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mage à l'esprit élevé d'impartialité qui règne dans le recueil des Études orientales. Les doctrines religieuses et morales des Perses, de l'Égypte, de l'Inde, de la Chine, y sont exposées sans engouement ni dédain de parti pris. L'antique sagesse de la Chine, qu'on a tour à tour tant exaltée et tant dépréciée, est ramenée à sa juste mesure; la part du bien et du mal y est faite avec discernement. Au-dessus des systèmes, M. Ad. Franck met toujours la vérité; au-dessus du fanatisme, la justice; au-dessus de la cause des peuples, la cause de l'humanité, que chaque peuple doit tenir à honneur de servir. Ce que l'Orient a fait pour elle, l'auteur nous l'a montré, nous avons dit, avec quelle science et quelle générosité de sentiments. Faut-il espérer, avec lui, « que l'Occident, dans un jour peut-être prochain, pourra rendre à l'Orient les bienfaits et la lumière qu'il en a reçus, » non pas, comme il ajoute spirituellement, « en l'empoisonnant avec l'opium anglais, ou en le foudroyant avec nos canons rayés...,» mais par une manière de « propager la loi de l'Evangile, qui donne crédit au dogme de la fraternité humaine! » C'est le secret de l'avenir, mais c'est un espoir consolant que les enseignements du passé ne permettent guère de concevoir.

Je regrette de ne pouvoir faire une place plus grande aux Études sur saint Augustin, par l'abbé Flottes, professeur honoraire à la Faculté de Montpellier 1. Ce n'est pas, comme pourrait le faire croire le texte, un recueil de fragments sur différents points de la vie ou des doctrines de l'illustre Père de l'Église, c'est un travail d'ensemble sur l'homme, le chrétien et le philosophe. La vie de saint Augustin, pour l'abbé Flottes, c'est l'épanouissement d'une riche nature sous la main puissante et bienfaisante de la grâce: nous assistons au développement de son génie, aux

1. Montpellier, Séguin; Paris, Durand, in-8, 635 p.

luttes fécondes de son âme, au triomphe de la foi, aux joies sereines qui en sont le prix. Les Confessions, de saint Augustin, et les traditions de la dévotion catholique ont servi de guide au pieux biographe, qui voit dans la conversion de son héros une glorification du Dieu des chrétiens, du Verbe incarné, la sagesse éternelle qui élève notre nature en s'unissant à elle et a comblé l'abîme qui sépare le Créateur de la créature. »

La philosophie de saint Augustin ne nous éloigne pas non plus du christianisme, quoique l'abbé Flottes s'efforce de l'exposer avec indépendance. Il en emprunte les éléments aux divers ouvrages de l'évêque d'Hippone. Disséminées dans sept volumes in-folio, ses doctrines philosophiques sont tantôt développées dans des Dialogues, des Traités. des Lettres, tantôt mêlées, dans les Sermons, à l'enseignement des dogmes chrétiens. L'abbé Flottes les a réunies, en a fait un corps et les a disposées dans un ordre ayant de l'analogie avec celui que Descartes a suivi dans les Méditations, et Bossuet dans la Connaissance de Dieu et de soi-même. En détachant les pensées de saint Augustin des endroits où l'auteur les avait placées, pour les rapprocher dans un ordre plus rigoureux, l'abbé Flottes s'est efforcé de leur conserver leur signification. L'ordre d'exposition est seul de lui, la doctrine exposée est la pure doctrine augustinienne.

Il ne suffit pas de la raconter, il faut la juger. L'abbé Flottes entreprend de le faire; mais il est trop pénétré de la beauté, de la grandeur de cette philosophie, de sa conformité avec les dogmes de l'infaillible Eglise, pour ne pas faire tourner involontairement toute appréciation à l'apologie. La vie de saint Augustin n'était que le triomphe de la grâce, son enseignement n'est que le triomphe de la vérité. L'abbé Flottes apprend de lui que « la philosophie, inférieure au christianisme, » ne peut rien que comme alliée du christianisme.

