Et sa miséricorde à la fin s'est lassée :
On ne voit plus pour nous ses redoutables mains De merveilles sans nombre effrayer les humains: L'arche sainte est muette, et ne rend plus d'oracles.
Et quel temps fut jamais si fertile en miracles? Quand Dieu par plus d'effets montra-t-il son pouvoir? Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir, Peuple ingrat? quoi! toujours les plus grandes mer- veilles
Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles ? Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours Des prodiges fameux accomplis en nos jours: Des tyrans d'Israël les célèbres disgrâces,1 Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces; L'impie Achab détruit, et de son sang trempé Le champ que par le meurtre il avait usurpẻ; Près de ce champ fatal Jézabel immolée ; Sous les pieds des chevaux cette reine foulée; Dans son sang inhumain les chiens désaltérés, Et de son corps hideux les membres déchirés, Des prophètes menteurs la troupe confondue,2 Et la flamme du ciel sur l'autel descendue; Élie aux éléments parlant en souverain, Les cieux par lui fermés et devenus d'airain, Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée; Les morts se ranimant à la voix d'Élisée ? Reconnaissez, Abner, à ces traits 3 éclatants, Un Dieu tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps. Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire ; Et son peuple est toujours présent à sa mémoire.
Mais où sont ces honneurs à David tant promis, Et prédits même encore à Salomon son fils?
1 Disgrâces-Disasters, misfortunes. 2 Confondue-Confounded.
Hélas! nous espérions que de leur race heureuse Devait sortir de rois une suite nombreuse; Que sur toute tribu, sur toute nation, L'un d'eux établirait sa domination,
Ferait cesser partout la discorde et la guerre, Et verrait à ses pieds tous les rois de la terre.
Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous ?
Ce roi, fils de David, où le chercherons-nous ? Le ciel même peut-il réparer les ruines
De cet arbre séché jusques dans ses racines? Athalie étouffa l'enfant même au berceau. Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau ? Ah! si dans sa fureur elle s'était trompée; Si du sang de nos rois quelque goutte échappée...
Hé bien ! que feriez-vous ?
O jour heureux pour moi !
De quelle ardeur j'irais reconnaître mon roi ! Doutez-vous qu'à ses pieds nos tribus empressées... Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ? Déplorable héritier de ces rois triomphants, Ochozias restait seul avec ses enfants: Par les traits de Jéhu je vis percer le père ; Vous avez vu les fils massacrés par la mère.
Je ne m'explique point; mais quand l'astre du jour Aura sur l'horizon fait le tiers de son tour,
1 Devait-Was.
2 Etouffa-Smothered.
Lorsque la troisième heure1 aux prières rappelle, Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle. Dieu pourra vous montrer par d'importants bienfaits Que sa parole est stable, et ne trompe jamais. Allez pour ce grand jour il faut que je m'apprête, Et du temple déjà l'aube 2 blanchit le faîte.
Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas ? L'illustre Josabet porte vers vous ses pas: Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle Qu'attire de ce jour la pompe solennelle.
Les temps sont accomplis, princesse : il faut parler; Et votre heureux larcin ne se peut plus céler. Des ennemis de Dieu la coupable insolence, Abusant contre lui de ce profond silence, Accuse trop longtemps 3 ses promesses d'erreur : Que dis-je ? le succès animant leur fureur, Jusques sur notre autel votre injuste marâtre Veut offrir à Baal un encens idolâtre. Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé, Sous l'aile du Seigneur dans le temple élevé. De nos princes hébreux il aura le courage: Et déjà son esprit a devancé son âge Avant que son destin s'explique par ma voix, Je vais l'offrir au Dieu par qui règnent les rois. Aussitôt assemblant nos Lévites, nos prêtres, Je leur déclarerai l'héritier de leurs maîtres.
1 La troisième heure, i. e, Neuf heures du matin.
2 L'aube-Latin, albus, white. Fr. Blanc-Blanchir, to whiten. 3 Accuse trop longtemps-Has for too long a time accused.
5 A devancé son âge-Is beyond his age.
Sait-il déjà son nom et son noble destin?
Il ne répond encor qu'au nom d'Éliacin, Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère, A qui j'ai par pitié daigné servir de père.
Hélas! de quel péril je l'avais su tirer! Dans quel péril encore il est près de rentrer !
Quoi! déjà votre foi s'affaiblit et s'étonne?
A vos sages conseils, seigneur, je m'abandonne. Du jour que j'arrachai cet enfant à la mort, Je remis en vos mains tout le soin de son sort; Même, de mon amour craignant la violence, Autant que je le puis j'évite sa présence, De peur qu'en le voyant quelque trouble indiscret Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret. Surtout j'ai cru devoir1 aux larmes, aux prières, Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières. Cependant aujourd'hui puis-je vous demander Quels amis vous avez prêts à vous seconder? Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre? A-t-il près de son roi fait serment de se rendre?
Abner, quoiqu'on se pût assurer sur sa foi, Ne sait pas même encor si nous avons un roi.
Mais à qui de Joas confiez-vous la garde? Est-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde? De mon père sur eux les bienfaits répandus...
1 J'ai cru devoir-I thought it my duty.
A l'injuste Athalie ils se sont tous vendus.
Qui donc opposez-vous contre ses satellites ?1
Ne vous l'ai-je pas dit? nos prêtres, nos Lévites.
Je sais que, près de vous en secret_assemblé, Par vos soins prévoyants leur nombre 2 est redoublé ; Que pleins d'amour pour vous, d'horreur pour Athalie, Un serment solennel par avance les lie
A ce fils de David qu'on leur doit révéler. 3
Mais, quelque noble ardeur dont ils puissent brûler, Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle? Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle? Doutez-vous qu'Athalie, au premier bruit semé Qu'un fils d'Ochozias est ici renfermé, De ses fiers étrangers assemblant les cohortes, N'environne le temple, et n'en brise les portes ? Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints, Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains, Ne savent que gémir et prier pour nos crimes, Et n'ont jamais versé que le sang des victimes? Peut-être dans leurs bras Joas percé de coups...
Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous ? Dieu, qui de l'orphelin protége l'innocence, Et fait dans la faiblesse éclater sa puissance; Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël Jura d'exterminer Achab et Jézabel;
1 Satellites-On dit les gardes d'un roi, et les satellites d'un tyran. 2 Leur nombre assemblé-On ne dit point en prose, un nombre assemble; mais le sens est si clair qu'en excuse cette licence poétique en faveur de la précision.-GEOFFROY.
3 Qu'on leur doit révéler-Who is to be revealed to them.
4 N'environne ... et n'en brise-Latinism above-mentioned, p. 8.
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