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régulières (1), ne sauraient être invoqués par les permissionnaires comme moyens d'opposition aux mesures prises pour la police des eaux. Aucune indemnité quelconque ne peut être réclamée en pareil cas.

188. Ce principe inapplicable aux mesures étrangères à la police des cours d'eau. - Mais ce principe rigoureux ne s'applique, et ceci est une remarque essentielle, que lorsque les modifications au régime de l'usine sont ordonnées, avons-nous dit, dans l'intérêt de la police des eaux (2), intérêt toujours réservé dans les concessions relatives à l'usage des eaux. Ce serait ôter toute sécurité à l'industrie, que d'appliquer la même règle, quand il s'agit de travaux entrepris dans un but autre que celui qui vient d'être spécifié.

Si, par exemple, l'État exécutait des travaux préjudiciables à une usine pour opérer un desséchement, pour canaliser un petit cours d'eau, ou le transformer en rivière navigable, upe indemnité serait due aux termes mêmes de l'art. 48 de la loi du 16 septembre 1807 (3). Il en serait de même et à plus forte raison si l'État agissait, non dans un intérêt public, mais comme propriétaire; si, par exemple, il nuisait à une usine pour améliorer un établissement exploité par ses agents, tel qu'une poudrerie (4).

189. De la clause de renonciation à l'indemnité. En pratique, le droit à indemnité peut se trouver paralysé par la clause de renonciation à toute indemnité pour dommages résultant de travaux publics, insérée dans presque tous les actes portant autorisation, aussi bien quand il s'agit de petits cours d'eau que relativement aux rivières navigables (Voir no 166).

Les auteurs soutiennent à peu près unanimement qu'une telle clause est illégale à l'égard des rivières non navigables, attendu que l'État n'en est point propriétaire comme des grands cours d'eau, qu'il n'y a d'autre droit qu'un droit de police, qui l'autorise sans doute à les réglementer, mais non pas à exiger l'abandon gratuit du droit naturel et civil des riverains à l'usage des eaux (5).

(1) C. d'État, 9 juin 1842 (comte d'Andlau); 28 mars 1838 (Clavier); 20 fév. 1840 (Bourdil).

(2) C. d'État, 25 avril 1842 (Senoble).

(3) C. d'État, 17 août 1825 (Manisse).

(4) C. cass., 23 avril 1844 (préfet du Pas-de-Calais c. Colbert).

(5) Voir Daviel, 2, p. 72 et suiv.; Garnier, t. 2, p. 139; Cormenin, Droit admi

En effet, de la faculté qui appartient à l'administration de refuser absolument, et sans donner de motifs, l'autorisation demandée, il ne faudrait pas conclure avec un savant et judicieux auteur (1) celle de subordonner cette même autorisation à des conditions quelconques. Le pouvoir discrétionnaire de l'administration n'est pas un pouvoir arbitraire. Quoique ses actes échappent en fait aux critiques des intéressés, son devoir est de ne refuser l'autorisation que quand le régime des eaux pourrait en souffrir. Dès qu'aucune raison de police n'est en jeu, le refus deviendrait vexatoire, et imposer en pareil cas la condition dont il s'agit, ce serait en réalité faire acheter ce qui doit être accordé à titre gratuit, s'il n'y a lieu à refus.

190. Clause de non-indemnité postérieure à l'autorisation originaire. — Excès de pouvoir. Au surplus, la jurisprudence du conseil d'État favorable au maintien de la clause de non-indemnité ne devrait certainement recevoir son exécution qu'en cas d'insertion de cette clause dans l'autorisation originaire. Il n'en serait pas de même, si elle se trouvait dans le règlement nouveau d'une usine antérieure à 1790, ou précédemment autorisée sans cette condition. Une fois l'usine légalement établie, l'autorisation ne peut plus lui être retirée, si le propriétaire se soumet à toutes les mesures anciennes ou nouvelles que requiert la police des eaux, et dans cette hypothèse, il y aurait excès de pouvoir manifeste à subordonner à une condition étrangère aux intérêts de la police des eaux le maintien de l'autorisation préexistante. C'est ce qui paraît résulter de l'art. 48 de la loi du 16 septembre 1807, qui accorde l'indemnité quand, l'établissement de l'usine étant d'ailleurs légal, la clause de non-indemnité ne se trouve pas dans le titre même.

