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meilleures plumes françaises, a conquis droit de cité. La Suisse française et la Suisse italienne, théâtre grandiose de ses deux récits, sont l'objet des complaisances égales de son pinceau..

car au ro

Mme Dora d'Istria met en scène l'amour, man, comme au théâtre, il remplit tout, mais l'amour pur et malheureux. J'aime surtout cette histoire touchante d'Eléonora de Haltingen, cette noble fille de l'Allemagne qui, trompée dans une première affection, se laisse consumer secrètement par le regret d'avoir vu fuir son idéal, sans comprendre le bonheur que l'amour d'un être plus digne d'elle pouvait encore lui donner. Le drame de Ghislaine est triste aussi, et l'amour qui inspire tant de doux rêves, ne suffit pas à remplir l'immensité du cœur; comme si l'imposante nature des glaciers ne pouvait laisser subsister dans l'âme qu'un sentiment: celui de l'infini.

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Anciennes connaissances: Un groupe de conteurs: MM. Am. Achard, L. Enault, Er. Serret, Fr. Wey, E. Muller, Erckmann-Chatrian, A. Assollant, J. Noriac.

A la plume élégante et facile de M. Amédée Achard, dont nous avons eu tant de peine à suivre la course l'année dernière1, nous devons, cette année, un volume de nouvelles qui s'intitule les Filles de Jephté. Les héroïnes des trois récits qui forment ce recueil, l'Eau qui dort, Salomé, Marthe et Marie, n'ont pas un sort aussi tragique que la jeune et belle juive dont elles rappellent le nom; elles ne pleurent pas leur virginité sur la montagne, pour être livrées ensuite au couteau du sacrifice. Elles trouvent des maris tels que des jeunes filles riches et bien nées en ren

1. Voy. T. III de l'Année littéraire, p. 2. Hachette et Cie, in-18, 361 pages.

contrent d'ordinaire dans la vie; mais le mariage ne répond qu'imparfaitement à leurs vagues désirs ou à leurs rêves passionnés, et le supplice de l'amour non satisfait, sorte de célibat du cœur, conduit la plus intéressante d'entre elles au tombeau. Les Filles de Jephté rentrent dans la manière la plus générale de l'auteur: caractères esquissés avec finesse, situations bien étudiées, sentiments intimes et profonds, mais sans violence, style facile, orné, d'une distinction légèrement aristocratique : tout y rappelle les nuances ordinaires de son talent.

M. Louis Enault, qui, l'année dernière, semblait aussi, par le nombre de ses compositions faciles et élégantes, défier la critique de le suivre 1, nous présente particulièrement, cette année, un de ces livres mixtes qui combinent d'une façon originale le roman et le voyage; il est intitulé Un amour en Laponie. L'auteur, qui aime à placer ses héros sous des cieux lointains, a choisi pour théâtre de son nouveau drame amoureux un climat étrange, sauvage, austère, où la vie physique semble presque suspendue, mais où le cœur de l'homme peut battre des mêmes passions que dans les régions les plus favorisées du ciel et connaître toutes les joies et toutes les souffrances de l'amour. La peinture d'un pays à part, de sa nature, de son aspect, de son organisation sociale, des mœurs de ses habitants, des relations de peuplades errantes entre elles et avec le gouvernement de Stockholm: voilà le premier attrait d'Un amour en Laponie.

Le drame qui se joue dans ces régions glacées, c'est-àdire l'amour profond, dévoué et malheureux de la fille d'un chef de tribu pour un jeune officier suédois envoyé en mission scientifique dans ces lointains parages: voilà le second

1. Voy. t. III de l'Année littéraire, p 110-112.

2. Hachette et Cie, in-18, 386 pages

élément d'intérêt, l'élément romanesque. Henrick ne peut répondre à l'amour de la fière et tendre Nora : il est fiancé à une belle Suédoise, qu'il aime, et la jeune Laponne est livrée à toutes les angoisses de la jalousie. Consumée par une passion sans retour, éprouvée par des catastrophes qui anéantissent sa famille et son pays, elle n'a de ressource que la mort volontaire; mais une main dévouée l'arrache au suicide, et elle consacre le triste reste de son existence à faire le bien, pour se consoler du mal qu'on lui a fait. Les personnages accessoires, le vieux chef de tribu Peckel, sorcier ou prêtre des anciennes traditions idolâtriques, le jeune cousin de Nora, Nepto, le missionnaire luthérien Olaf Johansen, ont des physionomies originales. Les péripéties et le détail des scènes, en harmonie avec le cadre général, contribuent aux effets de couleur locale que l'auteur d'Un amour en Laponie a voulu produire.

