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pas de vue que c'est dans ses rapports avec l'industrie que la nouveauté du moyen doit être appréciée. Ainsi la force centrifuge est un principe connu depuis longtemps dans la science; elle est devenue cependant un moyen nouveau pour celui qui a eu le premier l'idée de l'exploiter industriellement (1). Le phénomène du dépôt de l'or sur les métaux plongés dans une dissolution de ce métal était un fait connu dans la chimie; il est devenu un procédé nouveau pour l'industriel qui l'a appliqué à la dorure. De tels procédés et autres analogues sont aussi nouveaux, d'après la loi des brevets, que le serait un organe fabriqué de toutes pièces, suivant une combinaison absolument neuve.

Ainsi l'introduction dans le domaine industriel d'un agent ou procédé constitue la nouveauté, et équivaut, au point de vue de la brevetabilité, à la création même du procédé ou de l'agent.

328. Application nouvelle de moyens connus. 3o La loi ne protége pas seulement les moyens nouveaux, mais l'application nouvelle de moyens connus pour l'obtention d'un produit ou d'un résultat industriel. Il faut entendre par là l'emploi de certains moyens, connus dans l'industrie, pour un usage autre que celui auquel ils servaient jusqu'alors. Ainsi l'application faite par Carcel d'un mouvement d'horlogerie aux lampes a été valablement brevetée, parce qu'avant lui les mouvements d'horlogerie ne servaient point à cet usage. Il en est de même de l'application du mécanisme des pompes à des encriers, à des appareils de toilette, etc.

329. Du transport des moyens d'un objet à un autre objet analogue. Il faut toutefois, pour qu'il y ait application nouvelle, comme M. Blanc le fait remarquer avec justesse (p. 434), qu'elle soit faite sur un objet qui diffère essentiellement de ceux auxquels le procédé ou le système avait été antérieurement appliqué, qu'elle constitue en un mot une nouvelle combinaison. Le transport pur et simple d'un organe ou d'un agent, d'un objet à un autre objet du même genre vis-à-vis duquel il joue le même rôle, par exemple, l'emploi, pour le laminage du zinc, d'un appareil servant jusqu'alors au laminage du fer, ne constituerait pas une invention.

La Cour de Paris a tout récemment jugé en ce sens que l'application de l'émail à la tôle comme moyen de préserver le métal de l'oxydation étant connue d'une manière générale, il n'y a point d'invention brevetable dans le fait spécial de l'application de cet

(1) C, cass., 13 août 1845 (Dalloz, 43.1,408).-C. cass., 4 mai 1855 (Cavaillon).

émail à des formes à sucre en tôle, si les résultats sont les mêmes à l'égard de ces formes que ceux obtenus précédemment à l'égard de tous autres appareils (1).

Le transport pur et simple ne deviendrait brevetable que si, en raison de la nature de l'objet soumis à l'application nouvelle, il conduisait à un résultat nouveau. En pareil cas, en effet, il y aurait quelque chose d'acquis à la société, et la combinaison du résultat nouveau avec le moyen connu offrirait une base au droit du breveté. Ainsi, l'art de revêtir un fil pour en former un lacet étant connu, il n'y aurait pas, en général, invention à appliquer ce procédé à une espèce de fil plutôt qu'à un autre; mais il y aurait matière à brevet, si le procédé connu étant appliqué au fil de caoutchouc, il en résultait pour l'objet ainsi obtenu une élasticité qui serait un résultat nouveau dans ce genre d'industrie (2). 330. L'application nouvelle est brevetable même quand le résultat n'est pas nouveau. — Au contraire, quand il y a application nouvelle, à proprement parler, c'està-dire emploi à des usages essentiellement différents des usages antérieurs, il importe peu que le résultat, ou le produit obtenu, soit nouveau en lui-même ou qu'il soit déjà connu. C'est ce qui résulte certainement de l'art. 2, alinéa 3, qui ne dit pas que le produit, ou le résultat obtenu, doive être nouveau (3). Ainsi, le gaz d'éclairage est un produit connu; la distillation a des procédés connus néanmoins, si un procédé de distillation employé jusqu'à présent à obtenir certains liquides venait à être employé à obtenir du gaz parfaitement identique au gaz actuellement en usage, il y aurait invention brevetable pour application nouvelle d'un moyen connu à l'obtention d'un produit connu. En un mot, une production ou un résultat industriel étant connu, chacun peut se faire breveter s'il parvient à l'obtenir le premier à l'aide de moyens déjà connus en eux-mêmes, mais employés jusqu'alors dans un autre but et à d'autres usages. C'est ce que la Cour de cassation a formellement déclaré dans l'arrêt du 11 janvier 1825, qui décide que l'application d'un procédé déjà connu peut constituer une invention, s'il est adapté à un nouvel usage, quoique le résultat de cette application ne soit pas nouveau (4). Seulement, dans ce cas, à la différence de ce qui a lieu quand le moyen lui-même est nouveau et brevetable indépen

