Images de page
PDF
ePub

à

Non, leur esprit ne trouve pas
De la gloire à tous ces combats....
L'animal le plus raisonnable,
C'est l'homme, je vois bien cela,
Un loup ne serait pas capable
D'imaginer ces choses-là.

En duel pour savoir se battre
Il faut à l'homme un professeur;
Artistement il doit combattre
Suivant les règles de l'honneur.
Dès que sa poitrine est frappée
D'une balle ou d'un coup d'épée,
Et que le sang coule en effet,
L'honneur alors est satisfait....
L'animal le plus raisonnable
C'est l'homme, je vois bien cela,
Un tigre serait incapable
D'imaginer ces choses-là.

La plus longue de ces Boutades n'en est pas précisément une. C'est l'Épitre à Bouffé, sorte de poëme didactique, connu depuis assez longtemps, qui a pour sujet la carrière dramatique et qui, divisé en vingt tableaux, suit pas pas l'acteur de ses débuts à sa retraite. L'un des épisodes, si l'on peut dire, est la biographie personnelle de l'auteur. Ce sont les vers les mieux écrits que M. Arnal ait encore offerts au public. Les aventures et les incidents de sa jeunesse sont pleins d'intérêts. Sa naissance, son enfance malheureuse, son service dans les pupilles de la garde, sa misère après le licenciement de l'armée impériale, les tâtonnements de sa vocation dramatique, tout cela est retracé avec vivacité et précision. Je veux citer ses débuts sur le théâtre de société du fameux Doyen.

J'y fis mes débuts en artiste amateur.
Pour moi tout était bon, opéra, comédie;
Mais j'affectionnais surtout la tragédie.
J'espérais sur des pleurs y fonder mes succès.
De quel indigne prix on paya mes essais!

Je n'ai point oublié cette fatale date.

Nous étions chez Doyen; je jouais Mithridate;
Du fougueux roi de Pont, l'ennemi des Romains,
Je peignais les fureurs et des pieds et des mains.
Mon public fut saisi de ce rire homérique

Qui charmait tant les dieux sur leur montagne antique;
La pièce était finie, et l'on riait encor

De mon nez, de ma barbe et de mon casque d'or.
Un tel effet conquis dans les rôles tragiques
Semblait me destiner à l'emploi des comiques;
Aussi, dès ce moment, se trouvant bien jugé,
Mithridate devint Jocrisse corrigé.

Presque tout l'Épître à Bouffé est dans ce ton. Elle suffit pour montrer que la poésie de M. Arnal, malgré quelques défaillances de pensée ou de style, n'a rien de commun avec celles de feu son camarade Odry. Ce n'est pas lui qui aurait écrit le poëme des Bons gendarmes, ce poëme épique en deux chants, c'est-à-dire en deux couplets, où castonade rime avec intelligence. M. Arnal cite cette plaisanterie qu'on lui a attribuée, pour la rapporter à son auteur. Les facéties qu'il se permet pour son propre compte sont d'un moins gros sel, et il n'a pas laissé passer dans son recueil des Boutades toutes les facéties rimées qui ont circulé sous son nom.

C'est aussi à la poésie légère qu'appartient le recueil intitulé Petites comédies par la poste, de M. Prosper Delamare'. « J'ai le récit badin, » nous dit l'auteur, et il s'empresse de le prouver par une suite de petits contes, légers de ton, un peu grivois même, de style peu poétique mais facilement rimé. L'auteur se représente lui-même comme l'un de ces employés d'administration qui consacrent leurs heures de service, sans compter leurs loisirs à tourner des

1. Garnier frères, in-18, 158 pages.

vers pour leur propre amusement et celui de leurs col

lègues.

Collègue, l'heure marche en tortue au bureau;
Je tourne ces couplets en posant un zéro.

Et le collègue répond à la chanson par un conte :

Nez en l'air, au reçu de votre envoi, collègue,
Je me narrais comment on se moque d'un bègue.

La chanson faite entre deux additions n'est pas bonne; le conte qui s'intitule le Coupé est assez lestement mené. Mais nous l'avons déjà dit: ce genre de poésie n'est plus de notre temps, et il faudrait bien plus d'esprit encore et surtout plus de style pour y ramener le public.

