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l'attente du moment où il seroit traité de la même manière. Les assistans le railloient sur sa crainte et ses larmes. « Votre tour va venir, lui disoient> ils il ne s'agit pas présentement de pleurer; > c'étoit avant le crime qu'il falloit craindre. » On ne le tourmenta cependant point, et on le renvoya en prison. Ses compagnons furent trouvés innocens de ce dont on les accusoit; mais ayant été convaincus de divers autres crimes, ils subirent chacun la peine qu'ils méritoient. Ephrem fut ensuite élargi sur la connoissance que l'on eut du véritable voleur du troupeau. Il raconte luimême l'histoire de cet événement dans sa Confession (a). Ce fut ainsi que Dieu lui prouva les attentions de sa Providence sur ses créatures providence dont l'économie admirable sur les élus éclatera au dernier jour, quoique souvent elle se manifeste, dès cette vie, par des traits frappans auxquels on ne peut la méconnoître.

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Saint Ephrem, depuis son baptême qu'il reçut peu de temps après, fut vivement frappé de la crainte des jugemens de Dieu. Toujours il avoit présent à l'esprit le compte rigoureux que nous rendrons de toutes nos actions, et cette pensée tiroit des larmes continuelles de ses yeux. Il prit l'habit monastique pour ne plus s'occuper que des vérités éternelles, et se mit sous la conduite

(a) L'ouvrage qui porte ce titre est certainement de saint Ephrem, comme l'a prouvé M. Assémani, Op. t. I, p. 119: ibid. Proleg. c. 1, et t. II, p. 37; item, Bibl. orient. t. 1, p. 141. Les disciples de saint Ephrem écrivirent la même histoire d'après ce qu'ils en avoient entendu dire à leur bienheureux maître; de là ce grand nombre de relations que nous avons de l'événement dont il s'agit. Gérard Vossius en a publié une que M. Assémani a fait réimprimer, Op. t. 111, p. 23; mais on doit suivre principalement la Confession du Saint, qui se trouve dans le recueil de ses œuvres de l'édition du Vatican.

Tome VI.

E*

d'un saint abbé qui lui permit de vivre dans un ermitage séparé de la communauté. Sa ferveur étoit extraordinaire. Il couchoit sur la terre nue, passoit une partie considérable de la nuit en prières, et restoit quelquefois plusieurs jours sans

manger..

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C'étoit une coutume dans les monastères d'Egypte et de la Mésopotamie, que chaque religieux travaillât des mains, et vint à la fin de chaque semaine rendre compte de son travail au supérieur. Le travail étoit toujours pénible, afin qu'il pût faire une partie de la pénitence de ceux qui s'y occupoient. Il devoit aussi être de telle nature, qu'il n'empêchât point l'ame d'être constamment unie à Dieu aussi les moines avoient-ils coutume d'y joindre toujours la prière ou la méditation. C'étoit pour cela qu'on ordonnoit d'abord aux jeunes novices d'apprendre le psautier par cœur. Quand ils avoient pris sur leur travail de quoi fournir à leur subsistance, ils distribuoient aux pauvres le reste du profit. Saint Ephrem s'occupoit à faire des voiles de navire. Il pratiquoit rigou¬ reusement la vertu de pauvreté, et il suffit, pour s'en convaincre, de se rappeler ces paroles de son testament : « Ephrem n'a jamais possédé ni bourse, » ni bâton, ni quoi que ce soit au monde; mon > cœur n'a point eu d'affection pour l'or ou l'argent » ni pour aucune sorte de biens temporels. » Il étoit naturellement porté à la colère; mais il avoit si parfaitement vaincu cette passion, que la vertu opposée étoit devenue une de celles qui brilloient le plus en lui, et qu'on l'appeloit ordinairement la douceur ou le pacifique de Dieu. Jamais on ne le vit contester ou disputer avec personne; les larmes et les prières étoient les armes qu'il employoit contre les pécheurs endurcis. Il se mépri

soit souverainement et désiroit que les autres eussent de lui la même idée, et qu'ils le regardassent comme indigne d'être compté parmi les créatures. Son humilité, qui paroissoit dans toutes ses paroles et dans toutes ses actions, se fait principalement remarquer dans ses écrits, et sur-tout dans ses deux Confessions.

