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les horizontales de grande et de moyenne marque vont pincer en catimini un petit chahut (jadis on disait cancan) qui leur ouvre les bras et le porte-monnaie des quelques spectateurs à pépites qui préfèrent ces établissements cythéréens el mystérieux aux bals publics. Conclusion, on ne danse plus, on fait danser! et, si M. Jourdain, le maître à danser du Bourgeois gentilhomme, ouvrait un cours comme ceux de Laborde, de Renausy et du High-Life, rue de l'Échiquier, il n'apprendrait pas à ses élèves à faire une révérence pour saluer une marquise, mais à se disloquer, à se désosser, à se décarcasser pour faire pâlir la réputation de Grille-d'Egout et de la Goulue.

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LA RAGE DE LA VENGEANCE

Une femme a toujours une vengeance prête.

MOLIÈRE.

La vengeance est boiteuse, elle vient à pas lents.
VICTOR HUGO.

La rage de la vengeance sévit surtout sur le sexe faible. Une jeune fille, séduite et abandonnée au moment où elle est sur le point de donner à la patrie un volontaire de plus, ne songe plus à s'asphyxier ou à se jeter dans la Seine. C'est le vieux jeu, et le réchaud classique de la grisette de Paul de Kock est depuis longtemps démodé. Les mœurs ont changé et le progrès a marché. Alors que l'orgue fait entendre dans l'église ses accords joyeux et que don Juan fait une fin en épousant la fille d'un riche chocolatier, Ariane veille à la sortie et elle a son petit pot de vitriol tout prêt pour le jeter à la tête de l'infâme qui en aura ainsi plein le nez. A tout instant la Gazette des tribunaux relate des faits de ce genre. Le drame se dénoue à la Cour d'assises et les juges, toujours galants, acquittent la jeune femme qui a eu cette rage vengeresse.

Tout le monde a encore présent à la mémoire l'incident de Mme Clovis Hugues, qui s'est vengée en pleine salle des Pas-Perdus, en déchargeant un revolver sur l'homme d'affaires Morin. L'opinion publique l'avait d'avance acquittée. Le verdict du jury a été celui du monde honnête. Mais je ne conseillerais pas à toutes les femmes qui ont à venger une injure, d'imiter l'exemple de Me Hugues. Il y a trop de monde dans le temple du Thémis, un plaideur inoffensif pourrait recevoir une balle destinée à un autre, et sa mort empèche

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rait peut-être de vivre quelques avocats, avoués, greffiers, huissiers et toute la confrérie de la Bazoche.

La vengeance sévit au collège, quand les discipuli ont à se plaindre d'un pion par trop sévère. Ils inventent alors des niches qui sont parfois bien cruelles pour le pauvre bachelier au chapeau crasseux et aux habits râpés. Elle est quelquefois sanguinaire, dans un atelier, quand les ouvriers ont à se plaindre d'un contre-maître trop dur. Elle est rare dans l'armée, mais on voit parfois un simple bleu se venger d'un caporal ou de l'adjudant de service. Et c'est toujours grave, car il y va de la peine de mort, et M. Grévy ne peut pas toujours faire grâce au soldat condamné au peloton d'exécution.

Un conseil que je donnerai en passant à mes lecteurs, c'est de ne jamais brusquer un garçon de restaurant. Chaque fois qu'il vous servira un plat brûlé, dites-lui qu'il est exquis, et si en vous apportant l'addition il glisse une pièce de menue monnaie sous la note, ne faites aucune observation. Au contraire, ajoutez une autre pièce, autrement si vous le tarabustez il s'en vengera en mettant les pieds dans le plat, c'est-à-dire en crachant dedans!

Une vengeance que je trouve idiote, c'est celle de la carte postale, et malheur à vous si vous êtes en délicatesse avec votre concierge. La carte postale sera lue à toutes les cuisinières de la maison et les locataires sauront que vous portez de la flanelle, que vous avez une maladie de peau, que votre maîtresse vous fait poser et que votre femme vous trompe. Vous deviendrez la risée du quartier et il vous faudra déménager, ce qui est toujours désagréable, d'abord, parce que cela coûte de l'argent, ensuite parce que les déménageurs vous égarent toujours ou cassent des bibelots auxquels vous tenez énormément, et enfin, parce que neuf fois sur dix, vous prenez un appartement plus cher, mais en revanche moins commode.