(1) Paris, 20 mai 1855 (Rauch c. Schoenberg). - Gaz, des Trib. du 31 mai 1835. (2) C. cass., 27 décembre 1837 (alf. Rattier, Guibal).

(3) C. cass., 1er mai 1851 (Thomas.— Sirey, 52.1.65).

(4) C. cass. (Laurens); Paris, 19 février 1844 (Pichenol).-Renouard, n. 65.

damment de telle ou telle application, ce n'est ici qu'en raison de l'application du moyen et dans la limite rigoureuse du nouvel usage que le droit privatif exige. Le même procédé peut être repris par tout autre, pour être appliqué à un usage différent de ceux désignés au brevet (1).

331. L'usage plus intelligent d'un procédé connu n'est pas brevetable. L'application nouvelle de moyens connus n'existerait plus s'il y avait seulement emploi plus intelligent d'un procédé connu, selon la destination première du procédé, emploi ayant pour effet, non d'obtenir un résultat d'une autre nature, mais seulement un résultat plus avantageux. Ainsi on ne saurait se faire breveter valablement pour avoir réussi, en faisant fonctionner avec plus d'habileté une machine à triturer les grains, à obtenir un rendement plus considérable. En effet, la propriété d'un appareil emporte pour chacun le droit d'en user de la manière la plus utile, sans qu'il puisse y avoir, dans son emploi pur et simple, matière à monopole (2).

332. Le peu d'importance d'une invention n'en exclut pas la brevetabilité. Du moment où les conditions requises par l'art. 2 sont réunies, c'est-à-dire qu'il existe, soit un produit industriel nouveau, soit un résultat obtenu par des moyens nouveaux ou appliqués d'une manière nouvelle, les tribunaux doivent déclarer l'objet brevetable, sans pouvoir exiger d'autres conditions non requises par la loi. Ils n'ont point, par exemple, à se préoccuper de la faible importance de l'invention, du peu d'efforts qu'elle a exigé de l'inventeur, de l'espèce d'industrie à laquelle elle s'applique (3): toute appréciation de cette nature est interdite par l'art. 1er de la loi qui accorde un droit exclusif à l'auteur de toute nouvelle découverte et invention dans tous les genres d'industrie.

333. Des objets non susceptibles en eux-mêmes d'être brevetés valablement. Certains objets, bien que réunissant d'ailleurs toutes les conditions requises par la loi, quant à la nouveauté, quant au caractère industriel, ne peuvent cependant être brevetés, ou du moins ne peuvent l'ètre valablement. « Ne sont pas susceptibles d'être brevetés:

«1° Les compositions pharmaceutiques ou remèdes de toute

(1) Arrêt précité du 11 janvier 1825 (Laurens). (2) C. eass., 20 mars 1854 (Dalloz, 54.1.380).

(3) C. cass., 9 février 1853 (Sax), 1er mars 1851 (Thomas); 17 janv. 1852 (Crespel.—Sirey, 52.1.65 et 66).—30 déc. 1845 (aff. Couleaux).—Voir Dalloz, vo Brevet, 52 et suiv. Renouard, n. 66; Blanc, p. 257.

espèce, leurs objets demeurant soumis aux lois et règlements spéciaux sur la matière, et notamment au décret du 18 août 1811, relatif aux remèdes secrets (no 456) (1).

« 2o Les plans et combinaisons de crédit ou de finances (art. 3). » Dans ces deux cas, le Gouvernement doit refuser le brevet demandé; mais ce droit ne saurait être exercé que par le ministre de l'agriculture et du commerce, et non par le préfet, qui ne devra pas moins recevoir la demande et la transmettre à l'administration centrale (Circulaire ministérielle du 1er oct. 1844).

