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pour offrir des Turcs et des Maures aux yeux du roi. Où est le temps où de semblables caprices enfantaient de semblables ouvrages? Le Ballet des Muses fut représenté une seconde fois à Saint-Germain, au mois de janvier 1667. Mais l'absence de Baron, et la justice que Molière avait faite de Mélicerte en négligeant de l'achever, le déterminèrent à la faire disparaître de ce divertissement. On représenta seulement la Pastorale comique et le Sicilien. Ces divertissements consécutifs de la cour retinrent la troupe de Molière pendant près de trois mois à Saint-Germain. Partie de Paris le 1er décembre 1666, elle ne fit sa rentrée au théâtre du Palais-Royal que le 25 février suivant, et reçut du roi pour cette absence deux années de la pension qu'il lui faisait 1.

Le Sicilien ne fut joué à la ville que le 10 juin suivant. Une lettre en vers de Robinet, du 11, nous apprend que ce retard fut occasionné par une crise survenue à l'auteur acteur, dont une toux invétérée avait délabré la poitrine :

Depuis hier pareillement
On a pour divertissement
Le Sicilien, que Molière,
Avec sa charmante manière,
Mêla dans le ballet du roi,
Et qu'on admire, sur ma foi.

Et lui, tout rajeuni du lait
De quelque autre infante d'Inache,
Qui se couvre de peau de vache,
S'y remontre enfin à nos yeux
Plus que jamais facétieux 2.

I Registre manuscrit de La Grange.

2 Lettre en vers de Robinet, du 11 juin 1667. 131.

(par les frères Parfait), t. x, p.

- Histoire du Théâtre français

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« Vous verrez bien autre chose ! » disait Molière à Boileau, qui le félicitait à l'occasion du Misanthrope. Il voulait parler du Tartuffe. En abordant le récit de la représentation de ce chef-d'œuvre, nous pourrions dire aussi aux lecteurs qu'ont révoltés les précédentes menées des ennemis de ce grand homme : Vous verrez bien autre chose!

Après le Festin de Pierre, Molière n'eut que trop d'occasions de se confirmer dans les opinions qu'il avait prêtées à Don Juan sur l'inviolabilité des charlatans de religion 2. Applaudi chez le frère du roi, le Tartuffe avait été honoré des suffrages des deux reines (1), du grand Condé, et de tout ce que la cour comptait d'hommes franchement religieux. Louis XIV luimême, dont les idées naturellement grandes et généreuses n'étaient pas encore étouffées par les efforts des Le Tellier ou des Maintenon, ne cédait qu'avec impatience aux désirs de la cabale puissante qui sollicitait chaque jour l'éternelle suspension du Tartuffe. Huit jours après qu'il eut ajourné la représentation de ce chef-d'œuvre, on joua au spectacle de la cour une pièce intitulée Scaramouche hermite, qui abondait en situations d'une révoltante immoralité (2). « Je voudrais bien savoir, dit-il en sortant au prince de Condé, pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie du Tartuffe ne disent rien de celle de Scaramouche? La raison de cela, répondit le prince, c'est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs ne se soucient point; mais celle de Molière les joue eux-mêmes, et c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir 3. »>

I

Éloge de Despréaux, note, t. 11, p. 409 des Euvres de d'Alembert, édit. Belin. 2 Voir le Festin de Pierre, acte V, sc. II.

3 Préface de Molière, à la tête du Tartuffe

Le légat et les principaux prélats, consultés par le monarque, pour la sécurité de sa conscience, sur le danger prétendu de cette comédie, partagèrent ses dispositions favorables 1; mais les tartuffes redoublèrent d'efforts. D'affreux pamphlets récusèrent ces respectables autorités. « A entendre Molière, disait un d'eux, il semble qu'il ait un bref particulier du pape pour jouer des pièces ridicules, et que M. le légat ne soit venu en France que pour leur donner son approbation 2. »

Ceux qui avaient assez d'impudence pour attaquer de tels protecteurs pouvaient bien aussi ne pas rougir de révoquer en doute le talent du protégé. Pour donner une idée de ces critiques, nous rapporterons ici quelques passages d'un libelle publié en 1665, ayant pour titre : Observations sur une comédie de Molière intitulée LE FESTIN DE PIERRE. Nous en avons déjà fait mention à l'occasion de cette dernière pièce; mais son examen trouvera plus naturellement place en cet endroit; car les ennemis de Molière, en attaquant son Don Juan, ne faisaient que préluder à la guerre contre le Tartuffe.

« J'espère, dit l'auteur, que Molière recevra ces observations d'autant plus volontiers que la passion et l'intérêt n'y ont point de part. Je n'ai pas le dessein de lui nuire; je veux au contraire le servir. On n'en veut point à sa personne, mais à son athée. L'on ne porte point envie à son gain ni à sa réputation; ce n'est pas un sentiment particulier, c'est celui de tous les gens de bien; et il ne doit pas trouver mauvais que l'on défende publiquement les intérêts de Dieu qu'il attaque ouvertement, et qu'un chrétien témoigne de la douleur en voyant le théâtre révolté contre l'autel, la farce aux prises avec l'Évangile, un comédien qui se joue des mystères et qui fait raillerie de tout ce qu'il y a de plus saint et de plus sacré dans la religion.

» Il est vrai qu'il y a quelque chose de galant dans les ouvrages de Mollère, et je serais bien fâché de lui ravir l'estime qu'il s'est acquise; il faut tomber d'accord que, s'il réussit mal à la comédie, il a quelque talent pour la farce; et, quoiqu'il n'ait ni les rencontres de Gautier-Garguille, ni les impromptus

I Premier placet au roi, à la tête du Tartuffe.

2 Observations sur une comédie de Molière intitulée LE FESTIN DE PIERRE, par e sieur Rochemont, 1665, p. 25,

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