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componction dont il étoit animé ne l'abandonnoit jamais, et il le portoit jusque dans les panégyriques et dans les matières propres à exciter une sainte joie. S'il parle de la félicité du paradis et des douceurs ineffables de l'amour divin, il se livre à tous les transports qu'inspire une vive espérance; mais il ne perd point de vue les motifs qui peuvent faire couler des larmes. Dans ses discours sur la componction, il inculque fortement la nécessité de cette vertu, et il invite de la manière la plus pathétique tous les hommes à pleurer avec lui.« C'est là, dit-il, le pain quotidien » de tous les hommes spirituels; c'est par-là qu'ils » obtiennent miséricorde, et qu'ils se procurent » ces grâces infiniment plus précieuses que tous > les trésors (5).

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On ne pouvoit, selon saint Grégoire de Nysse, lire ses discours sur le jugement dernier, sans fondre en larmes, tant il y avoit de force et de vérité dans les peintures qu'il en faisoit (b).

(5) T. I, p. 154.

(6) Souvent le Saint étoit obligé d'interrompre son discours pour laisser couler ses larmes et celles de ses auditeurs. Nous allons donner une idée de sa manière de prêcher, en insérant ici l'abrégé d'un sermon qu'il fit sur le second avéne ment de Jésus-Christ, et qui se trouve dans le tome II de la nouvelle édition de ses œuvres.

<< Bien-aimés de Jésus-Christ, prêtez une attention favo. » rable à ce que je vais vous dire sur l'effrayant avénement » du Seigneur. Lorsque je pense à ce moment, je me sens >> saisi d'une crainte excessive. Qui peut rapporter ces redou> tables choses? Où trouver une langue capable de les ex>> primer? Le Roi des rois, élevé sur un trône de gloire, deș» cendra du ciel, et s'étant assis comme juge, fera compa>> roître devant lui tous les habitans de la terre. Au seul sou» venir de cette vérité, je suis prêt à tomber en foiblesse ; » les membres de mon corps sont dans une agitation violente; mes yeux se remplissent de larmes ; ma voix chancelle, mes » lèvres tremblent, ma langue balbutie, le désordre et la >> confusion se mettent dans mes pensées. Je suis obligé de vous annoncer ces choses, mais la crainte m'empêchera de

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Chaque chose lui en rappeloit le souvenir. Voici

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parler. Un coup de tonnerre nous épouvante aujourd'hui ; » comment pourrons-nous alors soutenir le son de cette » trompette, mille fois plus terrible que le tonnerre, qui » ressuscitera les morts? Les ossemens de tous les hommes ne l'auront pas plutôt entendue dans le sein de la terre qu'ils se ranimeront à l'instant, et chercheront à se rejoindre ⚫ les uns aux autres; et en un clin d'œil, nous ressusciterons

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tous, et nous nous rassemblerons pour être jugés. Enfin le » grand Roi ayant donné l'ordre, la terre ébranlée et la mer ⚫ troublée rendront les morts qu'elles possédoient, tant ceux » qui avoient été dévorés par les poissons, que ceux qui » l'avoient été par les oiseaux ou par les bêtes. Dans le mo»ment tous les hommes paroîtront sans qu'il leur manque un seul cheveu. »

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Le Saint parle ensuite du feu qui embrasera toute la terre des anges qui sépareront les brebis d'avec les boucs, de l'étendard de la croix, tout brillant de lumière, que le grand Roi fera porter devant lui. Il représente les hommes accablés par la consternation et par une inquiétude mortelle ; les justes comblés de joie, et les méchans livrés au désespoir; les anges et les chérubins occupés à chanter les louanges de celui qui est trois fois saint; les cieux ouverts, et le Seigneur environné d'une telle gloire, que le ciel et la terre ne pourront soutenir sa présence. Il ouvre devant les yeux le livre où sont écrites toutes nos pensées, toutes nos paroles, toutes nos actions; puis il s'écrie: « Quelles larmes ne devons-nous pas répandre nuit et jour, dans l'attente de ce terrible mo»ment!» Ses soupirs et ses sanglots lui ayant coupé la parole, il n'en put dire davantage. « Apprenez-nous donc, cria l'auditoire, les choses effrayantes qui arriveront ensuite. Tous les hommes, reprit le Saint, auront les yeux baissés » devant le tribunal du souverain juge, entre la vie et la » mort, entre le ciel et l'enfer, et chacun d'eux sera cité » pour subir un examen rigoureux. Malheur à moi! Je veux vous instruire de ce qui arrivera; mais la voix me manque; » la crainte me jette dans le trouble et la confusion : le seul » récit de ces choses me glace d'effroi. Nous vous conjurons. répéta l'auditoire, de continuer pour notre utilité et pour » la sanctification de nos ames. Bien-aimés de Jésus-Christ, » dit le Saint, on cherchera dans tous les Chrétiens le sceau » du baptême et le dépôt de la foi; on leur redemandera » cette renonciation qu'ils firent, en présence de témoins, » à Satan et à ses œuvres, non à une, à deux, à cinq, mais » à toutes en général. Heureux celui qui aura garde fidèle»ment ce qu'il avoit promis! » Ses soupirs et ses gémissemens ne lui permettant plus de parler, l'auditoire lui cria de nouveau : « Eh! de grâce, continuez de nous instruire.

