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Racine n'était encore connu, à cette époque, que par quelques poésies assez faibles, qui justifient la modicité de sa pension; mais rien ne saurait justifier l'exiguïté ridicule de celle de Mo ière et les éloges emphatiques donnés à Chapelain. Ce qui explique du moins toutes ces bizarreries, c'est que ce fut d'après le travail préparatoire de l'auteur de la Pucelle lui-même que cette liste fut dressée. Aussi lisait-on dans les premières éditions de la Satire I de Boileau ces vers, qu'il en a retranchés depuis :

Je ne saurais, pour faire un juste gain,
Aller, bas et rampant, fléchir sous Chapelain.
Cependant, pour flatter ce rimeur tutélaire,
Le frère, en un besoin, va renier son frère,
Et Phébus en personne, y donnant la leçon,
Gagnerait moins ici qu'au métier de maçon;
Ou, pour être couché sur la liste nouvelle,

S'en irait chez Bilaine, admirer la Pucelle.

Molière figure sur la feuille annuelle des pensions jusqu'en 1671 inclusivement pour cette même somme de mille livres. En 1672 il n'y est plus porté 1.

(15) L'Impromptu de Versailles avait été représenté à la cour le 14 octobre, et au théâtre du Palais-Royal le 4 novembre 1663. Cette requête suivit de près l'une ou l'autre de ces représentations; car Racine en parle dans

vous par un attachement plus véritable, ni qui puisse avoir plus de passion pour tout ce qui vous touche qu'en aura, jusqu'au dernier soupir de sa vie, etc.... » Ce dernier de janvier 1669.

AUTRE LETTRE.

MÉZERAY."

« Je vous rends très-humbles graces de l'ordonnance de deux mille livres qu'il vous a plu de m'envoyer. Je l'ai reçue avec le même respect et avec la même reconnaissance que si elle eût été entière et telle que feu Monseigneur le Cardinal me l'avait obtenue du Roi, et que vous-même, Monseigneur, aviez eu la bonté de me la faire continuer durant plusieurs années; mais je vous avouerai franchement, Monseigneur, que j'ai sujet de craindre qu'on ne m'ait encore imputé quelque nouvelle faute, et que ce retranchement n'en soit une punition. Si j'en pouvais avoir connaissance, je me mettrais en devoir ou de m'en justifier ou de la réparer selon vos ordres. Je m'examine, pour cet effet, à la dernière rigueur ; je cherche jusqu'au fond de mon âme, et ma conscience ne me reproche rien. Je travaille, Monseigneur, selon vos intentions et selon les règles que vous m'avez prescrites. Je porte mes feuilles à M. Perrault, j'avance le travail autant qu'il m'est possible. Ainsi, Monseigneur, je ne puis trouver d'autre cause de ma diminution que mon peu de mérite; mais la générosité du plus grand des rois et la faveur de votre protection peuvent bien encore suppléer à ce défaut comme elles y ont suppléé jusqu'à l'année présente. C'est avec cette espérance, Monseigneur, que je prends la hardiesse d'avoir recours à votre bonté, toujours si favorable aux gens de lettres et aux créatures de feu Monseigneur le Cardinal, dont la mémoire vous est si chère. Ne retranchez pas, s'il vous plaît, une partie de vos grâces à une personne qui perdrait plutôt la vie que de rien diminuer du zèle qu'il a pour votre service, et de l'attachement inviolable avec lequel il fait gloire d'être, etc.

De Paris, ce 16 mars 1672.

MÉZERAY, historiographe. »

« On trouva à l'inventaire de Mézeray un sac de mille francs en argent blanc avec cette étiquette : C'est ici le dernier argent que j'ai reçu du Roi. Aussi depuis ce temps n'ai-je jamais dit de bien de lui. » (Pièces intéressantes el peu connues [par La Place], t. III, p. 223.)

1 Mélanges publiés par la Société des Bibliophiles français, année 1826.

une lettre que nous aurons occasion de citer tout à l'heure, adressée par lui à M. Levasseur, au mois de décembre 1663. Petitot a omis de rapprocher ces dates, quand il a dit que cette requête était l'ouvrage des faux dévots irrités contre lui à cause du Tartuffe. Trois actes seulement de cette comédie furent, pour la première fois, représentés à Versailles, le 12 mai 1664; c'està-dire six mois au moins après la requête.