D'après la jurisprudence du conseil d'État, la clause de nonindemnité est réputée contenir la réserve implicite des droits antérieurement acquis et ne ferait en conséquence aucun obstacle à ce que l'usinier fit valoir les droits qui lui appartenaient avant l'introduction de cette clause (2).

191. Éléments de l'indemnité.-Les principaux éléments qui peuvent servir à fixer le montant de l'indemnité sont, en cas

nistratif, 5o édit., t. 1, p. 508 : Tarbé de Vauxclairs, Dict. des trav. publ., vo Moulins et usines, p. 331.-Voir la discussion à la chambre des pairs du 9 juin 1842 (Moniteur du 10 juin) et Dalloz, 47.3.1.

(1) Dufour, 11e édit., t. 2, n. 1235.
(2) C. d'État, 6 mai 1853 (Couleaux).

de suppression totale ou de diminution définitive de la force motrice, le bail de l'usine, et, en cas de simple chômage, les frais d'exploitation de tous genres qui ne cessent point par l'interruption des travaux, l'intérêt du capital engagé, enfin la perte de l'achalandage (1).

192. Juridiction compétente pour statuer sur l’indemnité. L'autorité chargée de statuer sur l'indemnité est différente, suivant qu'il s'agit, soit de suppression de l'usine, soit de préjudice temporaire ou même permanent, mais ne mettant pas fin à l'existence de l'usine. S'il y a suppression de l'usine entière, ou du moins de quelqu'un de ses éléments essentiels, c'est une véritable expropriation, et l'indemnité est réglée par le jury, conformément à la loi du 3 mai 1841, préalablement à toute dépossession.

S'il y a simple altération de la force motrice, ou autre préjudice, l'indemnité doit, suivant le principe général en matière de dommages causés par des travaux publics, être demandée au conseil de préfecture (2). L'évaluation est faite par experts de la manière réglée par l'art. 56 de la loi du 16 septembre 1807, reconnu par la jurisprudence applicable à la matière (3). Les experts sont nommés, l'un par le préfet, l'autre par le propriétaire; le tiers expert, s'il en est besoin, est de droit l'ingénieur en chef du département. Lorsqu'il y a des concessionnaires, un expert est nommé par le propriétaire, un par le concessionnaire, le tiers expert par le préfet.

« Le prix de l'estimation sera payé par l'État, lorsqu'il entreprend les travaux; lorsqu'ils sont entrepris par des concessionnaires, le prix de l'estimation sera payé, avant qu'ils puissent faire cesser le travail des moulins ou usines. » (Art. 48 de la loi de 1807.)

· Retrait d'auto

193. Inexécution des conditions. risation. Le maintien de l'autorisation accordée à un usinier est subordonné à l'accomplissement exact des conditions qui lui ont été imposées.

Si l'usinier ne se soumet pas aux conditions prescrites, si, par exemple, il n'exécute pas les travaux dans le délai fixé, s'il élève le niveau des eaux en rehaussant l'arête de son déversoir, s'il augmente l'orifice de la prise d'eau qui lui est accordée, le

(1) C. d'État, 6 fév. 1831 (Brun); 11 nov. 1836 (Millet).

(2) C. d'État, 7 nov. 1834 (Cacheux).-C. cass., 5 nov. 1836. [S.36.1.890.] (5) C. d'État, 5 mai 1830 (Moitet).

préfet a le droit de lui retirer l'autorisation accordée et de faire procéder à la suppression, soit de l'usine, soit des ouvrages non autorisés.

194. Interdiction des innovations importantes.—De l'obligation de se conformer à ces conditions résulte l'interdiction absolue, non-seulement de déplacer l'établissement lui-même qui n'est autorisé qu'en vue de la situation qui lui a été assignée (1), mais de faire des changements à l'état des lieux ou aux plans, et en général d'apporter à l'usine quelque innovation importante (2), sans nouvelle et préalable autorisation dans la forme ci-dessus indiquée.

Par innovation importante, il faut entendre tout changement qui serait de nature à altérer les rapports de l'usine avec le cours de l'eau en augmentant, par exemple, la dépense d'eau, ou en élevant le niveau, ou en détournant le cours, En pareil cas, une nouvelle autorisation est indispensable.

