatiques qui réussissent plus ou moins. On a encouragé en haut lieu celles qui ont été faites l'année dernière à Meudon pour diriger des véhicules aériens. - On les reprendra certainement un jour ou l'autre, car la science n'a pas encore dit son avant dernier mot à cet égard. Le ballon est dans nos mœurs et Sarah Bernhardt goûtait un plaisir ineffable à se perdre dans les nuages, et elle s'y perd souvent encore.

Nadar préférait s'enlever dans les airs plutôt que de faire poser les sommités artistiques devant son objectif. Ulric de Fonvielle fait sa petite partie aérienne avec la même aisance qu'un journaliste allant prendre un madère chez Tortoni.

Et Godard, en voilà un qui a fait souvent parler de lui; il a fait plus de mille ascensions. Le ballon, je le répète, fait rage, et la preuve c'est que dans plus d'une discussion entre deux électeurs du citoyen Camélinat vous entendrez souvent cette phrase académique : Tu sais, toi, je vais t'enlever le ballon! Les grands magasins de nouveautés donnent comme prime aux enfants de leurs clientes des ballonsréclames. Et comme ces ballons se gonflent et grossissent chaque jour d'une façon démesurée, le temps est proche où un bébé sera

LA RAGE DES BALLONS

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enlevé dans les airs, tout comme Pamphile du baron de Crac par les canards que vous savez. Et une femme à la tournure proéminente fait dire aux marmitons qui commencent à pulluler sur le boulevard (on en voit par bandes à toutes les fêtes, c'est le vrai gamin de Paris maintenant)! Oh c'te dame, en voilà une qui a du ballon! Dans les sphères plus élevées au foyer de la danse, les abonnés disent à la Mauri qu'elle a du ballon! Enfin dans la rue de l'Echiquier vous entendez du matin au soir un emballeur dire à ses ouvriers: Vite, vite, emballons! Mais ne nous emballons pas plus longtemps sur les ballons!

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PROPHÉTIES RAGEUSES POUR 1889

La ruine de Jérusalem fut prophétisée par Jérémie.

Les affaires ne vont pas, telle est la triste et sempiternelle exclamation que l'on entend dire en rageant dans le monde où l'on travaille, et la nuit dans celui où l'on s'amuse. Les uns disent que cela durera encore longtemps; moi je crois que vers 1889, au moment de l'Exposition, nous serons au bout du rouleau et de nos maux en même temps. C'est alors que nous en verrons de drôles. En 1889, la Bourse sera heureuse comme était jadis la Bourgogne. Les spéculateurs et les clients envahiront de nouveau le temple redevenu trop petit et qu'il sera question de transporter, comme en 1881, au Champ-de-Mars ou au Palais de l'Industrie. Ce dernier emplacement me paraît bien plus de circonstance, vu le nombre toujours croissant de chevaliers qui sont de la Bourse le plus vilain ornement. On comptera deux ou trois émissions par jour. Elles seront couvertes avant d'être ouvertes, ce qui évitera les courants d'air. Tous les boursiers rouleront... non leurs clients, mais sur l'or et exerceront la polygamie sur une large échelle. Ils auront des sérails à rendre jaloux le Grand Turc lui-même. Les cafés seront insuffisants pour contenir la foule des consommateurs. On établira, comme à la fête des Loges, des buvettes en plein vent sous les marronniers.

Le Métropolitain ne sera pas terminé, ce qui enchantera les rageurs qui le raillent d'avance.

Les recettes des omnibus seront écrasantes.

Il y aura tellement de monde dans les théâtres qu'en dehors des

PROPHÉTIES RAGEUSES POUR 1889

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matinées dominicales on organisera des représentations qui commenceront au lever de l'aurore.

Les cafés du boulevard regorgeront de monde; non contents d'accaparer les trottoirs, les garçons mettront des tables sur la chaussée, et quand ils crieront: « Versez terrasse! » on ne sera pas étonné de voir toutes les voitures verser sur les consommateurs.

L'électricité brillera partout. Le vieux gaz éclatera de rage dans son compteur.

Il n'y aura plus que des rosières sur les boulevards. Quant à la Société Alphonse et Cie, ses membres se seront dispersés aux quatre coins du globe, et, au lieu de faire travailler leur Nana, ils défricheront la terre, ce qui changera leur élément.

On vendra encore les Scandales de Londres. Dix-huit propriétaires de journaux qui les reproduiront deviendront tous millionnaires. Le télégraphe électro-dynamitique lancera les dépêches et elles arriveront avant même d'avoir été enregistrées. Notre éditeur Jules Lévy, publiera la 250,000 édition des Mémoires de Cora Pearl.

On continuera à jouer la Mascotte, le Maître de forges, le Grand Mogol et le Théâtre-Populaire (ci-devant des Nations) jouera des pièces révolutionnaires qui ne révolutionneront personne.

Ballande, toujours truffé de louables intentions, sera directeur de l'Odéon et y reprendra Garibaldi.

Paulus sera du Conseil municipal et le citoyen Mesureur, marguillier de Saint-Eustache.

Judic aura maigri et Sarah Bernhardt engraissé.

C'est au concert des Ambassadeurs que les lycées de jeunes filles suivront des cours de chant et de belles manières.

On sortira rassasié des bouillons Duval. La Maison d'Or et Bignon donneront des dîners à 1 fr. 75, cure-dents compris.

A. de Jallais entrera à l'Académie... pour demander des nouvelles d'Alexandre Dumas.

Tous les cercles seront rouverts, au grand désespoir des vieilles gardes et des majors de table d'hôte qui ne pourront plus désormais plumer les pigeons aux petits rams de famille

Il n'y aura plus de camelots sur les boulevards! mais on vendra toujours de la camelotte.

Le prix des huîtres diminuera. Toutes les figurantes des Nouveautés et des Menus-Plaisirs auront leur hôtel avenue de Villiers. Elles auront du talent.

Il y aura des fêtes superbes à la Présidence, et M. Grévy se ruinera en frais de buffet.

Monte-Carlo installera, concurremment avec la Roulette et le Trente-et-Quarante, un jeu de loto napolitain. Un gros joueur y étouffera d'indigestion en avalant 20,000 haricots qu'il aura gagnés dans une série de quines fantastiques.

Enfin les journalistes auront tous la même opinion politique, les mêmes principes religieux et les mêmes bonnes fortunes, et seront tous payés à 20 francs la ligne et par conséquent il n'y aura plus de duels qu'entre les manchots et les invalides.

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