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presque octogénaire qui, après avoir traversé, dans sa longue et honorable carrière, les affaires et la politique, a porté sur les études littéraires et morales l'activité de sa verte vieillesse. M. Desabes, ancien notaire, représentant de l'Aisne à la Constituante en 1848, s'est souvenu, dans sa retraite, qu'il avait autrefois cultivé la poésie avec quelque succès. Un poëme de sa jeunesse sur le dévouement des médecins français et des sœurs de Sainte-Camille à Barcelone, pendant la peste de 1822, lui avait valu une distinction de l'Académie française; il le réimprime aujourd'hui avec un grand luxe typographique, et il y joint, sous le titre de Poésies diverses', un certain nombre d'épîtres et de causeries en vers qui respirent une aimable sérénité.

M. Desabes n'est pas le laudator temporis acti se puero dont parle Horace. Il aime à se souvenir du passé; mais il estime le présent et croit en l'avenir. Il a une foi très-vive dans le progrès de la civilisation; il le voit sortir de l'instruction populaire, dont il réclame avec instance la diffusion. Il veut l'homme libre et, pour qu'il soit digne de l'être, il le veut instruit. L'enseignement primaire gratuit, universel, obligatoire, voilà sa thèse favorite; l'affranchissement des âmes par l'instruction et le progrès politique par le progrès moral, voilà, dans sa retraite, ses plus douces espérances, voilà le plus cher objet de ses paisibles poésies. On ne saurait donner un plus noble but à sa dernière pensée, à ses derniers loisirs.

1. Frédéric Henry, gr. in-8, 357 pages.

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Essais de satire sociale par une muse catholique et par une muse libérale. MM. G. Rey et H. Stupuy.

Il y a des poëtes dont il faut louer au moins les intentions. Ils chantent la vertu, la religion, la famille; ils font la guerre aux vices du siècle, et, quelle que soit l'idée qu'on se fasse de leurs vers et de leur style, on ne peut nier leur désir d'être utiles à leurs semblables par des chants d'amour et de colère, soit par des idylles chrétiennes, soit par des satires. A cette famille de poëtes, plus nombreuse qu'on ne croit, appartient M. Ed.-Gabriel Rey, qui, après divers recueils de poëmes édifiants, donne cette année les Satires parisiennes du dix-neuvième siècle1.

En s'essayant à la satire, l'auteur d'Amour et Charité, d'Amour de Dieu et autres poëmes qui lui ont valu des lettres de félicitation de la part du saint père, fait évidemment fausse route. A part la Mort de monseigneur Affre, qui ne manque pas d'un certain mouvement dramatique, les vers pieux de M. Rey ressemblent trop souvent, pour la pensée et le style, à tous les recueils de poésies édifiantes. La satire poursuit d'ailleurs le même but que les autres poëmes de l'auteur. « J'ai cherché, dit-il, à faire détester tout ce qui n'est pas amour de Dieu, tout ce qui n'est pas amour du prochain. » Mais, si nous l'en croyons lui-même, il n'a pas dit de la société tout le mal qu'il pouvait en dire, tandis que, dans son autre ouvrage, il a promené doucement, avec délices, son lecteur à travers les vallons émaillés des fleurs de la vertu humaine.

Quels vices ou quels travers poursuivra le fouet peu retentissant de M. Rey? Quelles institutions et quels

1. Dentu, in-18, 324 pages.

hommes vont rester sous ses coups? Voici quelques-uns de ses sujets les Don Quichotte patriotes, la Femme libre, les Bigots libéraux, les Parvenus, la Plaie de l'or, la Soif du luxe, les Génies méconnus, les Coteries littéraires, toute une foule d'autres choses qui prêtent à l'indignation ou au ridicule, et parmi lesquelles l'auteur donne une grande place à l'Université. Il n'y a pas moins de douze satires contre cette marâtre, qui a eu trop longtemps le droit de nous fouetter pour que nous ne prenions pas quelque plaisir à le lui rendre. Mais pourquoi faut-il que M. Rey le fasse en un pareil style? Voyez les satires intitulées le Ver rongeur et le ver rageur, les Marchands de soupe.

La pension n'a pas le bon du séminaire,
Encor moins du collége; elle est dépositaire
Trop souvent du mauvais commun à tous les deux.
Fort peu de pensions prennent au sérieux
L'intérêt des enfants qu'à leur soin on confie....