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Quelque modération que porte l'abbé Flottes dans la pratique de cette alliance entre deux puissances déclarées inégales, les philosophes protesteront contre cet arrêt d'infériorité qui suffit à renouveler la guerre: non est amicitia nisi inter pares. La philosophie et la religion peuvent ne pas avoir le même domaine, ne pas répondre aux mêmes besoins, ni s'adresser aux mêmes âmes; mais quand il s'agit de juger et non de croire, quand la raison est en cause et non l'inspiration, la philosophie juge les dogmes et n'est pas jugée par eux; elle cherche la vérité et lui fait sa part dans les manifestations religieuses de l'humanité, dans l'Occident comme dans l'Orient, chez les nations modernes comme dans les antiques civilisations. M. Flottes a raison de considérer saint Augustin comme le plus grand philosophe chrétien de son temps, comme saint Thomas est le plus grand philosophe chrétien du moyen âge, comme Descartes et Leibnitz sont les plus grands philosophes des temps modernes; mais il ne faut pas l'oublier les théologiens de toutes les religions et les penseurs de tous les âges, entre le passé qu'ils résument et l'avenir qu'ils préparent, ne font que marquer les étapes du progrès indéfini de l'humanité.

CRITIQUE D'ART. ESTHÉTIQUE.

Les revues du salon. Tristesses et espérances. MM. Maxime du Camp, L. Lagrange, N. Martin.

Les expositions périodiques de peinture et de sculpture ne sont pas seulement l'occasion de comptes rendus régu liers dans une vingtaine de journaux. Elles donnent lieu, comme nous l'avons déjà fait remarquer, à des livres qui acquièrent, grâce à la compétence ou au talent de leurs auteurs, une plus ou moins grande autorité. On pourrait relever dans le Journal de la Librairie plus de vingt volumes consacrés au salon de cette année par MM. Théophile Gautier, Maxime du Camp, Alb. de la Fizelière, Louis Auvray, Castagnary, Léon Lagrange, Laurent-Pichat. Forcé de choisir, nous prendrons successivement un critique dont les Salons forment déjà une collection autorisée, et un simple débutant dont le premier Salon est une promesse d'avenir1.

M. Maxime du Camp est aujourd'hui un des critiques dont le public accueille les jugements sur chaque salon. avec le plus d'empressement; il a donné une série de trois volumes sous ces titres : le Salon de 1857, le Salon de 1859, le Salon de 1861 2.

1. Voy. pour l'indication des autres publications de même nature, la section correspondante de notre Appendice bibliographique. 2. Librairie Nouvelle, in-18; chaque volume d'environ 200 p.

Les revues d'art de M. Maxime du Camp sont d'une lecture facile, rapide et qui pourtant laisse des traces. Il a tour à tour de la netteté et de l'élévation. Ses jugements sont en général sévères. Il voit autour de lui la décadence de l'art; il la signale, il en cherche les causes et il les trouve dans l'état moral de la société. Nous citerons toute la page suivante dont les réflexions s'appliquent malheureusement aussi bien à la littérature qu'aux arts plastiques :

L'art le plus souvent n'est que le reflet intelligent de l'esprit public; or, quand l'esprit public dort, il est assez naturel que l'art soit endormi. Autrefois, quand des hommes remarquables brisèrent tout à coup les barrières étroites où les enfermait la tradition de l'école de David, ils eurent pour récompense de leurs essais et pour excitation à en tenter de nouveaux, l'intérêt même que leurs efforts inspiraient. Il y avait lutte, et nous croyons ingénument que la gymnastique est aussi indispensable au cerveau qu'aux membres. De grandes questions politiques, philosophiques et littéraires s'agitaient au sein de la nation; on se passionnait, on discutait; chaque drapeau avait ses ennemis et ses défenseurs; monarchiques et libéraux étaient aux prises; romantiques et classiques se heurtaient dans le champ clos des lettres, et le public, accoutumé par les luttes parlementaires à dégager son opinion de ses pro-* pres impressions, savait donner son avis raisonné sur toute chose, au lieu d'accepter sans conteste celui qu'on lui impose. Des hauteurs de la politique, la liberté éclairait tout autour d'elle, et sa lumière vivifiante pénétrait la littérature et les arts. Le droit que chacun avait d'exprimer ouvertement son opinion, amenait des polémiques sérieuses dont les parties intéressées pouvaient faire leur profit; la discussion amenait l'enthousiasme, et l'enthousiasme enfantait de belles œuvres. La liberté est une, pour la politique comme pour les arts; quand elle fait défaut à la première, les seconds périssent peu à peu. Benjamin Constant a eu raison de dire : « L'indépendance de la pensée est aussi nécessaire, même à la littérature légère, aux sciences et aux arts, que l'air à la vie physique. On pourrait tout aussi bien faire travailler des hommes sous une pompe pneumatique, en disant qu'on n'exige pas d'eux qu'ils respirent, mais qu'ils remuent les bras et les jambes, que maintenir l'activité de l'esprit sur un sujet donné, en l'empêchant de s'exer

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