C'est peut-être un rêveur, mais non pas un rêveur mélancolique que l'année 1861 a vu s'éteindre dans la personne d'Henri Murger. La vie de bohème, dont il était le type le plus accompli, n'était pas féconde en aspirations spiritualistes, en méditations religieuses, en réminiscences du ciel. C'est sur la terre que la poésie du bohème arrête ses regards; ce sont les misères et les joies de la vie présente qu'elle chante, se consolant des unes et s'excitant à savourer les autres par la pensée de leur rapidité.

Eheu! fugaces, Postume, Postume,

Labuntur anni.

Courte et trompeuse, voilà la vie, telle que le réalisme épicurien la voit et l'accepte. Il ne veut pas la perdre en élégies désolées; il ne la livre pas aux ravages des grandes passions; il en savoure les petits bonheurs que le hasard donne et que le hasard enlève; il se contente des amours faciles, des maîtresses banales, des coupes à moitié pleines qui passent de main en main; il demande à la poésie de

dorer de ses illusions la réalité de la misère ou le mensonge du bonheur. Ce fut là tout le rôle de la poésie pour quelques-uns de nos plus charmants écrivains du seizième siècle. Villon ne demandait pas autre chose à sa muse gracieuse et vagabonde, qui tombait si facilement du délicat dans le trivial, sans remonter aussi vite du trivial au délicat. Villon fut un des chefs de la bohème de son temps; Henri Murger est le Villon du nôtre.

Son dernier volume de poésies achèvera de lui mériter ce titre. Les Nuits d'hiver, suivies d'études sur l'auteur, par MM. J. Janin, Th. Gautier, A. Fiorentino, A. Houssaye, P. de Saint-Victor, publiées au moment où Henri Murger expirait dans une maison de santé, composent les reliquiæ et comme le testament du poëte. C'est un recueil de pièces détachées, de chansons, de sonnets, de petits poëmes: il règne dans la plupart de la grâce, de l'abandon, une même désinvolture d'esprit et de style. Henri Murger célèbre les amours qui l'ont trompé, et leur dit, en déguisant ses sanglots sous des éclats de rire, ce qu'il appelle un requiem :

Entre nous maintenant N—I—ni, c'est fini,

Je ne suis plus qu'un spectre et tu n'es qu'un fantôme,

Et sur notre amour mort et bien enseveli

Nous allons, si tu veux, chanter le dernier psaume.

Et il ajoute :

Pourtant ne prenons point un air écrit trop haut.

Il craint, en effet, de se fausser la voix; il lui arrivera plutôt de prendre un ton trop bas. La pièce intitulée Courtisane, par exemple, est une des plus hideuses inventions du réalisme en hémistiches. Laissons ces horreurs préméditées et présentons à nos lecteurs, pour finir, le poëte de la vie de bohème dans une des plus gracieuses.

inspirations de son talent et du genre lui-même. Elle a

pour titre Renovare:

Avez-vous oublié, Louise,

Le coin fleuri du vieux jardin,
Où, certain soir, ma main s'est mise
Pleine d'émoi dans votre main?
Nos lèvres cherchaient nos paroles,.
Nos genoux touchaient nos genoux;
Nous étions assis sous les saules
Dites, vous en souvenez-vous?

Avez-vous oublié, Marie,

L'échange de nos deux anneaux,
Les soleils d'or dans la prairie,
Le bois plein d'ombre et plein d'oiseaux,
La fontaine au bassin sonore,
Où nous avions nos rendez-vous?
De ces lieux et d'autres encore,
Dites, vous en souvenez-vous?

Avez-vous oublié, Christine,
Le boudoir rose et parfumé,
L'humble chambre du ciel voisine,
Les jours d'avril, les nuits de mai?
Ces clairs nuits où les étoiles
Semblaient vous dire: Ainsi que nous,
Belle, laissez tomber vos voiles....
Dites, vous en souvenez-vous?

Louise est morte, hélas! Marie
A la débauche tend la main;
La pâle Christine est partie
Refleurir au soleil romain.
Louise, Marie et Christine

Pour moi sont mortes toutes trois;
Notre amour n'est qu'une ruine,

Et seul j'y pense quelquefois.

Quel dommage que le sol où de si jolies choses s'épanouissent ne soit pas plus fécond et qu'Henri Murger ait pu dire lui-même : « La bohème n'est pas une patrie; c'est une maladie dont je meurs. »

« PrécédentContinuer »