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24. Recours des tiers au conseil de préfecture en premier ressort, puis au conseil d'État. Si le préfet accorde l'autorisation, les tiers qui ont eu la faculté de lui adresser leurs observations et réclamations pendant l'instruction administrative, peuvent, comme on l'a dit ci-dessus, former opposition à l'arrêté du préfet devant le conseil de préfecture (1). Ce recours s'exerce du reste, alors même qu'aucune opposition n'a été formulée avant l'autorisation accordée. Il n'existe aucune disposition de loi qui l'assujettisse à un délai quelconque, et il peut, par conséquent, être formé par les tiers intéressés à quelque moment que ce soit, sans que le fabricant puisse les mettre en demeure ni faire courir de délai par une notification (2). Mais ceux-ci ne peuvent (sauf au cas ci-après no 26) déférer directement au conseil d'Etat l'arrêté du préfet qui a accordé l'autorisation. C'est seulement après avoir porté leur opposition en premier ressort devant le conseil de préfecture, qu'ils peuvent se pourvoir devant le conseil d'État dans le délai de trois mois, contre la décision de ce conseil qui aurait maintenu l'autorisation accordée par le Préfet (2).

Le recours direct au conseil d'État ne peut être formé par les tiers que pour cause d'incompétence ou d'excès de pouvoir (n° 26).

25. Intervention, recours incident, et tierce opposition des tiers devant le conseil d'État. Outre la voie de l'appel devant le conseil d'État, ouverte aux tiers dans le cas précédent, la faculté d'intervention et de tierce opposition, et même de recours incident devant ce même conseil, existe pour eux, qu'il y ait eu, ou qu'il n'y ait pas eu autorisation, dans les circonstances suivantes.

Lorsque c'est le postulant qui après refus d'autorisation, s'est pourvu directement devant le conseil d'État contre l'arrêté du préfet, les tiers intéressés au maintien du refus peuvent se présenter au conseil d'État à titre d'intervenants pour faire rejeter le recours (4). Si le postulant attaque un arrêté portant autorisation au point de vue des conditions auxquelles l'autorisa

(1) C. d'État, 1er mai 1822 (Pain).—22 nov. 1856 (Vienchel).

(2) Voir Dufour, t. 2, n. 518.

(3) C. d'État, 30 juin 1835 (Blanc). — 11 août 1841 (Caron).

(4) C. d'Etat, 6 mars 1835 (Leziars).-7 avril 1855 (Vayson). — 20 avril 1849 (John Collier).-14 décembre 1844 (Béthune et Plon).—13 janv. 1853 (Nicolle).- 10 mars 1834 (Haueis).

tion est subordonnée, les tiers peuvent, non seulement intervenir pour faire maintenir les conditions imposées, mais former un recours incident pour demander la réformation de l'arrêté et le refus pur et simple d'autorisation (1). Ils peuvent également, la décision une fois rendue, sans qu'ils soient intervenus, l'attaquer par voie de tierce opposition (2).

Lorsque, en cas d'autorisation, un ou plusieurs intéressés ont fait opposition, sans succès, à l'arrêté du préfet devant le conseil de préfecture, les tiers qui n'ont pas pris part au débat engagé près de ce conseil peuvent encore faire valoir leurs griefs de la manière suivante :

S'il n'y a pas eu appel de l'arrêté du conseil de préfecture par les parties qui y ont figuré, ces tiers ont la voie de la tierce opposition devant ce même conseil contre l'arrêt rendu (3); s'il y a eu recours au conseil d'Etat, ces tiers peuvent se présenter, non plus devant le conseil de préfecture, mais devant le conseil d'Etat à titre d'intervenants pendant l'instance d'appel, ou même frapper de tierce opposition la décision rendue par le chef de l'Etat, à la condition de n'avoir pas figuré au débat (4).

26. Recours exceptionnel des tiers devant le conseil d'Etat. Les règles particulières aux recours organisés par le décret de 1810, ne dérogent pas au principe général et absolu posé par la loi des 7-14 octobre 1790, qui permet de déférer directement au conseil d'Etat tous les arrêtés des préfets, pour incompétence ou excès de pouvoir.

