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manifesta son improbation, et, à la seconde représentation, Béralde fit subir à sa phrase cette variante ingénieuse : Allez, monsieur, on voit bien que vous n'avez pas accoutumé de parler à des visages. « C'est dire la même chose, » comme le fait observer Boursault, qui rapporte cette anecdote; « mais le dire plus finement 1. »

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Si l'on en croit une ancienne tradition de Lyon, Molière, pendant le séjour qu'il y fit avec sa troupe en 1653, passant un jour dans la rue Saint-Dominique de cette ville', aperçut, sur le seuil de la boutique d'un apothicaire, un homme dont la figure pharmaceutique le frappa. « Monsieur, monsieur, comment vous nommez-vous? lui dit-il en l'abordant. Pourquoi?... Mais... Molière insiste. «Eh bien! je m'appelle Fleurant ! — Ah! je le pressentais, que votre nom ferait honneur à l'apothicaire de ma comédie; on parlera long-temps de vous, monsieur Fleurant ! » Suivant cette croyance des Lyonnais, ce serait cette plaisanterie qui lui aurait fourni ce nom 2. L'anecdote, recueillie par les historiens du département du Rhône, a été racontée par le petit-fils de ce monsieur Fleurant à un de nos plus savants bibliographes, qui nous l'a transmise . Mais nous sommes porté à croire que ce descendant du prétendu interlocuteur de Molière ne la tenait pas de son grand-père luimême, et qu'il n'était que l'écho d'un conte populaire ; car comment supposer que Molière songeât dès lors à son Matade imaginaire, qui ne fut joué que vingt ans plus tard ? Il est plus naturel de penser que, pour donner à son personnage un nom significatif, il avait fait choix du participe présent du verbe fleurer (sentir, exhaler une odeur), alors très-usité. La plaisanterie est d'assez mauvais goût; mais elle a pour nous le grand mérite de la vraisemblance.

Lulli avait composé la musique des intermèdes de Pourceaugnac et du Bourgeois gentilhomme; mais Molière croyait avoir à se plaindre du Florentin, qui avait sollicité et obtenu, le 14 avril 1672, une ordonnance royale portant dé

I Lettres nouvelles de M. Boursault; Paris, 1699, t. I, p. 120.

2 Lyon tel qu'il était et tel qu'il est, par A. G*** (M. l'abbé Aimé Guillon), Paris, 1797, p. 33.

3 M. Beuchot.

fense à tous autres spectacles que celui de l'Académie royale de musique d'employer dans leurs représentations plus de six chanteurs et de douze violons, et qui peu après parvint encore à faire réduire ce nombre à deux chanteurs et six violons; ce qui équivalait pour ainsi dire à une défense entière. Il demanda la musique du Matade imaginaire à Charpentier, qui s'en acquitta de manière à ne lui pas laisser de regrets 1.

Le jour de la quatrième représentation de cette riante production 2, le 17 février 1673, premier anniversaire de la mort de Madeleine Béjart, sa belle-sœur, Molière, qui remplissait le rôle d'Argan, se sentit plus malade que de coutume. Baron et tous ceux qui l'entouraient le sollicitèrent en vain de ne pas jouer : « Comment voulez-vous que je fasse? leur répondit-il; il y a cinquante pauvres ouvriers qui n'ont que leur journée pour vivre, que feront-ils si je ne joue pas? je me reprocherais d'avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant absolument 3. » Il fut convenu seulement que la représentation aurait lieu à quatre heures précises. Sa fluxion le fit si cruellement souffrir qu'il lui fallut faire de grands efforts intérieurs pour achever son rôle. Dans la cérémonie, au moment où il prononça le mot juro, il lui prit une convulsion qui put être aperçue par quelques spectateurs, et qu'il essaya aussitôt de déguiser par un rire forcé (22). La représentation ne fut pas interrompue; mais immédiatement après ses porteurs le transportèrent chez lui, rue de Richelieu. Là, sa toux le reprit avec une telle violence qu'un des vaisseaux de sa poitrine se rompit. Dès qu'il se sentit en cet état, il tourna toutes ses pensées vers le ciel 5, et demanda un prêtre pour recevoir les secours de la religion. Deux ecclésiastiques de Saint-Eustache s'étant refusés à venir lui administrer les sacrements, il s'écoula quelque temps avant qu'on en trouvât un troisième plus pénétré

I Anecdotes dramatiques, t. I, p. 365. sique, par M. Beffara (manuscrit), p. 413.

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Histoire de l'Académie royale de mu

2 Et non la troisième, comme l'ont dit la plupart des éditeurs. Registre de La Grange. Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), t. x, p. 81, note. 3 Grimarest, p. 286.

4 Préface des Euvres de Molière, édition de 1682 (par La Grange). Grimarest, p. 287.

5 Ibidem.

des devoirs de son ministère 1. Mais, pendant ces démarches, Molière perdit l'usage de la parole, fut bientôt suffoqué par l'abondance du sang qu'il rendait par la bouche, et expira entouré des siens et de deux pauvres sœurs religieuses qui venaient quêter à Paris pendant le carême, et trouvaient chaque année, chez l'auteur du Tartuffe, une touchante hospitalité 2.

I Requête adressée au nom de la veuve de Molière, à l'archevêque de Paris, t. II, p. 384 du Conservateur, ou Recueil de morceaux inédits d'histoire, etc., tirés des portefeuilles de N. François de Neufchâteau, an VIII.

2 Grimarest, p. 291. — Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière (ra La Serre), p. 1. - Vie de Molière, par Voltaire, 1739, p. 30. Petitot, p. 68.

Le siècle de Louis, le siècle des beaux-arts,
N'accorda qu'à regret, vaincu par la prière,
Du pain au grand Corneille, une tombe à Molière.
C. DELAVIGNE.

Molière étatt mort sans les secours de la religion. Mais le coupable fanatisme de deux prêtres avait été, comme on l'a vu, la seule cause de cette sorte d'abandon; car il avait appelé de tous ses vœux les saintes consolations; ses derniers regards s'étaient portés vers le ciel. Rien toutefois ne put lui faire trouver grâce auprès d'un prélat fameux. L'archevêque de Paris, Harlay de Champvalon, que ses débauches menèrent au tombeau, et qui cherchait à racheter par une barbare intolérance toutes les bassesses de sa vie, voulut que celui dont la carrière entière n'avait été qu'une bonne œuvre, dont la mort avait été celle d'un vrai chrétien, demeurât sans sépulture 1 (1). Le comédien vertueux ne put trouver grâce auprès de ce comédien hypocrite. Cette persécution posthume arracha ces vers à l'indignation de Chapelle :

Puisqu'à Paris on dénie
La terre après le trépas

A ceux qui, pendant leur vie,

Ont joué la comédie,

Pourquoi ne jette-t-on pas
Les bigots à la voirie?

Ils sont dans le même cas 2.

1

Mademoiselle Molière, au moment de la mort de son mari, garda un maintien qui, s'il n'était pas celui d'une douleur sincère et profonde, témoignait du moins qu'elle était fière encore de porter un tel nom. « Quoi! s'écria-t-elle, on refusera la sépulture à celui qui, dans la Grèce, eût mérité des autels 3 ? »

1 Vie de Molière, par Voltaire, 1739, p. 31. - Petitot, p. 68.

2 Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 72.

3 Nole de Brosselle sur l'épître vii de Boileau. - Petitot, p. 68.

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