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LA RAGE DES PRÉFACES

Une préface est au livre ce que le vestibule est à l'édifice.

ED. ABENIER.

Que mon bon ange aussi me débarrasse

De cet homme à prétention

Qui, commandant l'attention,

A ses moindres propos attache une préface.
DELILLE.

La rage des préfaces remonte à l'antiquité. Exemple : la pomme que Eve fit manger au trop confiant Adam fut la préface... de l'adultère. Les Grecs les faisaient courtes et bonnes. Les Romains leur donnèrent plus de développement. Chez les modernes, les ouvrages sans préface sont rares.

Au xvre siècle, une feinte modestie y domine, et Georges de Scudéry se montra enragé dans la préface des œuvres de son ami Théophile où il provoque en duel tous les lecteurs qui n'admiraient pas les poésies, dont se composait le livre.

Les préfaciers du xvn siècle furent moins enragés, et Molière, Racine et Corneille écrivirent des préfaces qui sont restées d'admirables modèles. A leur suite deux préfaciers célèbres ont illustré l'histoire de notre littérature: c'est d'Alembert dans sa préface de l'Encyclopédie, et Victor Hugo dans sa préface de Cromwell.

«

Louis XII disait, inspiré par le désir de rendre le peuple heureux, qu'un bon pasteur ne saurait trop engraisser son troupeau ». Le bon Pasteur qui a fondé l'Institut auquel son nom illustre restera perpétuellement accolé, montre toute sa science et tout son amour

de l'humanité, pour préserver et guérir de la rage son innombrable troupeau. Nous sommes donc heureux et fiers de dédier à ce grand savant, à cet illustre bienfaiteur, notre modeste livre.

On peut tout dire de Paris, puisque nous l'accusons d'être enragé, oui, mais enragé de plaisir, et quiconque n'est pas de notre avis est indigne de vivre.

Oui, Paris est enragé, mais sa rage, en une foule de cas, est un transport furieux caractérisé par un besoin de mordre à toutes les grappes de l'amour et de la fantaisie. Ah! l'amusante préface qu'il y aurait à faire en biographiant tous les Parisiens enragés... d'imagination! Point ne serait besoin de mettre une muselière à sa plume pour l'empêcher, en mordant le papier, d'inoculer le virus de la médisance!

Mais à qui demander cette préface? Tous les écrivains réputés à juste titre comme préfaciers de haute [marque ont tous été tant de fois sollicités, qu'ils se refusent à présent à écrire même deux lignes en tête d'un livre ami, si bon qu'il soit, aussi sûr d'être lu qu'il puisse

être.

Il y a préface et préface, nous direz-vous, comme il y a diamant et diamant. Les unes jettent plus ou moins de feux et d'éclat sur le livre qu'elles désirent faire briller, les autres n'arrivent pas à le sortir de la pénombre où il y en a déjà tant!

<< Dans le doute, abstiens-toi, » a dit je ne sais plus quel profond penseur. C'est aussi ce que nous avons pensé avoir de mieux à faire, et, au lieu d'aller quémander quelques lignes de préface en notre faveur chez d'illustres confrères, nous nous sommes dit qu'il serait bien plus simple de ne déranger personne et de n'en pas faire. Ainsi, nous sommes sûrs que l'on ne nous accusera pas d'être mordus par le molosse de la vanité.

Il est si difficile et si immodeste de parler de soi-même car, comme l'a dit Pascal « le moi est haïssable ». Les préfaces étant toujours écrites en vue de faire du bruit, on comprend que celle qui fait partie de la messe précède immédiatement le canon. Loin de nous la pensée de le tirer nous-mêmes en notre honneur.

Sur ce, ô public indulgent! puisses-tu être pris de la rage de nous

lire!

LES AUTEURS.

PARIS

ENRAGÉ

LA RAGE DES VOYAGES

Il n'y a point de meilleure école de sagesse que celle des voyages.

(LA MOTHE-LE-VAYER.)

La rage des voyages augmente d'année en année. Les billets circulaires, les annonces de Lubin et Cie (pas le parfumeur) qui vous font admirer la ville Sainte et les montagnes de la Suisse à prix réduits, les permis délivrés à la presse, tout cela contribue quelque peu à faire de mes contemporains autant de capitaine Cook au petit pied (je crois qu'il chaussait 43!). Or, lisez cette petite nouvelle et tirez-en les conclusions que vous voudrez.

Isidore Vadelavant était un grand voyageur devant l'Éternel...

Non qu'il eût poussé jusqu'au pôle Nord ou dans l'Afrique centrale, ou seulement jusqu'à la chute du Niagara; mais il était allé à Barcelone, où il avait assisté aux courses de taureaux, ce qui l'avait rendu malade. La cuisine à l'ail de l'Espagne n'avait pas non plus été étrangère à son malaise.

Il avait bu des chopes dans une brasserie du Nès et navigué sur les canaux d'Amsterdam, ce qui lui avait donné le mal de mer.....

Il avait visité le Rydeck à Anvers et était allé voir ensuite son médecin.

Il avait mangé de la dinde aux confitures à Francfort, et du jambon à Mayence; ce qui lui avait donné une maladie de peau.

Il avait visité le musée Wirth à Bruxelles d'où un cauchemar bien senti et il avait grimpé sur les tours de Sainte-Gudule, où il avait eu le vertige...

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Il s'était laissé choir dans le fameux tonneau d'Heidelberg.

Il avait, pendant le carnaval de Nice, reçu des confetti à l'œil, et il avait pris une culotte à Monte-Carlo en s'obstinant à jouer à pair ce qui est un impair — quand c'est ce dernier qui sort.

Il avait visité la cathédrale de Reims, la maison où est né C. D..., l'intrépide vide-bouteilles, et mangé du pain d'épice; conséquence immédiate une indigestion soignée!

Il avait fait le tour de la place Stanislas à Nancy et la connaissance d'une brodeuse... d'où deuxième visite à son médecin.

Il avait visité l'arsenal de Cherbourg, et, dans la rade, il avait failli se noyer.

Il avait posé... sa tète sur la chaise en marbre du bain des Capucins à Plombières et avait attrapé le torticolis...

Il avait grimpé à la citadelle de Saint-Sébastien, d'où un coup de soleil carabinier... pardon, carabiné...

A Biarritz, il avait assisté à un combat entre une pieuvre et un homard, et s'était laissé piquer par des moustiques acharnés après lui.

Car il avait la peau très douce... et ces insectes aiment la peau douce et la peau lisse également. Ce n'est pas comme les voleurs. Il avait pris un bain d'eau de Seine à Trouville, croyant prendre un bain de mer à marée basse...

Sur la plage de Boulogne, il avait fait la cour à une insulaire; ce qui lui valut un gnon de la part d'un pêcheur de l'endroit.

Il avait taquiné un singe de l'aquarium du Havre, et s'était fait mordre à l'index.

Ou au pouce... peu importe, n'est-ce pas?

En courant sur le galet, à Dieppe, il s'était écorché les pieds...

Il avait été renversé par un coup de vent au Tréport.

Il avait mangé trop de moules à Ostende, et avait enflé... enflé

outre mesure.

Pourtant, à cette époque, il était fait au moule...

Il avait pris un bain trop chaud à Aix.

Et un trop froid à Luchon.

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