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LA RAGE DU BOCK !

Méfions-nous, mes frères, méfions-nous du bock envahisseur. Certes, les cafés n'ont pas encore le dessous, mais du train dont s'ouvrent les brasseries, et surtout les brasseries à femmes, il y aura bientôt à servir plus de bocks que de mazagrans et que de n'importe quel breuvage. Est-ce que le marchand de vin lui-même, qui n'avait jadis que quelques canettes en cave pour ses clients d'été, ne s'est pas mis, lui aussi, à avoir de la passion pour verser des bocks jusqu'à plus soif?

Je vous parie qu'avant deux ans le classique, l'immuable marchand de coco, ne pouvant plus écouler sa marchandise, remplacera son eau de réglisse par des chopes à un sou.

L'étranger en est arrivé à colporter des bruits alarmants pour la vigne française. A qui veut l'entendre, il dit qu'il ne faut plus aller à Paris pour boire du bon vin, et l'étranger qui s'y connaît fait là une remarque absolument logique, avouons-le. Vous m'objecterez que si le phylloxéra n'était pas venu s'adjoindre à nos désastres, l'étranger se proclamerait encore l'ami de la dive bouteille, comme nos nationaux.

D'accord, mais à qui ferez-vous croire que le phylloxéra a ravagé toutes nos vignes, toutes?

Vous comptez sans la spéculation; pardon, pour être d'actualité, je devrais dire sans les pots-de-vin!..,

Qui ne sait que notre bon vin, comme la chanson du bon tabac, n'est pas pour notre fichu nez?

L'étranger, qui se plaint de ne plus pouvoir déguster ni sabler nos meilleurs crus, à Paris, sait bien qu'il lui reste, à lui (privilégié toujours), la joie de s'en verser dans son pays d'innombrables rasades.

Le vin est et restera toujours français; mais c'est le Français qui fait naturaliser son gosier: Allemand, Bavarois, Wurtembergeois, et qui ne s'aperçoit pas que c'est une manière comme une autre de livrer son palais à l'ennemi!

Vous voyez partout des brasseries s'intitulant: Caves de dégustation. L'installation en est fort rudimentaire et tudesque. C'est une boutique avec des tonneaux et des fùts de bière superposés les uns sur les autres; des tables et des escabeaux en vieux bois de chène; aux portes, aux fenêtres des vitraux culs-de-bouteille ou représentant des sujets bachiques; sur les murs, des écriteaux gloutons annoncent qu'on peut manger: choucroute et saucisse de Strasbourg; salade de museau de bœuf (!), harengs de Norvège, langue fumée de Hanovre, etc. En pénétrant dans ces caves en boutique, vous ne distinguez d'abord rien tant la fumée des pipes forme un nuage opaque. Dans cette tabagie, on ne s'en tient pas à l'humble bock; non, on s'enfourne de la bière au litre et au demi-litre. Quelle capapacité vous a l'œsophage d'un bockmane!

Entre ces établissements et les brasseries à femmes, il y a la différence de la bière blonde à la bière brune; donc elle n'est pas sensible. Ici Gambrinus règne seul; en face il s'adjoint Momus pour... mousser. Ces brasseries cythéréennes s'affublent de titres. galants.

Il y a la brasserie Pompadour, la brasserie des Fleurs, la brasserie de Cupidon, brasserie rabelaisienne, et je conteste à celle-là le titre qu'elle s'octroie sans vergogne.

Brasserie rabelaisienne!!! Quel sacrilège!

Rabelais patronnant le houblon... falsifié!

Rabelais qui s'écriait : « Cabaretier, je bois éternellement du vin. Ça m'est éternité de buverie et buverie d'éternité. Chantons, buvons, entonnons. Baste! Je mouille, je humecte, je boy et tout de peur de mourir. Du blanc! verse tout; verse de par le diable, verse de ça tout plein, la langue me pèle! »

Les brasseries dites Alsaciennes pullulent aussi. Cette enseigne produit toujours son effet patriotique; l'Alsacien surtout y mord....... il entre, s'attable et se grise, et quelle griserie!!!

Elle ne lui rend ni l'Alsace... ni la Lorraine!

A l'esprit français il faut les fumées du vin, pour le faire sortir étincelant de sa boite à cervelle. L'ivresse de la bière l'abètit et le rend lourd comme du plomb.

Garc à la bière, surtout à la bière allemande. Qu'elle est bien notre

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ennemie! Son ivresse évoque des fantômes à casques pointus ! Je me résume et je dis que toutes ces brasseries devraient donner à songer à des cœurs vraiment français. (Et il en est encore!) Est-ce que ce Gambrinus, roi et empereur, dont le portrait décore tous ces débits de houblon, ne semble pas, en quelque sorte, nous dire en exhalant un sourire railleur, et en élevant orgueilleusement sa chope mousseuse France, dans la bière, on trouve son linceul!!!

Cette étude ne serait pas complète si nous ne protestions de toutes nos forces contre ces brasseries qui installent en plein Paris un carnaval permanent. Croyez-vous que la bière que l'on vous sert à l'auberge des Adrets, à la brasserie des Apothicaires, de la Belle Ferronnière ou de vingt autres du même tonneau est plus fraîche, parce que le garçon qui vous l'apporte n'a pas de faux col, parce qu'il est en culottes courtes, en pourpoints, en costumes, en forçat ou en académicien. Est-ce drôle de boire du houblon dans la Taverne de l'Enfer ou dans celle de la Guillotine. C'est le cas de vous dire la bière vous attend. Et la brasserie des Singes, celle des Ratapoils et celle des courtisanes célèbres? Quelle rage ridicule, et combien les étrangers doivent nous trouver peu sérieux... pour ne pas employer une autre épithète!

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Il y a en ce moment une rage de duels.

Pour un rien on va sur le terrain: pour une question politique ou religieuse, pour une épithète malsonnante qu'un honorable décoche à son collègue dans le feu de la discussion.

Permettez-moi donc de donner quelques conseils aux gens affaiblis qui se soucient peu ou prou de risquer leur peau.

Si vous avez une affaire d'honneur avec un nègre, proposez-lui un duel à l'arme blanche. Il refusera par esprit de caste et votre honneur sera sauf.

Avec un pharmacien, n'y allez pas de main morte et exigez la pièce humide.

Avec un danseur, je ne vois que des coups de balai.

Avec un chef d'orchestre, des coups de bâton.

Avec un manchot, proposez l'arbalète. Il la tiendra comme il pourra.

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Avec un cul-de-jatte, le fleuret démoucheté et obligez-le à rompre.

Avec un borgne, le pistolet! Il visera de travers et au lieu de vous attrapper, il blessera un de ses témoins. Ça lui apprendra.

Avec un sourd, le revolver. Vous pourrez y aller carrément de vos six coups, il n'en entendra qu'un !

Avec un chef de cuisine, la batterie. Garé la sauce!

Avec un comédien, le poignard à ressort! Si ça ne tue pas, ça blesse encore moins.

Avec un maçon, le mortier!!!

Avec un vidangeur, le chassepot. Oùs qu'est mon opoponax?

Avec un maître baigneur, la lame.

Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Avec un avocat... Ah! non, puisque cedant arma toga!

Avec une cocotte, des pièces d'or. « Aimes-tu Margot la belle? » Air ancien, mais toujours de circonstance.

Avec un mari content, le bélier.

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