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LES GENEURS ENRAGÉS

Où y a de la gêne y a pas de plaisir.

Sous ce titre j'englobe également les empêcheurs de danser en rond, les faiseurs d'impairs et de gaffes, les rateurs et les gêneuses. Ils se recrutent dans tous les rangs de la société; on les rencontre dans tous les quartiers, ils pullulent; en vérité, je vous le dis, c'est une plaie de notre siècle. Voulez-vous que je vous présente quelques types de gêneurs? Allons-y... tristement.

Gêneur, l'individu qui vous appelle ma vieille et vous tape sur le ventre une heure après que vous vous êtes purgé.

Gêneur, celui qui vous invitant à dîner vous oblige à manger des plats que vous n'aimez pas, accommodés à l'huile d'olive quand vous ne supportez que la cuisine au beurre et vous fait boire du vin de Bourgogne qui vous entête au lieu du Bordeaux qui vous reconforte.

Gêneur, votre voisin de table au restaurant qui trouve tout mauvais, dit à haute voix au garçon que le poisson n'est pas frais, que son tournedos sent la margarine, que son pudding est brùlé, que son café est de la chicorée, et qui, brochant sur le tout, vous envoie dans le nez des bouffées de fumée d'un cigare de la régie, quand vous n'en êtes qu'au potage.

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Gêneurs, vos compagnons de route en chemin de fer qui, parlant à haute voix de leurs affaires, vous empêchent de lire votre journal ou de sommeiller. Comme c'est intéressant de les entendre dire que coton est mou, que la flanelle est offerte, que la récolte du colza laisse à désirer ou que le phylloxera étend chaque jour ses ra

vages.

Gêneur, celui qui vous demande à la Bourse les cours de la Rente

et ne vous les donne jamais; celui qui vous demande des conseils et donne ses ordres à un autre, celui qui vous dérange pour vous demander s'il fera bien d'acheter des Omnibus ou du Printemps.

Gêneur, celui qui vous dit que vous avez une bonne mine quand vous venez de consulter un spécialiste et vous félicite sur vos bonnes fortunes; celui qui vous force à boire de la bière quand votre médecin vous prescrit la tisanne de chiendent.

Gêneur, celui qui vous dit également que vous avez l'air malade, alors que vous êtes très impressionnable et que vous apprenez qu'une épidémie vient de se déclarer dans votre arrondissement.

Gêneur, celui qui vient vous réveiller à six heures du matin pour vous emprunter cinq louis quand il vous en faut vingt-cinq pour retirer de chez l'huissier un billet que vous n'avez pu payer la

veille!

Gêneur, celui qui vous demande des billets de faveur pour un théâtre où l'on fait le maximum, ou un permis de chemin de fer pour une ligne avec laquelle vous êtes en froid; le provincial qui vous oblige à lui faire voir les grandes eaux de Versailles, le puits de Grenelle, le Musée d'artillerie et celui Grévin, le Jardin des Plantes, la Morgue, et vous emmène ensuite diner chez Duval.

Gêneur, celui qui. au théâtre, chante avec le ténor, déclame avec le premier rôle, rit avec le comique et bat la mesure avec la danseuse ! Gêneur aussi celui qui trouve la pièce infecte quand vous vous amusez comme une petite folle.

Gêneur, celui qui au café vous dit! « Le journal après vous », alors que le garçon vient de vous l'apporter; celui qui vous conseille la pommade Alain contre la chute des cheveux, celui qui au théâtre ronfle à côté de vous, celui qui en gagnant sa place vous écrase votre chapeau, celui qui ne ferme pas la porte du restaurant quand vous dînez à l'entrée et que le vent souffle avec rage; celui qui vous propose des cartes transparentes; celui qui pèchant à la ligne à côté de vous éternue quand l'ablette commence à mordre; celui qui vous marche sur les pieds et oublie de vous demander pardon; celui qui vous dépasse quand vous entrez dans une colonne du boulevard et que l'on contemple sans fierté aucune; celui qui vous corne aux oreilles le refrain inepte:

Et qui qui va za dada?

C'est papa.

Et qui qu'a l'air très content ?

C'est maman.

LES GÊNEURS ENRAGÉS

Et qui prend un ton sévère?

C'est mon frère.

Mais qui qu'a la bouche en cœur?