Les tiers ont donc la faculté d'attaquer devant le conseil d'État, l'arrêté préfectoral portant autorisation dans le cas seul où ils invoquent l'incompétence ou l'excès de pouvoir, comme par exemple, lorsqu'ils se fondent sur ce que le préfet a accordé l'autorisation, sans procéder à l'enquête prescrite par la loi. C'est ce que le conseil d'État a formellement décidé par arrêt du 6 mai 1853, en déclarant qu'aucune disposition du décret du 15 octobre 1810 n'a interdit aux intéressés le recours ouvert par la loi de 1790 (5). Seulement, en ce cas le conseil n'apprécie que le vice extrinsèque dont l'arrêté est entaché, et ne peut, comme dans les circonstances ordinaires, statuer au fond sur

(1) C. d'État, 23 déc. 1845 (Deseille).

(2) C. d'État, 5 sept. 1836 (Grandin).

(3) Rolland de Villargues, Rép., vo Atelier.

(4) C. d'État, 3 septembre 1836 (Anquetil; id. (Grandin). (5) C. d'État, 6 mai 1855 (Delacour).

la question d'autorisation, ainsi qu'on le verra au numéro suivant.

27. Droit du conseil d'Etat saisi par l'un de ces recours. Le conseil d'Etat, quand le débat est porté devant lui par l'une des voies qui ont été indiquées, sauf la dernière, est investi du droit, non seulement de maintenir ou d'annuler la décision attaquée, mais encore de la modifier, en prescrivant des conditions nouvelles, et de faire ainsi l'office d'administrateur aussi bien que de juge. Aussi en annulant, sur le recours du postulant, l'arrêté du préfet qui a refusé l'autorisation, il peut, au lieu de renvoyer devant le préfet pour être procédé à une nouvelle instruction, comme il le fait quand la question ne lui paraît pas suffisamment éclairée (1), accorder immédiatement l'autorisation, en prescrivant lui-même des conditions de nature à faire disparaître les inconvénients que l'on redoute (2); de même, sur le recours des tiers tendant à faire révoquer l'autorisation accordée, il peut, tout en la maintenant, ajouter aux prescriptions regardées comme insuffisantes par le préfet et le conseil de préfecture. Il importe donc essentiellement aux fabricants, lorsqu'ils plaident devant le conseil d'Etat, d'indiquer eux-mêmes, s'il y a lieu, les modifications de nature à remédier aux inconvénients qui ont été signalés.

Du reste, il arrive fréquemment, et pour éviter toute difficulté dans l'avenir, que le conseil d'Etat impose au fabricant l'obligation générale de se conformer à toutes les conditions qui seraient ultérieurement jugées indispensables par l'autorité administrative, pour pourvoir aux nécessités de la salubrité publique (3).

28. Principes sur les motifs de refus d'autorisation et d'opposition. — Un des points les plus importants en cette matière, c'est d'être fixé sur les motifs qui peuvent faire refuser l'autorisation et servir de base, soit aux oppositions, soit aux autres recours. Le préfet, et après lui le conseil de préfecture, puis le conseil d'Etat, appelés comme on l'a vu, à divers titres, à statuer sur les demandes d'autorisation, ont sans doute une trèslarge faculté d'appréciation; mais ils n'ont pas un pouvoir, à pro

(1) C. d'État, 20 avril 1839 (John Collier).-11 mai 1850 (Paufichet). (2) C. d'Etat, 8 avril et 11 nov. 1851 (Crouillebois; Pauwels).— 30 nov. 1832 (Valancourt).-5 sept. 1858 (Lithoreau).-16 juin 1841 (Mathieu). 30 août 1843 (Garnot). 2 déc. 1853 (Debolo). 26 avril 1855 (Jacob). Voir néanmoins Dufour, nouv. édit., t. 2, n. 517.

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(3) C. d'État, 2 déc. 1855 (Debolo). — 26 avril 1855 (Jacob).

prement parler, discrétionnaire, pour accorder ou rejeter l'autorisation, accueillir ou repousser les oppositions. La jurisprudence a posé à cet égard les principes qui doivent régler toutes les décisions des autorités administratives.

29. Le danger, l'insalubrité, l'incommodité, seuls motifs admissibles. — 1o Les motifs qui peuvent faire refuser l'autorisation doivent être pris uniquement du danger, de l'insalubrité ou de l'incommodité que présente l'établissement, seules raisons pour lesquelles il a été classé et soumis à la nécessité de l'autorisation. Ils ne sauraient être tirés, ni des dommages que sa création peut apporter à des établissements voisins par la concurrence ou même à des intérêts généraux ou communaux, autres que ceux de police, ni, comme l'a prétendu le préfet du Rhône dans l'affaire Débolo précitée, du tort qu'elle causerait à la beauté d'un site et à l'agrément d'un lieu occupé par un grand nombre de maisons de plaisance, ni même enfin de l'atteinte qui en résulterait à des lois et règlements d'une autre nature et dont la sanction est ailleurs. (Voir ci-dessus no 12).

