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LA RAGE DES OVATIONS

« A bas la claque! »

Il est d'usage, à Paris, lorsqu'une artiste a prêté son concours pour une représentation donnée au bénéfice d'une œuvre de charité, de reconnaître ses bons offices en lui offrant un objet artistique ou un bijou quelconque.

C'est un souvenir que l'artiste garde et qui, dans les jours heureux, lui sert de trophée, et dans les jours d'adversité lui vient souvent en aide.

C'est joindre l'utile à l'agréable!

En province et à l'étranger, il n'en est pas de même; au lieu d'un bibelot d'une valeur certaine un offre des couronnes en papier d'or et d'argent, agrémentées d'un immense ruban portant en lettres d'or le nom de l'artiste et la date de ce grand jour.

Naturellement les donataires y joignent leurs noms et prénoms dont les lettres sont souvent plus apparentes que celles de l'artiste. Puis viennent les noms et adresses des fleuristes, qui, trois jours auparavant, se font une petite réclame avec les dites couronnes en les étalant à la devanture de leurs boutiques.

Il est certain que la vanité de l'artiste est flattée quand l'ouvreuse, au milieu d'une tirade, passe une immense couronne au timballier. Le timballier la repasse à la petite flùte qui la repasse au premier violon, qui la donne au chef d'orchestre, et celui-ci, mettant la couronne au bout de son archet, la tend à l'artiste qui se confond en salutations et en révérences. La claque applaudit et le public n'y comprend rien, mais l'artiste est toute fière, en rentrant chez elle le soir, d'accrocher cette couronne dans son salon, au même clou qui servait à suspendre la croix de sa mère, et lorsque les visiteurs se pressent chez elle, ils

se prosternent devant ce gage d'admiration que la camériste a le soin. d'épousseter chaque matin en faisant les bottines de madame.

Nous ne sommes pas partisan des bouquets de fleurs naturelles que des adorateurs plus ou moins masqués envoient chaque soir coram populo à leur idole; mais nous comprenons que lors de son bénéfice ou à l'issue d'une première représentation, où l'artiste s'est révélée grande comédienne, elle soit couverte de fleurs et de bravos; mais ce que nous n'admettrons jamais, c'est « la couronne économique » qui n'a même pas l'excuse du parfum, mais qui jaunit aussi bien que la fleur naturelle.

Seulement, en maintes circonstances, on peut s'écrier comme Calchas trop de fleurs, trop de fleurs!

Ce sera le cri du cœur des spectateurs honnêtes et ennemis de certaines ovations spontanées (on les a préparées deux jours d'avance), mais il est douteux que ce soit le cri de guerre des Labrousse, Lion, Isabelle, Prevost et autres bouquetières di primo cartillo.

LA RAGE POÉTIQUE

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La femme est la poésie, l'homme la prose.
TOUSSENEL.

Un jour, il me vint un jeune poète comme il m'en vient tous les jours. Après les compliments ordinaires sur mon esprit, mon génie, mon goût, ma bienfaisance, le jeune poète tire un papier de sa poche: « Ce sont des vers, me dit-il. Des vers! Oui, monsieur, el sur lesquels j'espère que vous aurez la bonté de me dire votre avis. Aimez-vous la vérité? Oui, monsieur, je vous la demande. Vous allez la savoir. » Je lis les vers du jeune poète, et je lui dis : « Non seulement vos vers sont mauvais, mais il m'est démontré que vous n'en ferez jamais de bons. Il faudra donc que j'en fasse de mauvais, car je ne saurais m'empêcher d'en faire. — Voilà une terrible malédiction! Concevez-vous, monsieur, dans quel avilissement vous allez tomber? Ni les dieux, ni les hommes, ni les colonnes n'ont pardonné la médiocrité aux poètes : c'est Horace qui l'a dit. — Je le sais. Etes-vous riche? - Non. Etes-vous pauvre? - Très pauEt vous allez joindre à la pauvreté le ridicule de mauvais poète vous aurez perdu toute votre vie, vous serez vieux. Vieux, pauvre et mauvais poète; ah! monsieur, quel rôle! Je le conçois, mais je suis entraîné malgré moi. —Avez-vous des parents? — J'en ai. Feraient-ils quelque Quel est leur état? Ils sont joailliers. chose pour vous? Peut-être. Eh bien, voyez vos parents, proposez-leur de vous avancer une pacotille de bijoux. Embarquez-vous pour Pondichery; vous ferez de mauvais vers sur la route; arrivé vous ferez fortune. Votre fortune faite, vous reviendrez faire ici tant de mauvais vers qu'il vous plaira, pourvu que vous ne les fassiez pas imprimer; car il ne faut ruiner personne... »

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vre.

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Il y avait environ douze ans que j'avais donné ce conseil au jeune homme lorsqu'il m'apparut : je ne le reconnaissais pas. « C'est moi,

monsieur, que vous avez envoyé à Pondichéry; j'y suis allé, j'ai amassé une centaine de mille francs. Je suis revenu, je me suis mis à faire des vers, et en voilà que je vous apporte... Ils sont toujours mauvais? - Toujours, mais votre sort est assuré, et je consens à ce que vous continuiez à faire de mauvais vers. C'est bien mon projet. »

La rage poétique est manifeste chez: Catulle Mendès, Grandmougin, Veaucaire, François Coppée, Théodore de Banville, Gaston Jollivet, Paul Ferrier, Raoul Toché, Clovis Hugues, Richepin, H. de Bornier, Jules Barbier, Louis Gallet, Albert Millaud et tant d'autres qui, sous la forme du quatrain, du sonnet, de l'épigramme, du poème lyrique et de la chanson, font les beaux jours du Parnasse contemporain, et nous souhaitons qu'ils n'en guérissent pas de si tôt, pour le grand plaisir et la grande joie de leurs lecteurs et la nôtre.

LA RAGE DES PATAQUES

SCÈNE PRISE SUR LE VIF DANS LA LOGE DE MADAME POCHET, PORTIÈRE

Sapristi, quel embrouillamini,
Quel pataquès.

Emile AUGIER.

Ah! mesdames et messieurs, je suis une portière bien extraor

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Je fais le ménage d'un journaliste-auteur qui n'est jamais content de l'existence de la vie. J'ai beau y dire prenez la vie à la bonne blanquette, c'est un homme qui se met l'esprit à la tortue; pourtant c'est un malin, il est batelier lèche sciences et lèche lettres, enfin c'est un grand littre et rateur. Il ne croit pas à la mêlétempsychose, mais il est partisan de l'âne mistie, à moins qu'on se soit fait condamner à une peine infective et enflammante, pour avoir fait partie de l'Ecole des arts émeutiers. Pourtant il ne tire jamais sa poudre au

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