Au théâtre il y a des vengeances à tout propos. Les femmes excellent à se piquer entre elles. Une grue qui n'a que cinq lignes à dire et que l'on remercie parce qu'on la trouve insuffisante aux répétitions, se vengera en disant que le directeur est un pleutre qui profite des amendes infligées à tort et à travers à ses pensionnaires, que le régisseur est un goujat, que le chef d'orchestre n'observe aucune mesure, que le souffleur est aphone et que l'auteur fait jouer une pièce qui n'est pas de lui. Elle rentrera dans la vie privée... de tout et se vengera de ses déceptions artistiques en plumant jeunes et vieux, petits et grands.

La vendetta n'existe pas seulement dans les maquis de la Corse. Elle s'exerce à Paris à tous les carrefours, dans les caboulots et les ca

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barets, et l'amour trompé donne souvent lieu à des vengeances raffinées. C'est à lui que nous devons tout particulièrement l'usage abusif du vitriol.

Le revolver a fait les cent dix-neuf coups. Le poignard s'est émoussé. Le casse-tête manque de plomb... dans la sienne. Le poison est devenu trop accessible... dans les pharmacies. Le charbon, comme les cigares de la régie, ne veut plus s'allumer dans son réchaud. Les cordes se cassent tant le chanvre en est mauvais pour cravater les écoeurés de l'existence. Enfin, on a vu le flot rejeter une horizontale à demic-noyée pour la mettre... dans le palissandre.

«Ceci tuera cela », soit, mais cela, ne se laisse pas toujours faire. A nous l'ère... de la Marseillaise et du vitriol! Oui, du vitriol, qui s'est imposé en justicier, sur les tables des pièces à conviction de toutes les cours d'assises. Le crime par le vitriol ne consiste pas tant dans le principe corrosif de cet acide, que dans la manière plus ou moins cruelle, perfide et même originale de le lancer à la face de ses contemporains... gênants. La France, Paris surtout, ont horreur du poncif; MM. les meurtriers français j'englobe le beau sexe criminel dans ce substantif masculin) nous le prouvent tous les jours. Dernièrement, une actrice éconduite n'a rien imaginé de mieux comme récipient à vitriol... homicide, que de se servir d'un pot de moutarde (veuf de moutarde, bien entendu). La victime de cette méchante cabotine ne pouvait se méfier n'ayant jamais pu supposer qu'en mangeant le pot au feu chez lui avec la moutarde de rigueur, sa maîtresse, jalouse, en utiliserait le pot pour manger le bœuf d'abord et tuer son amant ensuite. Bornibus, le premier moutardier (j'allais dire: du pape !), de notre temps, tient à honneur de désavouer ce pot de moutarde... assassin. Le vitriol est synonyme de vitrier: en effet, si cette maîtresse criminelle avait brûlé les yeux de sont amant, il eut bien fallu que celui-ci se fit mettre des yeux de verre. Bref, nous pouvons dire sans passer pour nous amuser à la moutarde, que celle, ici en cause, a monté au nez de tous les honnêtes gens.

La cabotine vitrioleuse aura à solliciter longtemps... à l'ombre, un père pour son moutard, et notre pardon à tous pour sa moutarde.

Comme vengeance carabinée, et heureusement plus rare, nous vous signalerons la suivante pour finir. Un de nos amis en a été témoin, tout ce qu'il y a de plus oculaire. Tout le monde connaît X... on ne peut lui reprocher d'ètre carré par la base, car pour lui il n'y a qu'une chose vraie... un cercle! Nous l'avons suffisamment désigné en ajoutant qu'il est toujours pâle comme un actionnaire des téléphones, que

sa moustache est fine et sa voix douce et musicale; il a croisé, il y a quelques jours, sur le boulevard, un pauvre diable n'ayant d'autre mouchoir que ses doigts. D'un geste noble il envoie le trop plein d'une narine, sur la manche de X... Celui-ci, furieux, veut s'élancer sur le misérable qui est si maladroit. Il est pétrifié : l'agresseur mettant son doigt contre la narine restée pleine, lui crie d'un ton menaçant: N'avance pas ou tu es mort, car l'autre est chargée!

Il reconnut dans ce drôle un ancien machiniste du théâtre de l'Ambigu. Il finit par découvrir son adresse et lui fit parvenir une tabatière, remplie de tabac, en recommandant à la portière de la placer bien en vue dans la mansarde. Le pauvre diable, sans défiance, mit la tabatière dans sa poche. Il prit le plus innocemment du monde une prise sur le boulevard et... pif! paf! comme s'il eût été un simple czar, massacré par des nihilistes, il s'éparpilla en mille morceaux sur le trottoir, la chaussée et dans les boutiques. Le tabac qu'il avait prisé contenait... du picrate! X... s'était terriblement vengé!!!

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