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LA RAGE... MUNICIPALE

Les deux chaises d'ivoire ont reçu les édiles.
VICTOR HUGO.

C'est une rage! Nos édiles plébéiens parlent de changer encore quelques noms de rues. Tout ça, c'est la faute à monsieur, pardon, au citoyen Mesureur, et puisque nous le tenons sous notre plume, ne le lâchons pas. Mais M. Mesureur, il faut le reconnaître, n'est pas le seul qui ait la rage de dicter ses lois à la capitale nombre de ses collègues, du grand Conseil, le suivant dans la même voie!

Cette personnalité justement critiquée appartient d'ores et déjà à la satire des faiseurs de revues de fin d'année, Blum, Toché, Blondeau, Monréal, de Jallais, mes frères, allons-nous assez blaguer ces baptiseurs et débaptiseurs de rues!!!

L'ennemi juré des saints (sans doute parce qu'il ne sait auquel se vouer) a prouvé à ses concitoyens dans la mémorable séance du 10 juin, qu'on peut être mesureur et perdre quelquefois la mesure... du bon sens.

Si M. Mesureur avait seulement six millimètres de jugeotte, il y eût regardé à deux fois, avant de proposer le « débaptême >> des rues dont le seul crime est de porter des noms qui n'inspirent pas suffisamment l'amour et le souvenir de la grande révolution.

Les conseillers municipaux d'aujourd'hui, M. Mesureur en tête, professent une diabolique horreur pour la logique. Puisque ces messieurs veulent singer leurs premiers prédécesseurs et qu'ils sont sur le point de débaptiser le chemin de fer de ceinture pour l'appeler tout simplement chemin de fer de Ture, je me permettrai d'attirer leur

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attention et leur colère sur d'autres rues de saints qu'il est inepte de laisser s'étaler plus longtemps sur les plaques municipales.

Pourquoi encore des préfets et surtout des préfé...rences? Au diable saint Denis et saint Martin qui, ce nous semble, déshonorent deux rues, deux faubourgs et deux portes monumentales dont l'une, par vos soins, messieurs, est en réparation. Donc, vous nous devez, pour être conséquents avec vos principes (immortels!) la rue, le faubourg et la porte Martin, le faubourg, la rue et la porte Denis ; et que, si vous continuez, messieurs, à supprimer tout ce qui est saint et à conserver tout ce qui ne l'est pas, vous nous embêterez encore pendant pas mal de mois dans cette salle de l'Hôtel de ville où vous ne vous faites pas prendre en odeur de sainteté. L'idée m'est venue de dépêcher un habile reporter, dans le ménage de M. Mesureur, et voici ce que le reporter m'a rapporté. Qu'il soit maudit, s'il a menti:

Hier matin, M. Mesureur a fait mander chez lui un de nos plus habiles chirurgiens et lui présentant Mme Mesureur toute tremblante, il lui a dit sévèrement : Docteur, faites vite l'ablation de ces deux seins que plus longtemps je ne saurais voir. Mme Mesureur est tombée en sycope, car en syncope, son mari ne l'eût jamais voulu. La malheureuse épouse s'est écriée : « Aveugle époux! ces seins-là ont nourri tes enfants! »

A cette juste observation, M. Mesureur s'est attendri jusqu'aux moelles, il a relevé sa femme éplorée et a congédié le chirurgien, mais en murmurant tout bas : « Non, non, le saindoux lui-même est pour moi sans appas» et il a écrit à Sarah Bernhardt qui, comme on le sait, est une nourrice sèche... Ce n'est pas tout; M. Mesureur avait sur son carré un fabricant de corsets -oh! ça n'a pas traîné! Le farouche ennemi des seins, pour embêter celui qui leur fait des niches, lui a fait donner congé dans les vingt-quatre heures.

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Pas de fiel! soyons tout miel, lui conseillait, l'autre jour, son collègue, le spirituel et érudit Lamoureux.

Impossible! s'exclama M. Mesureur, car où trouve-t-on le miel? Dans l'essaim!...

D'abeilles, riposta Lamoureux en faux-bourdon.

Jamais M. Mesureur ne consent à passer d'actes sous seing-privé; il préférerait se passer de l'état civil!

Il a toujours refusé l'écharpe de maire pour ne pas être ceint... des trois couleurs!!!

