Images de page
PDF
ePub

LA RAGE

DES DÉCORATIONS

Les décorations n'ajoutent pas aux mérites des hommes.

(DE LÉVIS.)

Anatole Beaupertuis en avait le cauchemar, Il en rèvait nuit et jour. Son idéal c'était de voir rougir sa boutonnière!

Ah! dame, c'est qu'un ruban bleu, violet ou rouge, surtout rouge, ça fait bien dans le paysage!

Et puis ça vous pose aux yeux de votre concierge, de votre femme de ménage, de votre fruitier, de vos créanciers et de votre bonne amie.

Et en chemins de fer done!

En tramways!

En omnibus!!!

Dans les casinos d'été ou d'hiver.

Au contrôle du théâtre des Bouffes-du-Nord!

Il se dit un jour, en se passant les mains dans les cheveux : « Ça n'est pas si difficile que ça de se faire décorer. »

On donne une décoration au Monsieur qui fait des pâtés sur cinq lignes parallèles et envoie à une « tête couronnée» une épreuve sur papier de Chine de la chose qu'il vient de perpétrer.

[blocks in formation]

On en donne une au Monsieur qui écrit sur la susdite une tartine plus ou moins beurrée qu'il dédie à la « tête couronnée » ci-dessus.

On en accorde une troisième à l'artiste, au tourmenteur de boyaux de chat qui fait pleurer son violoncelle sur la même air, ou à l'animal qui tape de toutes ses forces sur un piano Baudet à 25 francs par mois de plus en plus sur la même air.

-

On décore les gens qui font des brochures sur la pisciculture en chambre ou des recherches sur la façon dont les Grecs de l'antiquité attachaient leurs bretelles.

On en accorde aux individus qui s'intitulent dentistes et qui vous démantibulent la mâchoire, histoire d'avoir du foin dans leur ratelier... à eux.

On en donne aux braillards des cafés-concerts.

On en donne aux gens qui chantent la gloire de Bornibus, d'Arnold le pédicure, d'Old England, du chapelier Léon ou du papa Jaluzot. On en donne aux banquiers et aux émetteurs de 3o catégorie, aux maîtres de danse, aux savants gagas, aux marchands de confections, aux acrobates, aux dompteurs de bêtes féroces, on en donne à tout le monde.

Et moi seul je n'en ai pas...

Ça ne peut pas durer.

J'ai une bonne plume de fer de Tolède.

Sachons, sachons nous en servir.

Et Anatole, pendant six mois, fit sur l'Espagne des articles très remarqués.

Il allait avoir son ruban, quand un pronunciamiento eut lieu à Saint-Sébastien et sa nomination se perdit dans la révolution qui éclata à Madrid.

On n'a pas idée de ce que les pronunciamientos occasionnent de révolutions dans le beau pays du soleil.

Lors de l'Exposition de 1878, il fut présenté au Shah de Perse. Le drogman avertit Sa Hautesse qu'Anatole passait les nuits à chanter ses louanges.

Il allait recevoir son firman, quand le Shah quitta précipitamment Paris pour assister aux représentations de Sarah en tournée à Téhéran.

Anatole, de ce jour, devint l'ennemi de Sarah!

On lui promit une décoration exotique. Il recula devant les frais de chancellerie qui se montaient à 5,395 francs, plus un bon petit procès en correctionnelle.

Il alla en Tunisie. La guerre était terminée.

Il partit en Egypte combattre Arabi avec les Anglais servit comme volontaire se fit enfoncer une côte et n'obtint rien en compensation, bien que ses compagnons d'armes eussent tous reçu des médailles commémoratives.

-

Mais voilà le chiendent c'est excellent dans la saison où nous sommes, il fallait être fils d'Albion pour être porté sur la liste et Anatole avait vu le jour à Batignolles, rue des Dames.

Il y a des gens qui n'ont pas de chance.

Bref, voulant à toute force avoir des ordres, et ne pouvant y arriver

LA RAGE DES DÉCORATIONS

17

avec la plume, résolut de ne pas en avoir le démenti et, armé d'un bon crayon protégé par un bout de gomme, il vint à la Bourse, entra comme remisier chez un coulissier, et eut plus d'ordres qu'il n'en voulut.

Seulement, ses clients étant des véreux de la plus belle ou plutót de la plus laide espèce. A la liquidation, personne ne paya, et, de désespoir il se brûla ce qui lui restait de cervelle, et mourut dans le plus beau désordre qu'il soit possible d'imaginer!

Pauvre Beaupertuis!

Il aura eu du moins une croix... de bois sur sa tombe.
Oh! les quémandeurs de la légion d'honneur!!!

[ocr errors][merged small][merged small]

Nous vivons dans un siècle où chacun s'ingénie pour inventer quelque chose les uns pour le bien-être de l'humanité; les autres, plus pratiques, pour leur bien-être à eux. On est à l'affût d'idées nouvelles, on cherche à faire jaillir de sa cervelle l'inconnu, ou du vieux que I on remet à neuf. Ne dit-on, pas, en effet, qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil? Et pourtant, je ne crois pas que les omnibus à trois chevaux qui écrasent tant de piétons, que les pompes à vapeur pour combattre les incendies ou vider les fosses d'aisances, que les complets Crémieux à 35 francs ou les chapeaux en liège et à 9,90, que les jerseys et les bretelles hygiéniques étaient connus sous Auguste ou sous Clodion le Chevelu.

Entre deux bocks, j'ai trouvé quelques recettes économiques que je livre à mes contemporains sans arrière-pensée et sans demander le moindre brevet S.G.D.G. Sur ce, je commence.

Pour se préserver des ardeurs du soleil.

Se promener en tenant sur la tête un arbrisseau de la main gauche et un arrosoir de la main droite; se le verser de temps à autre sur la plante des pieds; cela vous rafraîchit et fait pousser en même temps l'arbrisseau dont les feuilles vous protègent contre les ardeurs de Phœbus.

« PrécédentContinuer »