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HISTOIRE ET ÉTUDES ACCESSOIRES.

Essais d'histoire universelle. Difficultés du genre.
M. A. de Bellecombe.

On connaît le succès de l'Histoire universelle de M. C. Cantú: l'Italie la réimprime; les peuples étrangers la traduisent tour à tour; on la cite comme un des monuments que notre siècle aura dus au goût des recherches historiques. Le penseur y voudrait plus d'indépendance; l'érudit peut y relever des imperfections inévitables; mais l'énorme masse des faits qu'on y trouve rassemblés, en rend l'usage précieux, et l'esprit de parti a contribué encore à en augmenter la vogue. Aurons-nous aussi en France notre histoire universelle? Doit-on le désirer bien vivement? Les services qu'on peut attendre d'un tel ouvrage ne seront-ils pas mieux rendus par des publications historiques d'un plan plus libre? Si l'on ne désire une histoire universelle que pour la consulter et y trouver sur un point quelconque une accumulation de faits, un bon dictionnaire historique remplira mieux ce but; si l'on veut voir la suite des événements, en descendant aux détails, les histoires particulières d'un peuple, d'un pays, pris isolément, ou de pays et de peuples groupés d'après leurs relations réelles, nous feront seules saisir un tel enchaînement.

On peut bien faire marcher de front, dans une revue générale, des nations qui se touchent, qui agissent l'une

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sur l'autre, qui se mêlent. Et encore leurs points de contact ne consistent pas dans les détails de leur histoire; ils ne sont qu'accidentels, ils n'intéressent pas leur caractère intime. Les intérêts rapprochent ou divisent deux peuples, leur rivalité se manifeste dans un long duel; leur génie n'en reste pas moins à part, et c'est dans l'histoire propre de chacun d'eux, dans ses mœurs, ses institutions, ses révolutions intérieures, qu'il faut l'étudier. C'est dans une carte particulière d'un pays que l'on doit relever tous les mille accidents de sa configuration, ses moindres cours d'eau qui alimentent ses fleuves, ses plis de terrain, ses collines qui prolongent ou relient ses grandes montagnes, les groupes disséminés de sa population. Tout cela ne saurait trouver place sur une mappemonde. L'histoire universelle est la mappemonde de l'histoire.

Et cette mappemonde est aujourd'hui prématurée; car l'ensemble qu'elle doit représenter est encore trop peu connu. De même que, sur nos cartes générales du globe, il y a eu longtemps d'immenses espaces qualifiés de déserts, parce que des explorateurs n'en avaient pas encore fait connaître les habitants; de même d'énormes périodes de l'histoire de l'humanité nous offrent un vide qui n'accuse que notre ignorance. Pendant que nous entasserons les faits et les souvenirs sur quelques années de l'histoire des Juifs, des Grecs ou des Romains, nous aurons à peine une page pour des siècles à consacrer aux innombrables populations de la Chine ou de l'Inde. Et cette page, perdue dans un coin de volume, sera indifférente au mouvement géné– ral, qui le plus souvent nous échappe.

Ces réflexions sont confirmées par le nouvel essai d'Histoire universelle1, entrepris et soutenu avec beaucoup de courage par M. André de Bellecombe. Le plan de l'auteur est

1. Furne et Cie. 2e édition : t. I-VII, 388, 376, 392, 564, 594, 612, 706 pages.

simple et trois fois vaste. Il s'agit d'abord d'une Chronologie universelle où tous les faits seraient déjà représentés, mais seulement par leur date. Sept volumes ont paru ou sont sur le point de paraître. La seconde partie est l'Histoire générale politique, religieuse et militaire, dont nous avons sept volumes entre les mains. Une troisième partie comprendra l'Histoire scientifique, littéraire et artistique. L'auteur a déjà mené l'Histoire générale jusqu'au règne de l'empereur Constantin.

Les privilégiés de notre science incomplète, Juifs, Grecs et Romains, tiennent ici la première place. Ce n'est pas que M. A. de Bellecombe fasse des Juifs, à la manière de Bossuet, le centre et le pivot du monde, l'alpha et l'oméga de l'histoire. La grande antiquité est pour lui celle de la Chine; c'est dans l'Asie qu'il faut chercher la source de la race humaine et ses principaux courants. La Judée ne nous offre pas le fleuve, mais seulement un des affluents, il est vrai, l'un des mieux connus. Pour l'esprit général, nous sommes plus près de l'Essai sur les mœurs que du Discours sur l'histoire universelle. Toutes les nations sont mises en scène à leur jour et à leur heure. Celles qui sont restées étrangères au mouvement gréco-romain ou judaïcochrétien, marchent de front avec celles qui ont pris le plus de part au concert de la civilisation européenne.