C'est ma sœur.

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celui qui vous arrète au passage quand vous courez à un rendezvous pressé, pour vous dire cette phrase banale! Qu'est-ce qu'il y a de nouveau?

Gêneurs, les tailleurs réclamant leur note, les concierges vous laissant sonner une heure quand il pleut à torrents, les ouvreurs de portières, ceux qui vous crient dans le dos : Au vitrier! les balayeurs des rues qui vous envoient leur balai dans le nez, les arroseurs qui vous éclaboussent, ceux qui vous donnent des prospectus pour des restaurants à 1 fr. 10, ceux qui viennent vous demander d'être leur témoin dans un duel alors qu'ils sont disposés à faire à leurs adversaires de plates excuses; celui qui vous dit un calembour suranné, qui, vous voyant au bras d'une jolie femme, vous demande si vous chassez toujours le lapin, celui qui vous dit que vous grisonnez, celui qui vous demande si vous gagnez de l'argent quand vous avez la guigne, si vous êtes toujours célibataire quand une heure avant vous avez eu une dispute avec votre belle-mère.

Et les gèneuses, parlons-en. Vous allez à l'Eden fumer une cigarette. Une promeneuse vous demande un bock, une autre cinquante centimes pour... autre chose; celle-ci vous dit de lui payer son vestiaire, celle-là vous demande pour sa voiture et cette dernière l'argent de son terme. Vous refusez et elle vous appelle actionnaire de l'endroit. C'est très embêtant!

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Gèneuse, le bas-bleu qui vous dérange quand vous êtes en train de travailler pour vous lire des vers de quinze pieds.

Gêneuse celle qui vous accuse de l'avoir rendue enceinte quand vous savez qu'elle vous a trompé avec quatorze de vos amis.

Geneuse surtout celle qui vous prend par le bras alors qu'à la sortie du Gymnase vous attendez votre douce fiancée. Elle vous promet les délices du paradis au moment où votre futur beau-père vous apercevant roule de gros yeux et vous envoie au diable.

Gêneuse la dame du monde qui vous force la main et vous oblige à prendre des billets pour un concert de bienfaisance, ou pour une loterie dont le tirage ne se fait jamais.

Gêneuse la femme qui à votre bras ne fait pas attention à ce que vous lui dites et regarde ceux qui lui font les yeux en coulisse.

Geneuse, celle qui vous attend pour aller à une première et qui

arrive en retard d'une heure. Vous avez à peine le temps de diner et vous avez une bonne indigestion en perspective.

Celle qui vous demande votre protection pour entrer au théâtre, se dispute le lendemain avec le directeur et vous brouille avec lui.

L'élève du Conservatoire qui vous joue pendant une demi-heure le morceau de piano avec lequel elle doit remporter le premier prix et qui vous gratifie d'un mal de tête épouvantable.

Celle qui vous fait des scènes de jalousie en public et vous tourne le dos... en particulier.

La maîtresse de maison qui vous fait danser avec des grandes filles maigres qui font tapisserie, avec des veuves sentimentales ou des grosses mamans qui suent et se laissent aller dans vos bras quand vous n'en pouvez plus et que vous soufflez comme un phoque.

Il y en a d'autres, mais je crois que c'est assez comme cela.

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LA RAGE DE L'AMOUR

Amour est un étrange maître.

LA FONTAINE.

Si tous les enragés d'amour devaient recourir à la science de M. Pasteur, le Palais de l'Industrie annexé aux Halles centrales annexées elles aussi aux Magasins Réunis et à l'Hippodrome seraient trop exigus pour les recevoir.

L'amour platonique est souvent plus enragé que l'autre mais les femmes, et surtout les hommes qui le professent se font excessivement rares. Une entrée à vie aux Folies-Rambuteau, à qui nous présentera seulement un quarteron de ces êtres extraordinaires pour qui Lamartine a dit:

L'amour est innocent quand la vertu l'allume au milieu.

La rage d'amour sévit notamment, et pour cause, sur les oisifs et les désœuvrés. Elle est quelquefois une distraction dangereuse pour le commun des mortels, souvent pour les gens de guerre (voyez Mars), et toujours pour les souverains, demandez plutôt à François Ier, à Louis XV et consorts.

Mme de Staël avait pressenti ce fatal délire en le définissant: Une

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