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Associés à la musique pour le plaisir de l'oreille, ils sont impitoyablement sacrifiés à toutes les exigences, à tous les caprices du compositeur; associés au dessin pour le plaisir des yeux, ils ne sont plus qu'un prétexte au luxe de l'illustration. Le mieux qu'ils puissent faire dans ce cas est de se résigner à leur rôle secondaire et de se borner à faire valoir les belles images auxquelles ils sont destinés à servir de devise.

Ce rôle secondaire vient d'être accepté et rempli, encore avec esprit, par un écrivain assez rompu au mécanisme de la langue poétique, dans une suite de petites légendes en vers pour l'enfance, signées du pseudonyme de Trim. Ici, point de prétention au grand style, aux idées prcfondes, aux enseignements raffinés. Un récit vif, joyeux, drolatique, comme les images qui en marquent toutes les étapes. Les principales joyeusetés enfantines qui composent les albums-Trim s'intitulent: Pierre l'ébouriffé, JeanJean Gros-Pateau, Loustic l'espiègle, les Infortunes de Touche-à-Tout1, etc.

L'auteur pseudonyme s'est fait, dit-on, sous son vrai nom, par des œuvres plus sérieuses, une réputation assez brillante, que nous nous sommes permis de trouver un peu exagérée. Nous ne lui chercherons pas ici de nouvelles querelles; il a voulu écrire pour les enfants, et c'est bien pour les enfants qu'il a écrit. Ces petites œuvres, parfaitement proportionnées à leur but, n'en sont pas plus poétiques; mais il m'est avis, cette année comme l'an passé, qu'il faut réserver la poésie pour les hommes, et je sais gré au modeste Trim de s'être enfermé, à l'exemple des Allemands, dans la simplicité amusante, au lieu de refaire, pour les enfants et au nom de la saine morale, ce grand poëme de la comédie humaine que la Fontaine a mis dans ses fables.

1. Hachette et Cie, in-4 avec images noires ou coloriées.

A côté ou quelques degrés au-dessus des albums-Trim se place le magnifique album de poésies enfantines intitulé les Bébés1, œuvre modeste d'un vrai poëte, M. le comte de Gramont, qui, depuis son recueil des Chants du passé, oubliait les vers pour le roman. Les plus charmants dessins typographiques qui soient sortis des presses de M. J. Claye interprètent pour les yeux des enfants cette poésie douce et facile qui s'est déjà mise à la portée de leur esprit. Parmi ces pièces de vers qui se font petites pour les petits, il en est qui sont remarquables de grâce naïve et de vivacité enfantine. Le Petit tapageur mériterait d'être cité ici à plus juste titre que maintes odes ou satires plus ambitieuses.

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La chanson a huit couplets comme ces deux-là. Connaissez-vous beaucoup de couplets pour les hommes qui vaillent mieux, pour l'idée et le tour, que ces refrains d'enfant?

Une fois à peine M. de Gramont paraît oublier l'âge de

1. Collection Hetzell, gr. in-8 avec encadrements et vignettes.

ses petits lecteurs, et sa pensée passe un peu haut pardessus leurs têtes; mais s'il fait alors ouvrir de grands yeux aux enfants, qui n'entendent pas sa malice, il sera compris de reste par les pères, et les fera sourire. Tel est ce dernier couplet du Bonhomme de neige :

On vient le voir du voisinage:
Il est vrai que ce bel ouvrage
Au souffle du printemps fondra;
C'est encore, sur d'autres statues
Qui vaudraient bien d'être abattues,
Un avantage qu'il aura.

Heureux enfants pour qui l'on prépare, à si grands frais, ces beaux livres d'étrennes poétiques à faire envie. aux hommes !

L'alliance de la poésie avec les merveilles typographiques semble être à l'ordre du jour. Voici qu'il nous arrive. de Lyon trois volumes de vers à la fois, du même auteur, M. Hector Fleury. L'un d'eux rentre un peu dans le cadre des volumes précédents et est intitulé: Aux Enfants'. Le second a pour titre : Ouvrons notre âme à la pitié 2. Le troisième volume, le plus considérable et qui résume les deux autres, s'intitule: les Echos, fantaisies et souvenirs 3. Tous les trois sortent des presses de M. Louis Perrin, et sont exécutés avec un soin rare. Tirés à deux cents exemplaires, ornés de vignettes typographiques, dont la finesse et la netteté semblent accuser le burin, imprimés sur papier de Hollande vergé et teinté, ils feraient pâmer d'aise, ils feraient tomber à genoux un bibliophile.