La première commence par ces paroles : « Ayez » pitié de moi, vous tous qui avez des entrailles > compatissantes (3). » Le Saint demande ensuite qu'on lui obtienne de Dieu le pardon de ses péchés. Il gémit amèrement sur ses misères spirituelles. Je crains, dit-il, de ressembler à ceux que les flammes du ciel dévorèrent pour avoir osé offrir un feu profane sur l'autel, et d'éprouver le même châtiment lorsque je me présente devant Dieu, sans avoir dans le cœur le feu sacré de son amour. Il invite tous les hommes à prier pour lui, et fait l'aveu des manquemens qu'il découvroit dans ses affections. A l'entendre, il est coupable d'avarice, dejalousie, de lâcheté, quoique personne n'aperçoive en lui aucun de ces vices. Il ne sauroit verser assez de larmes effacer les souillures de son ame, pour tout son désir est d'établir parfaitement en lui le règne de Dieu. Dans la seconde partie du même ouvrage, il s'accuse d'orgueil. iln'y a point, dit-il, de péché plus funeste que celui-là; il détruit même les dons de Dieu; il brûle en quelque sorte toutes les vertus, et en fait une abomination. Faut-il qu'on ne pense point qu'au dernier jour toutes nos vertus seront éprouvées par le feu, et que l'humilité seule pourra y résister? Malheureux orgueil qui infecte tout le monde! On voit des hommes qui, possédés d'une étrange frénésie, cherchent à la satisfaire par des petitesses ou des vanités ridi(3) T. I, p. 18, edit, Vatican.

et

cules auxquelles une opinion extravagante a attaché une prétendue dignité et une valeur imaginaire. Comment peut-il arriver que la vertu elle-même devienne un piége, et quelquefois un principe d'orgueil, quoiqu'elle soit un don du ciel? Si Dieu, par sa miséricorde, nous a enrichis de ce don, nous n'en devons pas moins nous regarder comme des serviteurs lâches et inutiles.

Dans sa seconde Confession (4), le Saint démontre d'abord que la Providence embrasse le gouvernement de toutes les créatures; qu'elle préside à tous les événemens, et qu'elle en règle les plus petites circonstances. Il déplore ensuite le malheur qu'il avoit eu d'en douter dans son enfance. Entre autres péchés dont il s'accuse, il nomme la vaine gloire, l'immortification, la lâcheté, le défaut de respect dans l'église, la démangeaison de parler. Îl craint que son repentir ne ressemble à celui d'Esaü; après quoi il conjure tous les hommes de s'intéresser auprès de Dieu pour un aussi grand pécheur que lui. Il s'écrie, en adressant la parole à ceux qui l'estimoient : << Otez ce masque qui me couvre, et vous ne » verrez en moi que puanteur et infection; ôtez » ce cloaque d'hypocrisie, et vous conviendrez » que je ne suis qu'un sépulcre rempli de corrup» tion et d'ordures. » Il se compare aux Pharisiens, qui, en portant l'habit des prophètes et des saints, ne faisoient qu'aggraver leur condamnation. Le vice, dit-il, quand on le cache sous l'extérieur imposant de la vertu, acquiert un nouveau degré d'abomination. Il s'accuse encore ailleurs de divers péchés, et sollicite toujours les prières des autres. Puissiez-vous, s'écrie-t-il, voir l'abîme des misères qui est en moi! Il ne manque

(4) T. I, p. 119.

roit pas d'exciter votre compassion, si toutefois vous étiez capables d'en soutenir la vue.

Les louanges ne servoient qu'à augmenter son humilité. Un jour qu'on le louoit, il garda un profond silence, et tout son corps fut violemment agité, tant étoit vive l'impression que faisoit sur lui la pensée du dernier jour, jointe à la confusion intérieure qu'il ressentoit. Il s'imaginoit être devant le tribunal de Jésus-Christ, où il croyoit qu'il seroit couvert de honte à la face de toutes les créatures, des personnes sur-tout qui le louoient pour avoir été trompées par son hypocrisie. On peut juger par-là quel étoit son éloignement pour les dignités et les honneurs. Ayant appris qu'une ville vouloit le choisir pour évêque, il contrefit l'insensé pour échapper plus sûrement à la violence que l'on auroit pu employer pour obtenir

son consentement.

Saint Ephrem possédoit dans un haut degré l'esprit de componction qui accompagne toujours l'humilité et la pénitence: c'est ce qui paroissoit toutes les fois qu'il élevoit son cœur à Dieu, qu'il pensoit à l'étendue de son amour ou à la sévérité de ses jugemens, et qu'il se rappeloit ses misères spirituelles. « Nous ne pouvons, dit saint Grégoire » de Nysse, penser à ses larmes continuelles, » sans y mêler les nôtres. Il lui étoit aussi naturel de pleurer, qu'il l'est aux autres hommes de respirer. Nuit et jour ses yeux étoient baignés » de larmes. Jamais on ne le rencontroit qu'on » ne vit ses joues mouillées. » Sa componction se manifestoit si vivement sur son visage, qu'on ne pouvoit le fixer, même lorsqu'il gardoit le silence, sans se sentir fortement ému: de là cette énergie qui accompagnoit toutes ses paroles, et qui se remarque dans ses écrits. Cet esprit de

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