A tous ces points de vue, étrangers aux considérations qui ont déterminé le classement, les établissements en question sont dans le droit commun, et ne peuvent être plus que tous autres frappés arbitrairement d'interdiction.

30. Applications faites par la jurisprudence. En vertu de ces principes, il a été jugé que le refus fondé sur l'intérêt du commerce et les inconvénients de la concurrence, en ce que, par exemple, le nouvel établissement pourrait ruiner des établissements antérieurement autorisés, est entaché d'excès de pouvoir (1); mais il en serait autrement si le dommage causé à un atelier voisin, bien que ne portant que sur cet atelier seul, était cependant direct et matériel, comme, par exemple, l'écoulement des eaux d'une tannerie dans une blanchisserie (2).

Ainsi encore, le conseil d'État a annulé un arrêté du conseil de préfecture des Hautes-Pyrénées (3), par la raison « que le « conseil de préfecture ne s'est fondé pour faire droit à l'opposiation du sieur Tarissais sur aucun motif tiré de l'insalubrité < ou de l'incommodité de l'établissement, mais seulement sur a l'intérêt de la reproduction des bois dans le canton, et les be

(1) C. d'État, 5 janv. 1813 (Seuly).—3 mai 1839 (Ridoux, Annebique). — 31 mai

1833.

(2) C. d'État, 8 juill. 1818 (Combe).-7 mai 1828 (Lesegretain). (3) C. d'État, 23 fév. 1838 (Tarissais, Demont).

<< soins des communes voisines; que les considérations d'un in« térêt général ne pouvaient servir de base aux oppositions por«<tées devant ledit conseil de préfecture, »

31. Influence de la proximité des habitations, 2o Les établissements de la deuxième classe se distinguant de ceux de la première précisément en ce que l'éloignement des habitations n'est pas nécessairement exigé à leur égard, il en faut conclure que la proximité de maisons habitées ne constituerait pas à elle seule un motif suffisant d'opposition. Du moment où il serait établi que des mesures efficaces sont prises pour mettre le voisinage à l'abri des inconvénients provenant de l'exploitation, un tel motif ne saurait être accueilli contre la demande d'autorisation (1). C'est ce qui résulte du principe constamment invoqué par le conseil d'État, qu'en ce qui concerne les établissements de deuxième classe, leur éloignement des habitations n'est pas rigoureusement nécessaire, mais qu'ils ne doivent être autorisés qu'avec les précautions propres à empêcher leurs opérations de devenir nuisibles aux propriétés du voisinage (2).

Le motif tiré de la trop grande proximité des habitations reprend toute sa force quand les inconvénients résultant de l'exploitation ne sauraient être évités aux voisins dans un certain rayon. C'est pourquoi l'autorisation a été fréquemment refusée, et le transfert en d'autres lieux a été ordonné à l'égard de certains ateliers, tels que les tanneries, dont l'établissement, au centre d'une population agglomérée, serait nécessairement dommageable (3). Il en a été décidé de même quand le caractère spécial des habitations voisines, affectées à des services publics, (hôtels et bureaux de préfecture, écoles primaires, salles d'asile) rendait intolérable la proximité d'une industrie qui n'aurait pas eu le même inconvénient à l'égard d'habitations ordinaires (4). Il en devrait être ainsi, alors qu'il ne s'agirait que d'établissements privés (pensionnats, maisons de santé), si par suite de leur nature même, l'insalubrité ou l'incommodité d'un atelier leur était particulièrement préjudiciable.

(1) C. d'Étal, 16 janv. 1828 (Gide),

(2) C. d'Etat, 15 juill. 1829 (Hattier).-22 mars 1833 (Bayvet).—4 fév. 1838 (Colomby).-Voir, sur les conditions auxquelles les autorisations sont fréquemment soumises, C. d'État, 8 mars 1844 (Fragot).—9 déc. 1845 (commune de Creyssels).—8 déc. 1853 (Demorels).—26 avril 1855 (Jacob), etc.

(3) C. d'État, 15 nov. 1826.-3 fév. 1830 (Thinaud). Voir 17 déc. 1841 (Sehet). --25 avril 1842 (Selligue).

(4) C. d'Etat, 21 déc. 1857 (Traxler et Bourgeois).

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