Il en résulte ce mélange bizarre de noms et de faits dissonants et sans liens, dont le rapprochement artificiel nous a paru un des inconvénients innés de ce genre d'ouvrage. Dans le même volume vous passerez sans transition des derniers jours si agités de la République romaine aux règnes presque immuables du Céleste Empire. Sylla, Pompée, Sertorius, César, Antoine, Octave, font tout à coup place, sur le même théâtre, aux empereurs Wen-Ti, King-Ti, Wou-Ti, Han-chao-Ti, Tching-Ti, contemporain d'Auguste, ainsi qu'à leurs généraux et ministres, TchanKian et Sou-Tseu-King. Des récits, familiers pour nous,

de Tite Live et Polybe, nous passons à ceux de Sse-Ma-Than et Sse-Ma-Thsian, historiens non moins célèbres chez les Chinois, et peut-être non moins dignes que les Grecs et les Romains de l'être parmi nous. A César répond, dans l'Inde, le fameux Vikramaditja, son contemporain, conquérant comme lui, et que M. de Bellecombe appelle l'Haroun-al-Raschid de l'Inde : par l'union des lettres et de la gloire militaire, il y a fait briller un des plus grands siècles dont une famille humaine puisse garder le souvenir. Mais voyez la fatalité de ce qu'on appelle une histoire universelle César, grâce à la richesse de nos souvenirs classiques, occupera la moitié d'un volume, et à côté de lui, Vikramaditja, qui est à la fois le Périclès et l'Alexandre de l'Inde, son César et son Auguste, son Louis XIV enfin, verra son souvenir enfermé en une page.

Au milieu de ce dédale de faits, si divers et si inégalement connus, quelle pensée dominante dirigera l'auteur? Ici je le laisserai parler lui-même, sans bien comprendre par quel procédé nouveau son grand procès-verbal soumet l'histoire au tribunal de Dieu :

L'auteur de cette histoire universelle, dont l'intention formelle est de ne suivre aucun précédent, a cru que la méthode et le système qui lui servent de régulateurs, ne seront pas inutiles au progrès et à l'étude de la science historique ; néanmoins, il se regarde tout simplement comme un scribe rapporteur des faits qui se sont passés depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'époque actuelle, ou plutôt comme un juge d'instruction chargé d'une enquête criminelle, rendant compte à son tribunal des renseignements qui lui sont parvenus, dans le cours d'une mission consciencieuse et impartiale. Le tribunal suprême de l'auteur, c'est Dieu, c'est à lui seul d'abord, c'est à ce maître dont la puissance est irrévocable et sans appel, qu'il soumet, en ouvrier laborieux et docile, le procès-verbal de l'œuvre immense à la rédaction de laquelle il a été appelé, lui aussi, par une inspiration aussi surhumaine qu'irrésistible '.

1. Introduction, page 18.

Ainsi l'auteur développe, en se l'appliquant à lui-même, ce mot d'un roi de Chaldée : « C'est Dieu qui m'a ordonné d'écrire cette histoire, et c'est pour Dieu peut-être plus que pour les hommes que je l'écris. » Mais le ciel ne fait pas oublier la terre: M. de Bellecombe songe au présent en face du passé, à la France au milieu du monde, et les destinées qu'il rêve pour nous-mêmes nous font comprendre comment il doit envisager celles de l'humanité. « Espérons, dit-il, après avoir déploré une politique trop pusillanime, espérons que le sceptre énergique de Napoléon III saura faire dégainer du fourreau la vaillante épée de nos soldats intrépides, et que la bannière nationale longtemps insultée par les barbares de notre époque fertile en lumière, reparaîtra, triomphante et glorieuse, sur les orgueilleuses tours du Kremlin et planera pour longtemps sur les bords du Volga terrassé!» Hâtons-nous d'ajouter que l'auteur a écrit son histoire avec plus de simplicité que son programme.

L'histoire de l'antiquité classique reprise par un libre penseur et par un publiciste catholique. MM. Duruy et Laurentie.

M. Victor Duruy n'est pas seulement l'un des professeurs d'histoire les plus connus dans nos colléges ou dans nos écoles; c'est aussi un de nos historiens les plus dignes de ce nom, et à côté de ces nombreux ouvrages élémentaires répandus par centaines de mille exemplaires pour l'usage des classes, on peut citer de lui des livres d'une valeur plus haute où le savant trouvera l'expression exacte des dernières découvertes et l'homme du monde l'érudition vivifiée par le talent. Deux ouvrages surtout se présentent avec ce double caractère, c'est d'abord l'Histoire des Romains et des peuples soumis à leur do

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