LA RAGE DU RÉALISME AU THÉATRE 39 vieux flacon d'eau de mélisse dans laquelle le garçon d'accessoires mettait deux sous de sirop de groseille ou d'orgeat, et la poudre dite de succession qui était tout simplement, du sucre en poudre dans un cornet. Les victuailles en chair et en os peuvent causer des indigestions mortelles aux comédiens; qu'il suffise de leur remettre sous la dent les boulettes de godiveau en papier mâché, le potage semoule en sciure de bois, la paille hachée qui imitait si bien la salade de barbe de capucin avec quelques rondelles de drap rouge comme tranches de betterave. Sarcey l'a dit avec raison, ce ne sont pas des meubles plus ou moins luxueux et artistiques, des accessoires plus ou moins riches et véritables qui donneront jamais de l'esprit ou de l'intérêt à une pièce. Molière (quoique tapissier) se passait parfaitement d'accessoires de prix, et combien de nos directeurs actuels, qui exhibant dans le salon riche de leurs comédies du grand monde des meubles d'acajou, de chêne ou de boule, finissent par se noyer en scène. Qu'en pense M. Ballande ? LA RAGE D'ÉCRIRE « Verba volant, scripta manent. » Cette rage prend son germe redoutable au fond de l'encrier, où la plume le puise par petites gouttelettes noires, violettes ou rouges, qu'elle laisse tomber sous forme de caractères plus ou moins illisibles sur toutes sortes de papiers. Ceux et celles qui sont possédés de la rage d'écrire risquent de se faire pendre, assommer, étrangler ou guillotiner vingt fois par jour à cause de leurs écrits irréfléchis ou sciemment répréhensibles; mais, peu leur importe! Vous objectez en vain à ces gens-là, avec toutes les preuves irréfutables, la vérité et la sagesse des penseurs profonds et des philosophes autorisés qui ont dit avec raison que les paroles sont des femelles et les écrits des mâles; que deux lignes de l'écriture d'un homme suffisent pour le faire pendre, qu'il faut parler le moins possible et n'écrire jamais, etc., etc. Donc chantons sans rage, la rage d'écrire, en nous inspirant des qualités et des défauts de la bouteille à l'encre. AIR: Vive la lithographie. C'est la boite de Pandore, Le bien ainsi que le mal. Sans l'encre point de journaux, On fermerait les bureaux, Que deviendraient nos commis Et la poste de Paris? Sans l'encre nos grands classiques Et nos auteurs dramatiques Se feraient-ils rire au nez? Sans encre on n'aurait chez nous Ni protèts ni billets doux, LA RAGE D'ÉCRIRE De l'encre double en affaires Car d'un écrit s'évapore Le bien, mais surtout le mal! 41 Messieurs les facteurs de la poste et les experts en écriture près les tribunaux sont les seuls à désirer l'inefficacité de la méthode Pasteur sur la rage... d'écrire qui n'a de pire rivale que la rage... de parler! sur laquelle, jusqu'à nouvel ordre, nous prendrons le sage parti de nous taire. LA RAGE DES LOTERIES On s'arrache les billets, On les vend par chapelets. Pour celui qui gagnera le gros lot! Sans cesse on bat la grosse caisse à coups de réclames dans les journaux à propos des loteries. Au boulevard Montmartre, deux poteaux immenses portant un écusson et des oriflammes gênent la circulation et obstruent la voie publique, mais apprennent aux pas sants que moyennant vingt sous on peut gagner 100,000 francs. Cent mille francs!!! Quel beau rêve et comme je comprends qu'on soit alléché par cette brillante perspective! Bienheureux donc celui qui aura la veine de gagner le gros lot. Pourvu que le bonheur et la surprise ne le rendent pas fou! En consultant à la fête des Tuileries une somnambule dont les séances sont tarifées cinquante centimes, j'ai pu savoir quel emploi ferait de son gain le mortel des deux sexes que le sort favoriserait, et voici le résultat de ma consultation : Sarah Bernhardt. - Si je gagnais cent mille francs! Je les dépenserais en 24 heures! LA RAGE DES LOTERIES Le Baron de Rothschild. Judic. 43 Ça me serait bien égal, j'en gagne le double dans mes tournées en province et le triple en Amérique. M. Jaluzot. --Je fonderais une caisse d'épargne pour les marchands de parapluies. Un directeur de théâtre. Je me retirerais à la campagne. Un pensionnaire du susdit. - Je succéderais au patron. Je mangerais mon argent, mais j'aurais le plaisir de faire ma tête avec mes camarades! Alphonse. J'entretiendrais Nana. La Baronne. J'agrandirais le cercle de mes opérations. Edouard Philippe. Je tirerais un feu d'artifice sur les ButtesChaumont pendant trois jours. Voilà qui me poserait auprès des gens éclairés de l'arrondissement. Un joueur de baccarat. - Je taillerais à banque ouverte. Il me faudrait ensuite emprunter cent sous au croupier. Mais l'émotion, la sainte émotion du jeu ! Une élève du Conservatoire. donnerais ma vieille à maman. Je m'achèterais une robe neuve et Ma voisine d'au-dessus. Je briserais ma machine à coudre. Voilà qui ferait plaisir à mon voisin d'au-dessous. A. de Jallais. Je pêcherais à la ligne toute la journée, au lieu d'en écrire pour l'Alcazar qui a la rage de fermer ses portes, quand l'Edorado les a toutes grandes ouvertes. Le chapelier Léon. - Je ne ferais plus de réclames dans le Figaro. Old England. J'augmenterais le nombre de mes ignobles voitures rouges! Ça embête les Parisiens, mais ça me fait vendre des pantalons à 19 fr. 50. M. Marque. J'achèterais le portrait de Cambronne. Louise Michel. J'en ferais don à une congrégation religieuse. Un Citadin. - J'irais vivre aux champs. Moi. Ça me ferait rudement plaisir... Et vous? Vous. T'es bête, nous aussi. -Eh bien, tâchez de gagner, c'est la grâce que je vous souhaite.... après moi. |