(16) Voici cet acte de décès, inscrit aux registres des convois de la paroisse de Saint-Sulpice, pour l'année 1700, fo 41:

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Ledit jour, 2 décembre 1700, a été fait le convoi, service et enterrement de damoiselle Armande-Grezinde-Claire-Élisabeth Béjart, femme de M. François-Isaac Guérin, officier du Roi, âgée de cinquante-cinq ans, décédée le dernier jour de novembre de la présente année, dans sa maison, rue de Touraine. Et ont assisté audit convoi, service et enterrement, Nicolas Guérin, fils de ladite défunte; François Mignot, neveu de ladite défunte, et M. Jacques Raisin, officier du Roi et ami de ladite défunte, qui ont signé, Guérin, François Mignot et Jacques Raisin. »>

(17) Les premiers écrivains qui ont donné des détails biographiques sur Molière et sur sa femme, ont tous présenté celle-ci comme fille de Madeleine Béjart et du comte de Modène. L'inexactitude reconnue de leurs autres assertions pouvait faire douter du fondement de celle-ci, quand, en 1821, M. Beffara publia dans sa Dissertation sur Molière l'acte de naissance de la fille de la Béjart et du comte de Modène, constatant qu'elle est née en 1638, et a reçu le nom de Françoise 1, tandis que, suivant l'acte de mariage de Molière, sa femme se nommait Armande-Gresinde-Claire-Élisabeth, était née en 1645, et avait pour père et mère Joseph Béjart et Marie Hervé, sa femme 2. L'acte de décès de la veuve de Molière, rapporté dans la note précédente, prouve également qu'elle est née en 1645. Grimarest, Voltaire et les autres biographes se sont done trompés sur le nom, l'âge et la filiation de la femme, comme sur l'époque et le lieu de la naissance du mari et sur le nom de sa mère,

Un littérateur qui a terminé récemment une longue et honorable carrière, M. le marquis de Fortia d'Urban, a, dans trois Dissertations publiées successivement, pris la défense de la tradition, si souvent en défaut, contre l'imposante autorité d'actes authentiques. Il était impossible de tirer plus de parti d'une cause aussi faible. Nous renvoyons les lecteurs, qui voudraient être à même de prononcer dans ce débat, aux trois Dissertations que M. le marquis de Fortia a publiées sur ce sujet (1821, 1824 et 1825), et à la Lettre que nous lui avons adressée, imprimée en 1824; mais ce sera leur

I «On trouve dans les registres de naissances de la paroisse de Saint-Eustache, sous la date du dimanche 11 juillet 1638, un acte de baptême de Françoise, née du samedi 3 dudit mois; fille de messire Esprit de Raymond, chevalier, seigneur de Modène et autres lieux, chambellan des affaires de MONSEIGNEUR, frère unique du Roi ; et de damoiselle Madeleine Béjard, sa mère, demeurant rue Saint-Honoré; le parrain, Jean-Baptiste de l'Hermite, écuyer, sieur de Vauselle, tenant lieu de messire Gaston-Jean-Baptiste de Raymond, aussi chevalier, seigneur de Modène ; la marraine, damoiselle Marie Hervé, femme de Joseph Béjard, écuyer. » En marge de cet acte est écrit: Françoise, illégitime. (Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p. 13.)

2 Voir l'acte de mariage, Note 2 de ce livre.

épargner un examen fastidieux que de les prévenir que M. Auger, qui avait été choisi pour arbitre, ayant pesé les arguments des parties, a cru devoir donner ses conclusions en notre faveur. (Voir pag. 88 et suiv, du Discours sur la comédie et Vie de Molière, en tête du tome 1 de l'édition des OEuvres de Molière, avec un commentaire par M. Auger.)

(18) Voici l'acte de baptême du filleul de Louis XIV et de madame Henriette d'Orléans, relevé sur les registres de Saint-Germain-l'Auxerrois :

« Du jeudi, 28 février 1664, fut baptisé Louis, fils de M. Jean-Baptiste Molière, valet de chambre du Roi, et de damoiselle Armande-Gresinde Béjart, sa femme, vis-à-vis le Palais-Royal; le parrain, haut et puissant seigneur, messire Charles, duc de Créquy, premier gentilhomme de la chambre du Roi, ambassadeur à Rome, tenant pour Louis quatorzième, roi de France et de Navarre; la marraine, dame Colombe le Charron, épouse de messire César de Choiseul, maréchal du Plessy, tenante pour madame Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans, L'enfant est né le 19 janvier audit an. » Signé Colombet,

Cet enfant mourut avant son père.