195. Du droit d'interdiction préventive. - D'après les termes généraux de l'instruction précitée du 19 thermidor an vi, il est difficile de contester à l'administration le droit d'interdire, même préventivement, toute substitution d'un état de choses à un autre, sans être obligée d'attendre l'effet des innovations pour aviser (3). Mais il n'en serait plus ainsi, quels que fussent les changements apportés à l'usine, s'ils étaient sans influence sur le régime des eaux.

Ainsi tout perfectionnement intérieur, ou même toute transformation, et à plus forte raison toute réparation du mécanisme qui n'en modifierait pas la partie hydraulique, ne saurait être soumis à autorisation.

En

196. Changement de destination de l'usine, vertu du même principe et aux mêmes conditions, rien n'empêcherait l'usinier de changer la destination de son établissement, de transformer, par exemple, un moulin à blé en un moulin à huile (4), sauf, bien entendu, la nécessité d'une autorisation au

(1) C. d'État, 9 nov. 1836 (Carle-Mancy).

- Voir art. 45,

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(2) Termes de l'instruction ministérielle du 19 thermidor an vi. t. 27, de l'ordonnance d'août 1669, et art. 9 de l'arrêté du 19 ventôse an vi. C. d'État, 31 janv. 1838 (Min. des travaux publics c. Chauvet); 26 juillet 1844 (Dauvet). (3) Voir Dalloz, vo Eaux, n. 392.-Contrà, Garnier, t. 1, p. 144 et s. (4) Voir Garnier, t. 1, p. 144; Nadault de Buffon, t. 1, p. 380. L'opinion contraire est soutenue par MM. Fayard de Langlade, vo Moulins; et Dalloz, v° Eaux,

n. 594.

point de vue de la salubrité, si l'industrie nouvelle était du nombre des industries classées (voir n° 7). Il n'y aurait en pareil cas aucune raison d'entraver la liberté naturelle de l'industrie.

197. Réparations non autorisées, aux risques et périls de l'usinier. - Quant aux réparations qui portent sur le mécanisme hydraulique, et en général sur tous les ouvrages en rapport avec le cours d'eau, elles ne sont pas en principe soumises à la nécessité d'une autorisation spéciale; mais c'est à la condition qu'il n'en résulte pas d'altération au régime des eaux. Il suit de là que le propriétaire n'est sans doute pas répréhensible par cela même qu'il effectue des réparations sans permission, mais qu'il ne peut agir ainsi qu'à ses risques et périls, dit le conseil d'État dans plusieurs de ses arrêts (1). Il s'expose à ce que la démolition des ouvrages nouveaux soit ordonnée, si l'administration vient à les considérer comme apportant quelque modification au régime des eaux.

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198. De la reconstruction d'une usine détruite. S'il s'agissait non pas de réparer, mais de reconstruire une usine détruite par la volonté de l'usinier ou même par accident, il y aurait lieu à autorisation d'après la jurisprudence la plus récente du conseil d'État, toutes les fois du moins que la destruction aurait atteint le mécanisme hydraulique qui est la partie importante au point de vue qui nous occupe (2).

Nous pensons, toutefois, avec M. Garnier, et d'après les motifs mêmes d'un des précédents du conseil d'État (3), que, si l'usine est reconstruite sur le même emplacement, conformément aux conditions et plans prescrits, il n'y a pas innovation au système de l'usine, et qu'aucune loi ni règlement n'autoriseraient à considérer un moulin ainsi rétabli comme déchu du bénéfice de l'autorisation antérieure.

199. De l'interruption du travail de l'usine. D'après le principe admis en cas de destruction d'une usine, il est évident que le simple abandon par le propriétaire n'entraînerait pas de plein droit déchéance de l'autorisation, et qu'il n'y aurait aucun besoin d'en solliciter une nouvelle pour remettre l'établissement en activité. La règle posée à l'égard des établissements industriels en tant qu'ateliers classés, et qui exige impé

(1) C. d'État, 31 janv. 1838 (Chauvet); 29 avril 1837 (Faugas); 16 juillet 1842 (de Virieu); 26 juillet 1844.

(2) C. d'État, 19 mai 1835 (Miramont); 9 août 1836. (3) C. d'État, 30 mai 1821 (Lameth).

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