L'inspiration poétique de M. Hector Fleury est en général douce et tendre, un peu molle. Il aime à s'adresser

1. Lyon, Giraudier, in-8, 170 pages.
2. Même librairie, in-8, 106 pages.
3. Même librairie, in-8, 335 pages.

à

à l'enfance, à exprimer les joies pures de la famille, chanter les fleurs de la vie; il fait le monde heureux et la nature riante autour de l'enfance; il aime et enseigne à aimer; il prêche la foi qui vient du cœur et prend pour devise ces vers de Victor Hugo:

Aimer, c'est la moitié de croire.

M. Hector Fleury s'entoure volontiers des noms et des souvenirs de nos poëtes populaires ou de nos prosateurs les plus poétiques. M. Victor Hugo, Alfred de Musset, George Sand, MM. Edgard Quinet, Michelet, Béranger lui fournissent des épigraphes pour chacune de ses pièces, dont les principales leur sont dédiées. Quelques-uns de ces derniers écrivains inspirent à leur admirateur, au lieu des chants plus doux qui vont à sa nature, des manifestes poétiques contre les éternels ennemis de la raison et de la liberté, et sa muse trouve alors une plus grande fermeté d'accent.

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La poésie couronnée. M. et Mme Lesguillon. Les desiderata de notre chapitre sur la poésie.

Si l'on veut avoir une idée complète des fruits poétiques que les concours académiques peuvent produire, il faut prendre le volumineux recueil de vers intitulé: Couronnes académiques1, en souvenir des prix ou des mentions honorables décernés à leur auteur, M. Lesguillon, par un grand nombre de sociétés littéraires. L'Académie française a distingué elle-même, l'auteur ne nous dit pas à quel rang, quelques-unes des pièces de ce volume, telles que la Découverte de la vapeur, le Colon de Mettray; mais la plu

1. Arnaud de Vresse, in-18, 400 pages.

part sont nées sous les auspices des corps savants de la province. Lyon, Toulouse, Bordeaux, Metz, Arras, Reims, Montauban, Béziers, Épinal et une foule de villes possédant une académie, une athénée ou une société d'agriculture qui donne asile aux lettres, ont vu M. Lesguillon accourir à leurs tournois poétiques et disputer leurs prix : il déploie avec reconnaissance tous leurs noms sur sa bannière.

Les Couronnes académiques ont bien les caractères du genre auquel elles appartiennent; elles offrent dans l'ode ces mouvements factices et ce lyrisme de convention qui trahit la poésie de commande. Certains récits et apologues ont des allures plus libres. La pièce intitulée la Fraternité des loups est une satire qui ne manque pas de finesse. C'est une suite de tableaux de la vie humaine tracés par un loup savant, sur l'ordre même du roi Loup quatorze, pour l'édification de tout le peuple loup. L'observateur officiel des crimes humains a vu chez les peuples civilisés, ici la misère d'un débiteur poursuivi par les huissiers, là une scène sanglante de duel, ailleurs la scène plus sanglante encore d'une bataille, enfin dans les déserts un repas d'anthropophages. A ces récits, tous les loups de s'écrier qu'ils valent mieux que nous, malgré les peccadilles qui restent à leur charge. Et ils ont bien quelque apparence de raison.

Mais nous n'imitons pas ces mœurs abominables !
D'un terrible appétit si nous sommes pourvus,

Dans quel siècle nous a-t-on vus

Porter la dent sur nos semblables

Devant ces exemples affreux,

Soyons fiers de ce que nous sommes.

Les loups valent mieux que les hommes :

Ils ne se mangent pas entre eux.

La poésie est un apanage de famille chez M. Lesguillon, et nous ne devons pas séparer des poésies du mari celles

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