(19) Dans les premiers temps de la passion du roi pour mademoiselle de La Vallière, « Bellocq composa plusieurs récits qu'on mêlait à des danses, tantôt chez la reine, tantôt chez MADAME; et ces récits exprimaient avec mystère le secret de leurs cœurs, qui cessa bientôt d'être un secret, » (VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, édit. de Lequien, tom, xx, pag. 144.)

Sur les États généraux des officiers de la maison du Roi (Archives du royaume, section judiciaire), le nom de ce valet de chambre est écrit Belot, Mais l'orthographie des noms y est peu respectée, et on y lit plus d'une fois Roquelin pour Poquelin.

(20) M. de Sevelinges, auteur de l'article Lulli de la Biographie universelle, prétend que Lulli n'eût jamais osé faire une semblable réponse à M. de Louvois, Lorsque ce littérateur a révoqué ce fait en doute, il n'avait probablement pas présente à la mémoire la plaisanterie que Lulli se permit à l'égard du roi lui-même. Il avait été chargé à la cour de diriger un divertissement. L'heure indiquée pour le lever du rideau était passée depuis longtemps et le spectacle ne commençait pas. Le roi, ennuyé de ce retard, avait déjà envoyé dire à Lulli de faire commencer; mais ses ordres demeuraient sans effet. Il envoya de nouveau dire au Florentin qu'il se retirait, qu'il ne pouvait plus attendre. Est-ce que le roi n'est pas le maître?» répondit Lulli. (Récréations littéraires, par Cizeron-Rival.)

(21) Il ne sera pas inutile, dit d'Alembert, dans sa note 27 sur l'Éloge de Despréaux, de rappeler ici le trait principal de cet arrêt si étrange et peu connu. Les magistrats qui le liront auront pitié de leurs prédécesseurs et craindront de leur ressembler.

« ARRÊT contre VILLON, BITAULT et DE CLAVES, accusés d'avoir composé et publié des thèses contre la doctrine d'Aristote.

» Ces trois philosophes antipéripatéticiens avaient fait afficher leurs thèses; Bitault devait les soutenir, Villon en être le juge, et De Claves le président, Le 23 du mois d'août 1624 était le jour fixé pour la dispute; elle devait se

faire dans la salle du palais de la reine Marguerite, où s'étaient déjà assemblées près de mille personnes pour y assister, Mais avant qu'elle commençât le premier président défendit cette dispute; De Claves fut mis en prison, et Villon, craignant le même sort, prit la fuite. Voici l'arrêt que le parlement donna contre leurs thèses :

» Vu par la cour la requéte présentée par les doyens, syndics et docteurs de la Faculté de théologie en l'Université de Paris, tendant à ce que, pour les causes y contenues, fût ordonné que les nommés Villon, Bitault et De Claves comparaîtraient en personne pour avouer ou désavouer les thèses par eux publiées, et, ouï leur déclaration, être procédé contre eux ainsi que de raison; cependant, permis de faire saisir lesdites thèses, et défenses faites de les disputer, etc.; la cour, après que ledit De Claves a été admonesté, ordonne que lesdites thèses seront déchirées en sa présence, et que commandement sera fait par un des huissiers de ladite cour auxdits De Claves, Villon et Bitault, en leurs domiciles, de sortir dans vingt-quatre heures hors de cette ville de Paris, avec défense de se retirer dans les villes et lieux du ressort de cette cour, d'enseigner la philosophie en aucune des universités d'icelui, et à toutes les personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de mettre en dispute lesdites propositions contenues ès-dites thèses, les faire publier, vendre et débiter, à peine de punition corporelle, soit qu'elles soient imprimées en ce royaume ou ailleurs; fait défenses à toutes personnes, a peine de LA VIE, d'obtenir ou d'enseigner aucune maxime contre les anciens auteurs approuvés, et de faire aucune dispute que celles qui seront approuvées par les docteurs de ladite faculté de théologie; ordonne que le présent arrêt sera lu en l'assemblée de ladite Faculté de Sorbonne, mis et transcrit en leurs registres; et en outre copies collationnées d'icelui baillées au recteur de l'Université, pour être distribuées par les colléges, à ce qu'aucun n'en prétende cause d'ignorance. Fait au parlement, le quatrième jour de septembre 1624. Ledit jour, ledit De Claves mandé, lesdites thèses ont été déchirées en sa présence.

