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un peu d'ironie. Le sonnet daté de Poitiers, 4 février 1851, et intitulé Sur un arbre de la liberté, contient un trait caustique, fort rare, sinon unique dans le livre :

Nous l'avions tous planté, voilà moins de trois ans,
En grande pompe un jour d'allégresse publique.
C'était un peuplier, un arbre magnifique,

Qui poussait droit au ciel ses rameaux verdissants.

Le soleil printanier enivrait tous nos sens,

Tout nous charmait, les vers, la prose et la musique;
Même, s'il m'en souvient, orateur pathétique,
Un évêque mêlait sa voix à nos accents.

Je l'ai vu l'autre jour mon peuplier superbe
Réduit à deux tronçons dont l'un gisait sur l'herbe;
Un abbé, dans leurs jeux surveillant des marmots,
L'avait de son chapeau coiffé comme une borne....
Voilà ce qui restait de tant d'espoirs si beaux :
Un morceau de bois mort surmonté d'un tricorne!

Mais M. Arnould n'aime pas plus à blesser ses adversaires par des épigrammes qu'à les déchirer par des invectives. Toute sa politique consiste dans la fraternité humaine, qui triomphera un jour par la seule force de l'amour. I le croit du moins, et termine ainsi une série de sonnets sur le progrès :

Ne jetons plus nos cris à tous les vents de l'air;
N'invoquons plus sans cesse ou le ciel ou l'enfer;
Purifions nos cœurs sans maudire les autres;

Nous pourrons d'autant plus que nous serons plus doux.
Souvenons-nous du Christ et de ses saints apôtres;
Ils ont conquis le monde en disant : aimez-vous.

Tel est le recueil des poésies posthumes de M. Edm. Arnould, livre d'inspirations nobles et d'émotions honnêtes. Malgré quelques faiblesses, la langue s'y montre d'ordinaire à la hauteur des sentiments. Le volume entier des

Sonnets et Poëmes est digne de l'accueil qu'il a obtenu, et quelques fragments méritent peut-être de survivre aux suffrages du moment. En supposant même que cette révélation inattendue d'un poëte, dans un critique éclairé et un professeur sympathique, ne donne pas au nom de M. Arnould la gloire que ses amis ont rêvée pour lui, elle suffit du moins pour.leur laisser un souvenir honorable de son talent et de son caractère et augmenter les regrets de sa perte prématurée.

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La poésie lyrique dans un cadre épique. M. N. Martin.

Le poëme de Mariska, légende madgyare, par M. N. Martin, échappe heureusement au genre narratif, aujourd'hui un peu vieilli, pour rentrer dans la forme lyrique, cette forme par excellence de la poésie moderne. C'est un chant d'amour qui a en quelque sorte pour strophes une suite de pièces détachées parmi lesquelles le sonnet domine. Mariska, la jeune et belle Madgyare, a inspiré une passion profonde à un des défenseurs de la patrie, qui, par l'âge, pourrait être son père. Le guerrier chante son amour, qui ne fait qu'un avec son patriotisme; il accuse la fuite de sa jeunesse et n'en ouvre pas moins son âme à l'espérance et aux rêves les plus doux. Puis vient la déception, l'isolement cruel; l'idéal qu'il a cru saisir lui échappe; il ne lui reste plus qu'à mourir. La patrie comptera un héros de plus, la liberté un martyr, et l'amour une victime.

On devine, on soupçonne seulement le drame sous les effusions lyriques qui en traduisent les péripéties. Ces effusions ont elles-mêmes un accent de vérité et de profondeur intime qui leur donne un cachet remarquable de

poésie. Ces chants si courts sont rapides comme des élans. Voyez, par exemple, ce retour vers la jeunesse évanouie.

L'OISEAU D'OR.

Un oiseau chantait sur la branche
Toute fleurie et toute blanche.

C'était un oiseau si vermeil
Qu'on l'eût dit venu du soleil.

Il chantait d'une voix si claire
Que l'âme en vibrait comme un verre.

Il avait des airs si vainqueurs
Que l'espoir gonflait tous les cœurs.

Mais il n'est plus. Ah! qu'il renaisse
Cet oiseau d'or de ma jeunesse.

Voyez ensuite comme l'amour est pur et radieux, et comme il transfigure à la fois l'idole et l'adorateur.

L'HERMINE.

