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ses ressources; des dangers de toutes sortes, des scènes tragiques dans les forêts, des fuites et des poursuites, des surprises, des enlèvements, des délivrances inattendues voilà les ingrédients inévitables, et les combinaisons en sont connues d'avance. Le principal personnage et le meilleur est un chien d'une rare intelligence et dont le livre devrait porter le nom, tant il y joue un rôle important. Il a un avantage sur ses compagnons qui parlent nègre ou un français d'une trivialité affectée, c'est qu'il ne parle pas. Il n'en agit pas moins, car l'auteur en a fait comme le deus ex machina de son drame, le sauveur de chacun, le conciliateur universel.

M. Eliacim Jourdain, l'intrépide dramaturge dieppois avec lequel nous avons fait connaissance l'année dernière1, aborde aussi le roman. Nous avons lu avec intérêt le récit qu'il intitule simplement : Edmée, du nom gracieux de son héroïne. Il ne manque pas de sensibilité. C'est une de ces histoires d'amour où les deux soupirants, dignes l'un de l'autre, mais séparés par des montagnes de distances sociales, triomphent de tous les obstacles et sont rapprochés par le mérite, par le dévouement, ainsi que par des revers passagers de fortune. Ici tous les personnages sont dignes d'être aimés et heureux, et ils finissent tous par trouver, la grande satisfaction du lecteur, le bonheur dans l'amour. C'est là le vrai roman, ce rêve de l'esprit éveillé qui combine les événements au gré de la fantaisie et qui console de la réalité en nous faisant vivre dans un monde meilleur et plus pur. Par le sujet, la conduite de l'action et le dénoûment, M. Éliacim Jourdain est de cette école un peu ancienne qui idéalise la vie et les hommes. Mais dans le détail de l'exécution il ne dédaigne pas cette exactitude de peinture si chère aux romanciers plus modernes. Je

1. Année littéraire, t. III, p 259, 260.

voudrais chez lui le style plus uniforme et plus simple; je voudrais surtout qu'il laissât de côté ses souvenirs intempestifs de littérature contemporaine qui jettent au milieu d'un récit les noms et les apologies de MM. Méry, Arsène Houssaye, Théodore de Banville, Emm. des Essarts et tant d'autres étoiles de diverses grandeurs de ce que certains auteurs appellent encore, comme on vient de le voir, le ciel parisien. Tous les critiques et journalistes reçoivent à brûle-pourpoint et à tout propos de violents coups d'encensoir. Je permets à un auteur de jeter dans une préface le gâteau de miel aux Cerbères de la presse; mais une fois le sujet attaqué, ne songez plus qu'à votre œuvre. Faites-la forte, brillante, profonde, sans vous préoccuper de vos juges; emparez-vous du public, et vos juges compteront avec vous.

Figures nouvelles.

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Romans déjà anciens. MM. J. Canonge
et A. Frémy.

A défaut d'œuvres nouvelles, la réimpression d'œuvres très-travaillées et qui ont obtenu d'assez grands succès littéraires, nous ramène dans le roman le nom de M. J. Canonge, en qui nous n'avons encore vu que le poëte1. Il réunit sous le titre d'Arles en France2, quatre nouvelles très-différentes de ton et destinées à représenter la physionomie de l'antique cité, pendant quatre périodes: au temps des Romains, sous la domination des Sarrasins, au moyen âge et enfin de nos jours. Elles ont pour titres : Phylax, la Chèvre d'or, Jeanne d'Alcyn, Izane, et toutes respirent le même enthousiasme pour cette ville, sa population, son ciel, son histoire.

1. Voy. tome III de l'Année littéraire, p. 58.
2. J. Tardieu, 2o édit., petit in-18, 352 p.

Le petit roman destiné à peindre l'Arles de la première période est une sorte d'idylle gréco-romaine qui s'encadre dans les splendeurs impériales transportées à Arles par Constantin. C'est l'histoire d'un sculpteur d'origine grecque, Philax, qui, après avoir vu le glorieux profit de ses œuvres passer en des mains étrangères, trouve une mort malheureuse au moment où la gloire vient à lui. Il y a ici du mouvement, de la passion, de la grâce surtout, et une sensibilité touchante. M. Canonge s'y montre le disciple de Chateaubriand, et il a quelque chose à la fois de ses qualités et de ses défauts. La couleur locale tourne parfois à l'archaïsme, et la prétention naît de l'excès d'élégance.

La seconde de ces quatre nouvelles, la Chèvre d'or me paraît la meilleure de toutes. L'élément sarrasin y est habilement mis en œuvre. Ce sont les merveilles du génie arabe s'épanouissant librement sous le beau ciel de notre. midi. M. J. Canonge n'a pas moins de grâce cette fois, ni de sensibilité; mais il a plus de vivacité et excite un intérêt plus dramatique. Les autres nouvelles ont encore des scènes heureuses. Mais malgré la diversité des aspects sous lesquels l'auteur s'efforce de représenter sa ville favorite, le retour des mêmes objets et l'emploi de procédés analogues de composition jettent sur l'ensemble quelque monotonie.

