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les principaux monuments. Voici une épopée tout entière qui sort de la poussière de manuscrits six fois séculaires, par les soins de MM. le Court de la Villethassetz et Eugène Talbot. Leur publication a pour titre complet Alexandriade, ou Chanson de geste d'Alexandre le Grand, épopée romane du douzième siècle, de Lambert le Court et Alexandre de Bernay, publiée pour la première fois en France, avec introduction, notes et glossaire.

L'un des deux éditeurs actuels de ce poëme n'est-il pas un descendant de celui des deux auteurs dont il porte le nom? Il paraît que le nom de le Court s'est transmis d'âge en âge, avec le souvenir de l'Alexandriade, dans une famille de la Bretagne. Quant à l'autre éditeur, M. Eugène Talbot, il était particulièrement préparé à cette publication savante par des études de longue date; sa thèse pour le doctorat, en 1850, roulait déjà Sur la légende d'Alexandre dans les romans du douzième siècle.

Littérateurs et érudits ne peuvent qu'applaudir à ces exhumations. Avec leur introduction, leurs commentaires, leur glossaire spécial, ces textes précieux fournissent aux uns une occasion d'étudier la langue dans ses premiers bégayements, aux autres une arme contre le préjugé qui veut que les Français n'aient pas « la tête épique. »

Les monographies consacrées aux noms les plus oubliés de l'histoire des lettres ont encore leur intérêt, lorsqu'elles sont le fruit de recherches consciencieuses. Elles font revivre une époque dans un homme qui, pour n'en être pas resté la personnification aux yeux de la postérité, n'en résume pas moins les caractères et la physionomie. Tel est l'intérêt d'une étude sur le seizième siècle, publiée par M. J. P. Abel Jeandet, médecin à Verdun, sous ce titre : Pontus de Tyard, seigneur de Bissy, depuis évêque de Chalon1.

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C'est un travail entrepris par un Bourguignon en l'hon neur de la Bourgogne : il tend à montrer la part de cette province dans le mouvement littéraire de la Renaissance; l'auteur, membre de plusieurs sociétés savantes de Bourgogne, a vu son ouvrage couronné par l'Académie de Mâcon, et l'on a prononcé à son occasion le grand mot de décentralisation littéraire1.

L'auteur avait du moins prouvé que le goût des recherches savantes peut aussi bien fleurir à Verdun en Bourgogne qu'à Paris, et les merveilleuses presses de M. Louis Perrin, de Lyon, lui ont permis de satisfaire en province sa passion de bibliophile, en faisant revivre Pontus de Tyard dans un format et dans des conditions typographiques qui rappellent l'art du seizième siècle.

En ramenant au jour un des auteurs les plus dédaignés de la pléiade, il ne s'agit pas de détrôner Ronsard au profit d'un revenant littéraire. M. Abel Jeandet n'a pas la prétention de trouver dans Pontus de Tyard plus de grâce, plus de fraîcheur, plus d'ingénieuse subtilité que dans ses plus notables contemporains. Il laisse chacun des poëtes de la pléiade à sa place; seulement il en réclame une pour son compatriote, et il la lui fait de son mieux. Il traite, en passant, la question de l'origine du sonnet; c'est un grand débat entre les érudits, et c'est le cas de dire avec Horace :

Quis tamen exiguos elegos emiserit auctor.
Grammatici certant....

Pontus de Tyard ne doit-il pas être regardé comme le premier introducteur, en France, de ce joyau poétique? Ronsard, au dire d'Etienne Pasquier, lui attribuait déjà cet honneur; mais Etienne Pasquier ajoute que Ronsard

1. Depuis l'Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres) a aussi décerné à cette publication une mention honorable. Voy. à la fin du volume: Chronique.

se trompait, et il cite du Bellay comme l'auteur des premiers sonnets français. D'autre part, comme M. SainteBeuve le rappelle, du Bellay lui-même attribuait l'introduction du sonnet à Mellin de Saint-Gelais. Entre ces divers témoignages, M. Abel Jeandet préfère naturellement celui qui fait le plus d'honneur à son auteur favori, et il pense que Ronsard doit avoir sur cette question une autorité décisive. Or Ronsard a dit :

Presque d'un temps le même esprit divin
Dessommeilla du Bellay l'Angevin

Qui doucement, sur la lyre d'ivoire
Acquit en France une éternelle gloire.

Longtemps devant d'un ton plus haut que lui,
Tyard chanta son amoureux ennui.