Saint désir! Voeu sacré! Reste la pure hermine,
La neige immaculée aux pics voisins des cieux.
Vers ces blanches hauteurs dès qu'il lève les yeux,
L'homme échappe à son corps, son âme s'illumine.
Dans cet exil mortel où, rêveur, je chemine,
Ainsi tu m'apparus, lis noble et gracieux,
Et ton parfum, porté par l'air mélodieux,
M'embauma tout le cœur d'une extase divine.

Et semblable à Tobie à qui l'ange apparut,
Je demeurai tremblant sous l'image céleste,
Et tout songe terrestre en moi soudain mourut.

Oh! pour moi sois toujours cet ange pur, et reste,
Douce apparition, idéal adoré,

Cette hermine, ce lis et ce rayon sacré.

Aussi, quel déchirement, quand le poëte sent l'idéal lui échapper!

Idéal, idéal, divin tourment des âmes,
Tu. nous jettes meurtris sur la réalité !
Malheur à qui poursuit ton rayon enchanté :
Il se sent consumer en d'impuissantes flammes.

Infirmité du cœur, tristes bornes du sort
Qui feraient blasphémer l'âme la plus céleste;
L'espoir ment, l'amour meurt. —Ah! qu'importe le reste,
Il n'est rien ici-bas de complet que la mort.

Des accents si vrais ne peuvent être sortis que du cœur, et, sous la légende de Mariska, on sent une déchirante réalité. M. N. Martin écarte le voile qui recouvre celle-ci et accroît notre sympathie pour le poëte de nos regrets pour un héros. Mariska n'est que la traduction en vers français de notes trouvées sur le cœur d'un Madgyare, tué au milieu des Carpathes, en 1860, dans un engagement contre les Russes; il s'appelait Nimbsch, et, dans son passage à Paris, il y a une vingtaine d'années, il s'était lié intimement avec le poëte français qui rend aujourd'hui cet hommage fraternel à sa mémoire. Le sentiment pieux de M. N. Martin l'a bien servi; ce petit volume se trouvera compter à la fois pour l'auteur comme une bonne action et comme un de ses meilleurs titres littéraires1.

4

La poésie lyrique du genre mélancolique et gracieux.
MM. Lacaussade, A. J. de Saint-Germain.

Les Épaves, de M. A. Lacaussade, appartiennent, en général, à ce genre de poésie intime dans laquelle notre

1. Trois éditions de Mariska se sont succédé dans l'année. Les deux dernières (in-18, 152 p., et in-32 diamant, 128 p.) ont été revues avec soin par l'auteur et augmentées de quelques pièces nouvelles.

2. Dentu, in-18, 224 pages.

siècle a excellé. On y trouve un choix des pensées les plus chères de l'auteur, un témoignage de sa foi dans les destinées immortelles de la poésie et de la tristesse que lui cause la décadence dans nos mauvais jours. Au milieu du naufrage universel de l'inspiration, il n'y a que des épaves à recueillir, que des vieux partis à honorer en silence, que des morts à ensevelir, que des illusions perdues à pleurer. Toute une situation morale se trouve peinte dans la plupart des pages de M. Lacaussade, notamment dans celles intitulées : Solus eris.

Il est en moi déjà bien des tombes muettes;
Il est en moi des morts bien chèrement pleurés;
Mon âme en deuil, mon âme aux angoisses secrètes
Les visite, la nuit, de ses pleurs ignorés.

Je n'ai point renié mon passé ni mon rêve!
Ce qu'une fois j'aimai je l'aimerai toujours!

Oui, le dégoût m'a pris! oui, le cœur me soulève!
Mais j'ai trouvé mes dieux moins hauts que mes amours.

M. Lacaussade, atteint aujourd'hui d'un désenchantement si profond, avait espéré beaucoup pourtant de la poésie. Il y a parmi les Épaves un poëme intitulé: Le poëte et la vie, et dédié à M. Auguste Barbier. Il porte pour épigraphe ces lignes de Joubert: « Voulez-vous connaître le mécanisme de la pensée et ses effets, lisez les poëtes. Voulez-vous connaître la morale, la politique, lisez les poëtes. Ce qui vous plaît chez eux, approfondissez-le : c'est le vrai. Ils doivent être la grande étude du philosophe qui veut connaître l'homme. » Quel est le critique qui oserait de nos jours rendre un tel témoignage en l'honneur de la poésie? Mais, d'autre part, où est aujourd'hui la poésie qui peut mériter un tel témoignage? M. Lacaussade n'entreprend pas de consoler le poëte de son abandon; il aime mieux le fortifier contre l'esprit du siècle, et son dernier mot à ces fous sublimes, << fervents sectateurs des

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