Oh! que je voudrais voir en complète faillite
Ces boutiques de grec où l'enfance, si vite,
S'étiole au contact des êtres dépravés

Qu'un barbare intérêt n'avait pas réprouvés !...

Voilà qui n'est pas plus nouveau que fort, et ceux qui n'aiment pas l'Université regretteront de la voir si peu atteinte par de semblables vers. Ce n'était pas la peine de rappeler le Ver rongeur, pour en affadir ainsi la prose furibonde. Et pourtant, le recueil des Satires parisiennes de M. G. Rey prouve une chose, c'est la multitude d'objets qui appellent aujourd'hui le satire. Il en réunit un assez grand nombre pour défrayer la verve de dix Juvénals; il les effleure à peine, sans doute parce qu'il est pressé de retourner à ses « vallons émaillés des fleurs de la vertu humaine. D'autres viendront s'inspirer à leur tour dans les champs moins riants du vice, où la poésie peut rencon

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trer encore une de ses muses les plus puissantes, l'indignation.

Les idées libérales s'en inspireront-elles mieux que les idées religieuses? on peut l'espérer en voyant les essais de satire publiés sous la dénomination d'Atellanes par un jeune poëte inconnu, M. Hippolyte Stupuy. Elles ont pour sujet et pour titre général : l'Anarchie morale1. L'épigraphe est une déclaration de guerre contre les compromis et les mensonges de notre temps : « La vraie philosophie est de voir les choses telles qu'elles sont. » Ce n'est pas toujours le moyen de les voir en beau. Les Atellanes sont dédiées à M. E. Littré, qui en accepte la dédicace; c'est assez dire qu'elles sont inspirées par un esprit de philosophie indépendante et hardie, également préoccupée de la désorganisation actuelle du monde moral et de sa réorganisation future. Les premières satires de M. Stupuy ne manquent ni à cet esprit ni à ce pro

gramme.

Le style des Alellanes répond en général à la pensée : il a quelquefois l'énergie qui convient à la satire. Divers passages ont l'audace du mot propre dont la trivialité énergique fait aujourd'hui fortune. Voyez cette analyse de la Dame aux camélias:

Un théâtre est ici : trois mille spectateurs
L'encombrent chaque soir. Pas une place vide.
Comme d'émotion cette foule est avide!
Entendez-vous ces cris et ces trépignements?
Toute la salle éclate en applaudissements!

Qu'est ce donc qui remue, à ce point, l'auditoire ?
Ce doit être un chef-d'œuvre. En effet : c'est l'histoire,
Tous les yeux sont mouillés, tous les cœurs palpitants,
D'une catin qui meurt gangrenée à vingt ans.

1. Poulet-Malassis et de Broise, in-8; livraisons I-V, 122 pages.

Voyez encore ce trait plus violent :

Monsieur le duc de E... est d'une race antique ;

Ses parchemins sont vrais, son blason authentique :
Si sa terre épuisée a besoin de fumier,

Le duc épousera la fille d'un boursier.....

Quitte à voir mettre un jour au bagne son beau-père !

M. Hippolyte Stupuy n'a pas toujours la dent aussi mauvaise. Il mord quelquefois sans déchirer. Le lettré chinois qu'il introduit en scène à Paris voit chez nous plus de ridicules que de vices, moins de crimes que de misères. L'anarchie de la société. moderne est peinte et mise en action avec beaucoup de vivacité; mais l'indignation ne va pas chez l'auteur jusqu'à arrêter un bon mot sur ses lèvres; et quelques railleries plus ou moins voltairiennes sont plutôt les armes de l'esprit que de la colère. Somme toute, il y a dans les Atellanes les germes d'un talent satirique ou comique qui mérite tous les encouragements bien peu de débutants ont la pensée encore aussi nette et le vers aussi fort, malgré les défaillances inévitables d'une main qui s'essaye, malgré des développements languissants et disproportionnés qui accusent l'inexpérience.

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La poésie pour l'enfance. MM. Trim, comte de Gramont,
H. Fleury.

La religion, la famille, le foyer, les jeunes mères, les petits enfants réclament de la librairie moderne de beaux livres d'étrennes ou de fête, à l'exécution desquels la poésie, l'art typographique et le dessin sont appelés à concourir. La poésie fournit le texte, une sorte de libretto pour images, Mais les vers de libretto ont du malheur, pour l'ordinaire.

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