Les dates prouvent que les sonnets de du Bellay et ceux de Mellin de Saint-Gelais, n'ont paru qu'après le recueil des Erreurs amoureuses, de Pontus de Tyard, publié en 1548 et composé en partie depuis cinq années. Il faut donc substituer ce dernier nom à celui adopté par M. SainteBeuve, dans cette phrase sur le sonnet : « Du Bellay est incontestablement le premier qui fit fleurir le genre et qui greffa la bouture florentine sur le chêne gaulois. » A ce changement près, « la charmante phrase, >> comme dit M.Abel Jeandet, est «< irréprochable. » Cette petite restitution historique suffirait pour donner un intérêt littéraire à une publication savante, faite à tant d'égards pour séduire les érudits et les bibliophiles.

L'histoire littéraire en action. Les Poëtes français, nouveau recueil des chefs-d'œuvre de la poésie française. Les espérances de M. SainteBeuve.

L'histoire littéraire offre, en général, un avantage qui manque à l'histoire politique celui qui entreprend de l'écrire, peut se reporter au milieu même des faits qu'il s'agit de retracer, faire connaissance avec les hommes qu'il veut mettre en scène et les amener eux-mêmes sous les yeux des lecteurs. L'histoire littéraire peut se faire, en quelque sorte, la résurrection de toute une littérature. Cette observation est vraie pour les langues anciennes elles-mêmes, toutes les fois que les œuvres nous ont été transmises avec les noms des écrivains. A part quelques exceptions regrettables, les auteurs qui ont été le plus goûtés par les critiques grecs ou romains sont aussi ceux dont les ouvrages ont été conservés avec le plus de soin, et nous n'en sommes pas réduits à admirer de confiance ce que les anciens ont admiré. Les plus célèbres de leurs poëtes, de leurs orateurs ou de leurs historiens revivent pour nous dans un assez grand nombre d'œuvres, et l'histoire de leur gloire porte avec elle ses pièces justificatives.

Cet avantage est plus complet pour les littératures modernes. Grâce à l'imprimerie, il n'est pas un nom qui se réduise à un simple souvenir; il n'y a pas un auteur, même secondaire, dont quelque bibliothèque ne puisse rendre les œuvres, pas une gloire, pas une réputation, pas un talent, que l'historien ne puisse juger avec les pièces de conviction sous les yeux. La plus instructive et la plus intéressante des histoires littéraires sera celle qui les mettra aussi sous les yeux du lecteur. A ce titre, je ne sache pas

de meilleure histoire de notre poésie qu'un recueil complet et choisi avec intelligence d'extraits de tous nos poëtes depuis les origines jusqu'à nos jours. C'est un tel recueil qui vient d'être entrepris et presque entièrement achevé en une année, par une réunion de gens de lettres, sous la direction de M. Eugène Crépet; il est simplement intitulé les Poëtes français'.

Le plan en est très-simple: une notice littéraire sur chaque poëte précède les extraits rattachés à son nom; quelquefois des aperçus généraux résument les caractères d'une époque entière ou d'un genre autour duquel une suite de noms viendront se ranger. Ces diverses études sont dues à des plumes exercées, et quelques-unes se recommandent par le savoir ou par la finesse, ou par l'un et l'autre à la fois.

Le premier volume des Poëtes français traite des chansons de Geste et autres chansons, des chroniques et légendes des saints, des romans d'aventures et romans allégoriques, des fabliaux, des poëmes historiques, des poésies intimes ou philosophiques, et conduit le lecteur des premiers documents d'une langue informe aux gracieuses délicatesses du seizième siècle; il est l'œuvre, pour les douzième, treizième et quatorzième siècles, de M. Louis Moland; pour le quinzième, de M. A. de Montaiglon; pour le seizième de M. C. D. d'Héricault. Le deuxième volume, qui achève le seizième siècle et comprend une partie du dix-septième, est le fruit d'une collaboration plus variée : on y trouve, outre les auteurs précédents, les noms souvent répétés de MM. Charles Asselineau, Hippolyte Babou, Théodore de Banville, Philoxène Boyer, Édouard Fournier, Théophile Gautier, Pierre Malitourne, Eugène Noël, Jean Morel, Valéry Vernier, etc.

La plupart des mêmes auteurs ont signé les notices du

1. Gide, gr. in-8, t. I-III, 682-774-637 p., le t. IV est sous presse.

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