M. Mesureur a donné des ordres sévères pour éconduire le facteur,

lorsqu'il se présentera en décembre prochain avec l'almanach annuel. Plus de fêtes, plus de saints, plus de calendrier.

M. Mesureur renie même son petit nom, qu'il est inutile de révéler, et a décidé que désormais sa fête tomberait, plus à propos, le jour de l'anniversaire de la fondation de Charenton. Aussi supprime-t-il Sainte-Anne!

M. Mesureur va jusqu'à répudier le chiffre cinq dont la consonnance est trop semblable à celle du mot qui lui fait dresser les che veux sur la tête.- Si sa bonne, revenant du marché, lui dit : « Monsieur, j'ai acheté pour cinq sous de poireaux; » Mesureur entre dans une fureur écarlate et lui dit : « Vous me cambronez avec vos saints sous et autres; je veux que dorénavant vous disiez le mot cinq en prononçant isolément sa quatrième lettre Q. »

A quelques jours de là, Mesureur recevait vingt-cinq personnes à sa table; la bonne en question arrive et dit devant les invités : « J'ai mis les vingt-cinq couverts! »>

Tête des invités de Mesureur !

Il flanqua sa bonne à la porte, mais le soir-même celle-ci, en lui rendant son tablier, lui dit ironiquement:

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Vous détestez les saints, n'est-ce pas, monsieur?

- Oh v'oui!!!

- Eh bien, moi, je vous dis saints lettres!!!!!

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LA RAGE DE LA GOURMANDISE

Notre siècle est gourmand, l'on peut blamer son goût;
On fraude les dîners mais on dîne partout.
(C. DELAVIGNE).

La gourmandise fait rage. A nous Vatel, Brillat-Savarin, Monselet Gorenflot, Dumas père, le docteur Véron, Trompette et tous les illustres cordons bleus, y compris la cuisinière bourgeoise; à nous Rabelais, toi qui as chanté le grand art de la gueule.

Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.

Les hommes chauves mangent des œufs d'autruche.
Les journalistes, du canard.

Les typos, des coquilles.

Les grosses épaulettes, des épinards.

Les fils de famille, des carottes.

Les papas, des nèfles.

Les simples d'esprit, de la cervelle.

Les claqueurs, de la romaine.

Les maris trompés, de la laitue.
Les entêtés, du mulet.

Les radicaux, du rouget.

Les gens malpropres, du salmis.

Le directeur de l'assistance publique, des quatre-mendiants.

Les bohèmes littéraires, des côtelettes pannées.

Les poètes, du ver... micelle.

Les cochers, du foie.

Les actionnaires de l'Eden, du melon.

Ceux qui croient à la vertu de ces dames, des cornichons.

Les administrateurs de P.-L.-M., de la fricassée.

Les culs-de-jatte, des pieds-poulette.

Les chirurgiens, de la charcuterie variée.

Les soiffards, de la poire.

Emile Zola, de la bouillie.
M. Margue, de la marmelade.

Les portiers, de la langue.
Les juges, de l'oie.

Les huissiers, des rochers de glace.

Les figurantes des petits théâtres, des abatis de dinde.

Daubray, du gras-double.

Sarah Bernhardt, de la limande.

Les directeurs de théâtre, des beefsteaks d'ours.

Les auteurs dramatiques, des petits fours.

Les athlètes, des petits pois.
Les hellénistes, des racines.
Les mystificateurs, de l'oscille.
Les orateurs, de la mâche.
Les collégiens, des pâtés.
Les avoués, des écrevisses.
Hugues, le poète, des clovisses.
Les choristes, du thon.

Les musiciens, des haricots.
Nana, de la morue.

Les sages-femmes, des primeurs.
Les femmes enceintes, des soufflés.
Les duellistes, des croquignoles.
Les garçons de bain, des beignets.

Les tailleurs, de la culotte de bœuf.

Les danseuses, du pain mollet et des ronds de saucisson.

Les marins, du riz.

Les joueurs de billard, de la poule.

Les cardinaux, du homard..

Les peintres, des croûtes.

Les ingénues, de la dinde.

Les modèles d'atelier, des moules.

Les coiffeurs, du merlan.

Les hommes faibles, des omelettes.

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