Nous connaissons assez M. Ern. Serret comme romancier pour n'avoir pas besoin de nous arrêter longtemps aux deux nouveaux volumes sortis de sa plume: Clémence Ogé1 et Une jambe de moins2. Le premier de ces deux romans est encore un de ces drames intimes comme l'auteur de Perdue et retrouvée, de Francis et Léon et d'Élisa Méraut, a su jusqu'ici en écrire. C'est l'histoire d'une maîtresse de chant, avec les luttes, les triomphes, les dangers de la carrière d'artiste, pour une femme qui a autant de beauté que de talent, et qui met la pureté de l'âme au-dessus de la gloire. Grâce à une amitié généreuse et aux consolations d'un art aimé, Clémence traverse les mauvais jours sans perdre la sérénité de la jeunesse, et elle peut garder de ses épreuves << des souvenirs enchantés et de suprêmes

1. Hachette et Cie, in-18.

2. Même librairie, même format.

espérances. » L'auteur ajoute, pour finir : « Elle a aimé, elle a souffert, elle a dédaigné la gloire et a préféré son devoir à tout maintenant elle attend; la palme d'une telle vie ne se cueille pas sur la terre. »

Le second roman de M. Serret n'a plus le même caractère. Une jambe de moins est, comme l'indique le soustitre, un épisode de la campagne d'Italie. Il est dédié aux blessés de cette courte et glorieuse guerre, en une vingtaine de stances dont les trois suivantes font connaître le double caractère du livre :

Si vous aimez à la veillée,

Ou pour tromper l'ennui du jour,
Près de l'âtre ou sous la feuillée
Lire un simple récit d'amour,

Un conte qui ne vise guère
Qu'à vous divertir un moment,
Mais qui mêle un écho de guerre
A la chanson du sentiment,

O mes amis, lisez ce livre

Où vos faits mêmes sont tracés,
Où du regard vous pourrez suivre
L'ombre de vos exploits passés.

Avis donc à ceux qui aiment l'antique alliance de Vénus et de Bellone. M. Serret passe tour à tour de la caserne au foyer domestique, et fait succéder aux bruits des camps les caquetages de la petite ville. Il me semble que l'auteur abandonne ici d'une façon regrettable le genre auquel il nous avait habitués. Le voilà sur la pente des romans de longue haleine. J'aimais mieux ses courtes études de passion et de caractère, où je trouvais moins de mouvement peut-être, mais plus d'observation et de style.

M. Francis Wey a porté dans son nouveau roman, Gildas1, 1. Hachette et Cie, in-18, 310 pages.

le soin et la conscience que nous l'avons vu déjà mettre à d'autres ouvrages du même genre1. Les caractères des personnages principaux sont étudiés et fouillés de la manière la plus profonde, ce sont de véritables portraits placés chacun dans son vrai jour et se faisant valoir réciproquement. Les événements sont assez romanesques; mais leur vraisemblance préoccupe moins l'auteur que la vérité des peintures et des études auxquelles ils servent de cadre.

Gildas est un pauvre jeune homme d'une nature frêle, délicate, condamné par une de ces maladies héréditaires qui ne pardonnent pas, à une fin prématurée. Il a deux amis, un mathématicien et un poëte, sur lesquels il concentre toutes ses affections: hors de leur amitié il n'a pas d'avenir. Il doit leur transmettre un grand héritage qui lui est échu et dont il n'est pas destiné à jouir.

Les deux amis vivent en tiers avec lui de cette fortune, en attendant que sa mort prochaine la mette par moitié entre leurs mains. Ils fondent sur elle leurs rêves, celui-ci d'ambition, celui-là de gloire; mais le dénoûment funèbre prévu par les trois amis se fait attendre. Les deux héritiers en perspective commencent à se croire spoliés. Leur amitié, qui avait donné terme au moribond, s'irrite de voir reculer l'échéance. L'envie, la haine, toutes les mauvaises passions naissent de l'ingratitude, et une tentative d'empoisonnement est faite sur Gildas, qui la découvre et la pardonne. Un sentiment plus tendre vient guérir dans son cœur les blessures de l'amitié. Il aime une belle jeune fille bretonne digne du culte secret qu'il lui a voué. Un dẹ ses deux compagnons la poursuit également de ses vœnx moins désintéressés et moins purs, et le bon Gildas est vingt fois sur le point de sacrifier à son faux ami la femme qu'il aime. Une intimité de plus en plus grande lui fait mieux comprendre le trésor qu'il allait perdre, et, après

1. L'Année littéraire, t. II, p. 106 et suiv.

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