M. J. Canonge est en littérature un artiste consciencieux. Son travail porte l'empreinte d'un double amour, l'amour de son sujet et celui de l'art. On ne saurait trop louer, à une époque d'improvisation et de littérature à toute vapeur, de telles qualités, et la critique devait bien à l'auteur d'Arles en France les encouragements qu'elle lui a donnés. N'y a-t-il pas pourtant un peu d'exagération dans les éloges prodigués à ces essais par une partie de la presse, et que l'auteur se plaît à reproduire dans sa nouvelle édition? Les journalistes savent reconnaître le talent sans

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doute partout où il se manifeste; mais quand ils le rencontrent dans des œuvres qui semblent honorer un parti, leurs louanges n'ont plus de mesure. Que M. J. Canonge ne se laisse pas enivrer par des hyperboles; qu'il ne se contente pas d'avoir rappelé tel ou tel maître, «< avec quelques ciselures de moins et quelques rayons de plus, comme dit M. A. de Pontmartin. Qu'il s'efforce de devenir un maître lui-même; qu'il joigne à la grâce et à l'élégance une plus grande variété d'invention; qu'il surveille de plus près encore ce style qui fait déjà son principal mérite. J'y voudrais une unité plus soutenue. Peut-être y a-t-il quelque chose de factice dans ce genre de prose poétique qu'il affectionne; mais le genre admis, il faut en suivre les lois, il faut se garder de jeter au milieu d'ornements parfois excessifs des notes criardes de prosaïsme, et de mêler à un langage voisin de celui des dieux les expressions plates du journalisme ou du code1. Je voudrais ou plus de simplicité dans l'ensemble, ou plus d'égalité dans les détails.

Qu'on nous permette aussi un coup d'œil rétrospectif sur un livre curieux de M. Arnould Frémy, qui fait un contraste complet avec le précédent. Les Confessions d'un

1. Voici quelques exemples des inégalités de style que je prends la permission de blâmer.

«Philax était rêveur.... Cette rêverie n'avait point échappé à la sollicitude de Juniola: malgré le sourire accidentel qui dans ce moment animait ses traits, elle s'en préoccupait tristement.

Dans ce style, en général, un peu archaïque, je suis déjà tenté de reprendre le mot sollicitude.

...

Ah! sollicitude à mon oreille est rude.

Mais que dire de ce sourire accidentel, sur les lèvres poétiques d'une jeune fille au profil grec?

Continuons: « Les ramiers avaient pris leur vol devant l'intervention subite de Philax; Callimande et Amiette cassaient tantôt leur fil, tantôt leur aiguille, sans progrès appréciable de leur travail respectif. » Quelles dissonances!

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bohémien sont-elles un roman imaginaire ou une histoire véritable, comme semble l'indiquer le titre ? La préface nous ferait pencher vers cette seconde opinion. L'auteur prétend en être seulement l'éditeur. « Il n'a fait qu'écrire sous la dictée d'autrui; on lui a remis des notes, des fragments qui se rattachaient à un ensemble, qu'il n'a eu qu'à diviser et à mettre en ordre. »

Si l'on ouvre le livre, on y verra deux parties distinctes: au début, la peinture d'un état moral qui pourrait bien être véridique, et à la fin une suite d'aventures romanesques qui ne peuvent être qu'un jeu d'imagination. La première partie est celle qui me plaît le plus. On s'attache à ce modeste professeur, si dévoué à la science et à ses élèves, qui ne vit que pour le vrai et le devoir, et qu'une passion funeste pour une créature indigne de lui vient saisir à son insu au fond même de sa retraite. Il y a là un enchaînement de sentiments, d'idées et d'actes qui vous entraîne; c'est une sorte d'engrenage lent et terrible, dans lequel l'imprudent qui se laisse saisir passera tout entier. On éprouve une compassion mêlée de colère pour cet homme, inutilement doué de raison, qui sacrifie tout à une absurde passion, son avenir, sa personne et deux êtres chéris, une sœur et une mère qu'il entraîne avec lui dans la misère. C'est une nouvelle forme de l'histoire d'Adolphe, mais plus malheureuse et plus navrante. Je n'aime pas la halte que fait le pauvre homme sur le chemin de l'abîme dans le beau château de Sinneville. L'invention de ce protecteur inattendu est malheureuse, malgré l'originalité du personnage. Elle amène des incidents fabuleux, romanesques, tout à fait en dehors du caractère général du livre.

Les Confessions d'un bohémien sont, en définitive, des pages étranges comme l'auteur les appelle: peu conformes à la vraisemblance, elles sont conformes à la logique des

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