Images de page
PDF
ePub

LA RAGE DE L'EMPOISONNEMENT

79

sements de toute nature. Ils ont fait détruire 91 fois des marchandises altérées.

Il est entré au laboratoire 606 échantillons comprenant 169 prélèvements des inspecteurs et des commissaires, 437 produits apportés par le public; 246 analyses ont été terminées dans le courant du mois et sur ce nombre 260 ont donné lieu à la qualification de mauvais non nuisible, et 21 seulement à celle de falsifiées.

Sur les 259 échantillons déclarés mauvais, les vins, cidres, bières, figurent pour 193. le lait pour 45, les eaux pour 8.

Les 21 échantillons falsifiés comprennent 19 vins, 1 bière et 1 boîte de conserves.

Les résultats, comparés à ceux des mois précédents, tendent à montrer une amélioration sensible dans la qualité des denrées soumises à l'examen.

Nous croyons que ce pilori de la fraude et de la falsification serait d'un utile usage sur la voie publique et qu'il épouvanterait au moins quelques-uns de nos empoisonneurs patentés. Vous m'objecterez que ces descendants de Borgia arracheraient les affiches du laboratoire leur reprochant d'avoir l'air de les narguer. Soit, mais que penseriezvous alors de trois mois de prison infligés à tout citoyen ou citoyenne, surpris ou surprise, en train d'enlever ou de déchirer ses affiches? Comme l'a fait très judicieusement remarquer notre confrère Georges Grison, le système actuel d'analyse, employé au Laboratoire municipal, n'est pas sans défauts. Il faudrait que les commissions d'hygiène eussent dans chaque mairie un registre où tout citoyen pourrait aller inscrire ses réclamations, ses dénonciations, on lui garderait le secret absolu et on se contenterait de vérifier la chose. Que de découvertes on ferait alors, dont personne ne se doute.

Quant aux dénonciations calomnieuses, dame, on pourrait au besoin poursuivre les auteurs... Le secret le plus absolu, si la chose est vraie; une amende, si elle est fausse et dénoncée de mauvaise foi.

La falsification est arrivée à son comble. Jugez-en.

Trois industriels du IVe arrondissement, MM. B... et G... viennent d'être condamnés par le juge de paix à un franc d'amende chacun pour avoir maquillé en rouge, à l'aide d'une matière chimique d'éosine, des tomates qui leur semblaient insuffisamment colorées par la nature. Et ils vendaient ce produit avec la mention : qualité supérieure!

Encore un exemple. Les fabricants d'escargots sont dépassés de plusieurs douzaines par les fabricants d'huîtres. La fabrication de la

chair d'huître s'imite par mille moyens qui peuvent être malpropres, mais on n'y connaît rien, à moins d'être né dans la partie.

La couleur se donne avec du cuivre. La difficulté c'est de faire. adhérer l'huître imitée à la coquille dans laquelle on la place, la soudure, comme disent les spécialistes de cette fabrication. Cette soudure, elle a donné du mal à trouver. Enfin, un des chercheurs est arrivé. Il a composé une colle spéciale qui se fixe en même temps sur la chair humide et sur la nacre de la coquille et qui prend la solidité du cartillage. C'a été un coup de fortune pour l'inventeur.

Aujourd'hui il y a des ateliers d'huîtres tout comme il y a des ateliers de chaussures, de boutons ou de capsules. On expédie ces huîtres à Paris. Ce sont des jeunes filles qui mettent la dernière main aux huîtres... artificielles. Ce sont leurs doigts effilés qui font la fameuse soudure. Voilà, qui dégotte les truffes en mérinos.

On se souvient peut-être qu'aux cours des démêlés qui eurent lieu entre le syndicat des marchands de vins et le laboratoire municipal, le syndicat reprocha sans cesse au laboratoire le désaccord flagrant qui se produisait entre les rapports d'analyse de cette administration et ceux du contre-expert nommé par la justice.

La préfecture de police, émue de cet état de choses, ouvrit une enquête et chargea le chef de la sûreté, d'une surveillance active à ce sujet. Les recherches eurent un plein succès. M. Kuehn arrêta l'employé du contre-expert, qui fut immédiatement, après les aveux complets, écroué au dépôt. Cet individu chargé de venir chercher au laboratoire le deuxième échantillon cacheté et scellé servant à la contreexpertise, s'entendait avec les marchands de vins soupçonnés de falsification et, moyennant finance, faisait sauter les scellés, remplaçant les produits falsifiés par d'autres de bonne nature. De sorte que le résultat des analyses du contre-expert, on le devine, étaient toujours contradictoires avec celui soumis au juge, par la préfecture de police. Que mangeons-nous? que buvons-nous? que mâchons-nous? Que digérons-nous?

[merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

Dans le lait pur, de la cervelle de mouton, des os pilés, de la gélatine, un peu de blanc d'Espagne et de l'eau non filtrée.

Dans le beurre extra-fin, de la margarine, du saindoux et de la racine de je ne sais plus quelle plante qui s'assimile à ce produit hétéroclite.

Dans le pain (dit riche) les Borgia du pétrin nous fourrent du sulfate de zinc et du carbonate de chaux.

LA RAGE DE L'EMPOISONNEMENT

Dans le sel fin, du salpêtre à en faire sauter la salière.

[merged small][ocr errors]

Dans le poivre, de la poussière, des châtaignes et des coquilles de noix râpées.

Dans le café en poudre, de la chicorée et du foie de cheval grillé. Dans la bière, du salicylate et du jonc.

Mithridate, Borgia et la Brinvillers ont ressuscité à la grande joie de nos nourrisseurs modernes.

Allons, monsieur Grévy, un bon mouvement, laissez guillotiner pour l'exemple :

Un restaurateur à 32 sous.

Un marchand de vin liquoriste.

Un épicier, marchand de conserves et de comestibles.

Et notre beau pays de France sera à l'abri de toute révolution à l'intérieur... de nos intestins.

[graphic][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][ocr errors]

LA RAGE DES EMBLÈMES... SÉDITIEUX

Si la colombe est l'emblème de Vénus,
Le nez d'un pochard est l'emblème de Bacchus.
UN ANONYME.

Dernièrement je suis allé puiser quelques bonnes informations à la Préfecture de police, concernant MM. les porteurs d'emblèmes séditieux. M. Gragnon songe à organiser un service spécial d'officiers de paix, lesquels officiers de paix seraient cuirassés, blindés, invulnérables de la plante des pieds à la pointe des cheveux.

Désormais, chaque matin, un de ces officiers de paix sera tiré au sort, dans la cour de la caserne de la Cité; vu l'épaisseur de son uniforme en acier forgé, chaque officier désigné par le sort pourra impunément arrêter les mauvais gars, manifestant avec des revolvers, des poignards, des casse-têtes, des cannes plombées, des couteaux, des poinçons, des pierres et autres gracieux instruments de travail des candidats à la villégiature... calédonienne. Si l'officier de paix lancé dans la bagarre n'est pas assommé malgré son armure, il aura droit à de l'avancement, c'est-à-dire qu'il sera appelé de plein droit à aller réprimer la manifestation suivante qui, naturellement, sera plus périlleuse que la précédente.

Tout officier de paix qui, pour sauver sa vie ou celle de ses agents se sera mis en état de légitime défense où y aura mis ses hommes sera immédiatement cassé de son grade, et ses hommes mis à pied pendant dix ou douze ans. M. Clément, commissaire aux délégations sera forcé désormais de justifier son nom par une clémence qui ne le cédera en rien à celle de M. Grévy et de Clémence Isaure. M. Dulac sera réservé aux manifestants du lac d'Enghien, du lac du bois de Boulogne et du lac des Buttes-Chaumont; si la paix n'était signée avec les Pavillons-Noirs, on l'enverrait tenir tête aux manifestations de Fou-Tchéou avec le titre de Dulac de Chine!...

M. Brocheton, M. Grutzviller et dix autres officiers de paix émérites seront répartis au choix et à la fantaisie de l'administration

LA RAGE DES EMBLEMES SÉDITIEUX

83

entre tous les manifestants qui se préparent à exhiber de nouveaux emblèmes séditieux, à la première occasion.

On nous signale déjà pour les prochaines funérailles antinationales : Les manifestants pharmaciens. - Emblème séditieux: un bocal rouge, un bocal vert, un bocal jaune, portés sur une étagère par trois citoyens apothicaires armés du système Eguisier.

Les manifestants bouchers et tripiers. - Emblème séditieux et saignant un cœur, un rognon, avec cette inscription: « On dirait du veau, » portés au bout d'une pique.

Les manifestants charcutiers. Une tête de cochon couronnée de saucisses avec cette inscription menaçante : « Patience! nous touchons au porc! »

Les manifestants vidangeurs. Bannière jaune suivie d'un tonneau (veuf de Malvoisie) portant cette inscription révoltante pour l'ordre public « C'est pas la mer... à boire! »

Mais, ici, je m'arrête moi-même, car je m'aperçois que, sans manifester, je manifesterais tout comme ces manifestants qui manifestent à la grande joie des braillards et des gavroches qui décampent maintenant sur ce nouveau cri d'alarme :

<«< Sauve qui peut! ça sent le Gragnon!!!

« PrécédentContinuer »