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(22) Le jeune enfant que l'on renfermait dans cet harmonieux étui devint un excellent comédien. C'est le fameux Raisin, artiste d'un vrai talent, qui joua avec un égal succès les rôles à manteau, ceux des valets rusés, des petits-maîtres et des ivrognes, Homme du monde, plein d'originalité et d'esprit, conteur aimable, il n'avait qu'un seul défaut, celui de s'adonner au vin avec excès: il aurait, dit-on, troqué volontiers sa femme contre une bouteille de champagne. Il mourut en 1693, année où le vin manqua. On fit à cette occasion le huitain suivant :

Quel astre pervers et malin,
Par une maudite influence,
Empêche désormais qu'en France
On puisse recueillir du vin?
C'est avec raison que l'on crie
Contre la rigueur du destin,
Qui nous ôte jusqu'au Raisin
De notre pauvre comédie.

(Anecdotes dramatiques, tom. III, pag. 422.)

(23) Baron, fils d'un acteur et d'une actrice, était alors orphelin; « sa mère était si belle, que lorsqu'elle se présentait pour paraître à la toilette

de la reine-mère, Sa Majesté disait aux dames qui étaient présentes : « Mesdames, voici la Baron; » et elles prenaient la fuite. Son père mourut d'un accident très-singulier: il faisait son rôle de don Diègue, dans le Cid; son épée lui était tombée des mains, comme la circonstance l'exige dans la scène qu'il avait faite avec le comte de Gormas, et, en la repoussant du pied avec indignation, il en trouva malheureusement la pointe, dont il eut le petit doigt piqué; on traita le soir cette blessure comme une bagatelle; mais quand il vit, deux jours après, que la gangrène faisait tout apprêter pour lui couper la jambe, il ne voulut pas le souffrir: « Non, non, dit-il; un roi de théâtre comme moi se ferait huer avec une jambe de bois. » Il aima mieux attendre doucement la mort, qui l'emporta le lendemain. » (Lettre à mylord ***, sur Baron et mademoiselle Lecouvreur; par George Wink (d’Allainval) 1730).

(24) Le nom de famille de ce comédien était Mignot. La Serre dit que Molière le consola et l'embrassa.

: a Il

» a été

(25) Le passage que nous insérons dans notre texte est tiré de l'édition originale de la description des Plaisirs de l'Ile enchantée, publiée en 1665 par Ballard, et plusieurs fois réimprimée du vivant de Molière. « Mais, dans l'édition de ses OEuvres, dit M. Auger, donnée en 1682 par La Grange et Vinot, le passage est altéré d'une manière fort remarquable. Dans cette phrase: « Son extrême délicatesse pour les choses de la religion ne put souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu, » on a substitué aux mots ne put souffrir ceux-ci, eut de la peine à souffrir; et cette autre phrase Ja défendit pourtant en public, et se priva soi-même de ce plaisir, changée en celle-ci : Il défendit cette comédie pour le public jusqu'à ce qu'elle fût entièrement achevée et examinée par des gens capables d'en juger; pour n'en pas laisser abuser à d'autres moins capables d'en faire un juste discernement. » Ces changements, faits après coup, ont évidemment pour objet de transformer en une suspension momentanée la défense absolue et définitive qu'avait faite Louis XIV. Aurait-on voulu par là garantir du reproche d'inconséquence le monarque qui finit par permettre la représentation de cette même pièce qu'il avait d'abord jugé impossible de donner au public?» (OEuvres de Molière, avec un commentaire par M. Auger, tom. VI, pag. 203, note).

(26) L'auteur de la Fameuse comédienne, dit (pag. 14) que « le comte de Guiche comptait pour peu de fortune le bonheur d'être aimé des dames; » cependant d'autres contemporains prétendent qu'il fut très-épris de madame Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.

(27) La Fameuse comédienne dit que Molière est redevable de ce service à l'abbé de Richelieu, qui le premier avait eu mademoiselle Molière pour maîtresse, et qui, ayant saisi une lettre qu'elle avait écrite au comte de Guiche dans le temps de sa passion pour lui, furieux d'avoir été pris pour dupe et d'avoir payé si cher les faveurs d'une femme qui les prodiguait à tant d'autres, instruisit le pauvre mari de tout ce qui se passait. Cet abbé de Richelieu, qui était probablement neveu du feu cardinal-ministre, était un des hommes à bonnes fortunes de l'époque. Il avait été également l'amant de la

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