« Seront de nul effet les brevets... si la découverte, invention ou application est reconnue contraire à l'ordre ou à la sûreté publique, aux bonnes mœurs et aux lois du royaume (art. 30). »

Ces dispositions figurant au nombre de celles d'où résulte la nullité des brevets sont examinées au chapitre qui traite spécialement de ces nullités.

Art. 2. Des diverses espèces de brevets et de leur durée.

SOMMAIRE.

334. Des divers brevets sous la législation actuelle. 335. Du perfectionnement. Modification à la loi de 1791. Certificat d'addition.-336. Ce qu'on entend dans l'usage par brevet de perfectionnement. 337. Suppression des brevets d'importation.- 338. Droit de l'auteur d'une invention brevetée à l'étranger. 339. Certificats relatifs aux objets admis à l'exposition universelle. 340. Durée des brevets. — 341. De la taxe et du paiement des annuités.-342. La durée des brevets peut être réduite à une période plus courte.

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334. Des divers brevets sous la législation actuelle. -La législation de 1791 établissait trois espèces de brevets distincts le brevet d'invention, le brevet d'importation, le brevet de perfectionnement.

La loi de 1844, supprimant ces distinctions, admet une seule espèce de brevets principaux, ou brevets d'invention proprement dits, ne variant que dans leur durée, et des brevets accessoires ou certificats d'addition.

La loi du 2 mai 1855 a créé en outre, pour les objets admis à l'exposition universelle, des brevets d'une nature toute particulière, brevets gratuits et de courte durée, dont les conditions et les effets seront exposés plus loin (nos 386 et suiv.).

335. Du perfectionnement.— Modification à la loi de 1791. Certificat d'addition. Après avoir défini

(1) Voir spécialement sur ce point Vergé et Loiseau, Loi sur les brevets, p. 48-56.

l'invention, les législateurs de 1791 définissaient le perfectionnement et créaient des brevets de perfectionnement. La loi de 1844 n'a pas cru devoir reproduire cette disposition. En effet, comme on l'a dit avec une grande justesse, perfectionner c'est inventer (1).

Tout perfectionnement apporté à une invention doit, pour être pris en considération, rentrer dans les termes de l'art. 2 de la loi de 1844. S'il ne consiste que dans une modification insignifiante au point de vue de l'efficacité de l'invention, il n'est pas brevetable.

La loi du 25 mai 1791 déclarait non brevetables les changements de forme ou de proportion, et les ornements de quelque genre qu'ils fussent. Cette proposition a été écartée, en 1844, comme inutile, à cause de son évidence même, dans le cas où les modifications de forme sont sans effet sur l'invention; mais ces modifications, quelles qu'elles soient, redeviennent brevetables quand elles constituent, par leurs effets, une invention dans le sens légal (voir no 316.)

Les perfectionnements qui se rattachent à une invention déjà brevetée et émanent de l'auteur de l'invention principale, donnent lieu à une espèce particulière et privilégiée de brevets, appelés certificats d'addition, et dont il sera traité ci-après (no 386).

336. Ce qu'on entend dans l'usage par brevet de perfectionnement.— Bien qu'il n'existe plus en réalité dans notre législation qu'une seule espèce de brevets proprement dits, cependant, quand le brevet est pris par un tiers pour un perfectionnement à une invention déjà brevetée, il est assujetti, en faveur du titulaire du brevet principal, à certaines dispositions qui le placent dans une catégorie à part. L'usage a conservé pour ce cas spécial la dénomination de brevet de perfectionnement, quoique cette qualification, empruntée à la législation de 1791, ne soit pas admise par la loi de 1844. (Voir la formule n° 399). 337. Suppression des brevets d'importation.— La loi de 1844 ne maintient pas les brerets d'importation établis par les art. 3 et 9 de la loi du 7 janvier 1791, et cette fois elle a supprimé la chose avec le mot. Il a paru contraire à la justice comme à l'intérêt de l'industrie nationale d'assurer un droit privatif à celui qui, au lieu d'une création, n'apporte qu'un emprunt fait à l'étranger.

338. Droits de l'auteur d'une invention brevetée à l'étranger.—Toutefois, l'auteur (français ou étranger) d'une

(1) Renouard, n. 68.

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