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ce que nous apprenons du Saint lui-même (6). Il lui arriva, étant à Edesse, de sortir un matin de la ville avec deux frères. A la vue des cieux parsemés d'étoiles, il dit : « Si l'éclat de ces globes » est si éblouissant, quelle sera la gloire dont les » Saints seront environnés au dernier avénement » de Jésus-Christ? Mais je tremble, s'écria-t-il » tout-à-coup, quand je pense à ce jour terrible; » je tremble de tous mes membres. » Effectivement, la crainte le jeta dans une angoisse extrême; il soupiroit et versoit un torrent de larmes. « Hé> las continua-t-il, en quel état serai-je alors » trouvé? Comment paroîtrai-je devant le tribunal » de mon juge, moi qui serai un monstre rempli > Je vous obéirai, répondit le Saint, autant qu'il me sera possible; mais je ne m'exprimerai que par des pleurs et des soupirs. De pareilles choses sont si terribles, qu'on ne peut en parler sans verser des larmes. O serviteur de Dieu, ajouta le peuple! ne nous refusez pas les instructions que » nous vous demandons. » Alors, Ephrem se frappant la poitrine, et pleurant encore plus amèrement, dit : Ah! »mes frères, que voulez-vous entendre? O jour épouvantable! malheur à moi! malheur à moi! Qui osera rappor»ter, qui osera écouter le récit de ce qui doit se passer dans > ce moment lamentable? Vous tous qui avez des larmes > pleurez avec moi; que ceux qui n'en ont point apprennent » à connoître le sort qui les attend, et qu'ils ne négligent pas » leur salut. Alors les hommes seront séparés pour toujours » les uns des autres; les évêques, des évêques ; les prêtres, » des prêtres; les diacres, des diacres; les sous-diacres et » les lecteurs, de ceux qui avoient les mêmes ordres; les » enfans, de leurs parens; les amis, de leurs amis. La sé>>paration faite, les princes, les philosophes, les sages du ⚫ monde crieront aux élus avec larmes Adieu pour tou> jours, saints et serviteurs de Dieu; adieu, parens, enfans, Damis; adieu prophètes, apôtres, martyrs; adieu, Vierge »sainte, mère du Sauveur. Vous priâtes pour notre salut,

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mais nous ne voulûmes pas nous sauver. Adieu, croix vivifiante; adieu, paradis de délices, royaume éternel, Jé»rusalem céleste; adieu, vous tous, nous ne vous reverrons » plus; nous voilà plongés dans un abîme de tourmens qui ne finiront jamais,. etc. »

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(6) Serm. de Compunct. t. 1, p. 158.

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d'orgueil parmi les humbles et les parfaits, un >> bouc parmi les brebis, un arbre stérile et sans » fruit? Les martyrs montreront leurs tourmens » les moines leurs vertus, et vous pécheur, ame >> vaine et arrogante, vous n'aurez à présenter que » votre tiédeur et votre négligence. >> Ses deux compagnons voyant couler ses larmes, pleurèrent avec lui. La même pensée lui revint souvent en diverses occasions, et ce ne fut jamais sans le toucher de la manière la plus vive (7). Etant couché dant la nuit pour prendre un peu de repos, s'il réfléchissoit sur l'amour infini que Dieu porte aux hommes, il se levoit à l'instant, et vouloit lui en témoigner sa reconnoissance (8). « J'en » suis, dit-il, détourné par le souvenir de mes » péchés; mais alors je fonds en larmes. Je sens » que je ne pourrois résister au trouble qui m'ac» cable, si je n'étois soutenu et encouragé par

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quelques exemples de miséricorde, comme ceux » du bon larron, du publicain, de la femme pé» cheresse, de la Cananéenne et du Samaritain. » D'autres fois l'image de ses péchés l'empêchoit de dormir; il lui étoit impossible de reposer; il s'excitoit aux soupirs, aux gémissemens et aux larmes, et se proposoit David pénitent pour modèle. Cette profonde humilité produisoit en lui une pureté inviolable, et une exactitude extrême à veiller sur son cœur et sur tous ses sens.

Saint Ephrem passa plusieurs années dans le désert, toujours recueilli et détaché des objets sensibles. Il y vivoit, suivant l'expression de saint Grégoire de Nazianze, comme n'ayant point de corps, et étant hors du monde. Son zèle lui attira diverses persécutions de la part de certains moines

(7) Serm. 2. de metu anim. t. I. p. 158. (8) Parænesi 42, inter 76, t. V1, p. 500. Tome VI.

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qui s'abandonnoient au relâchement; mais il trouvoit une grande consolation dans les exemples et les conseils de saint Julien dont il a écrit la vie. Il ne se découragea point lorsque la mort lui eut enlevé ce serviteur de Dieu. Ce fut aussi vers le même temps, c'est-à-dire en 338 qu'il perdit saint Jacques, évêque de Nisibe, qui dirigeoit sa conscience.

Peu de temps après, Dieu lui inspira le dessein de quitter sa patrie. Il se rendit à Edesse, pour y vénérer des reliques qu'on croit être celles de l'apôtre saint Thomas. Il avoit aussi un ardent désir de visiter les anachorètes qui demeuroient sur les montagnes de cette ville, qu'on a placée quelquefois dans la Mésopotamie, quelquefois dans la Syrie (c). Pendant qu'il alloit à Edesse, une courtisane l'ayant rencontré fixa les yeux sur lui. A peine s'en fut-il aperçu, qu'il détourna le visage, et dit à cette femme avec un ton d'indignation: « Pourquoi me regardez-vous? La femme, » répondit celle-ci, a été formée de l'homme; » mais vous, vous devez toujours avoir les yeux » fixés sur la terre d'où l'homme a été créé. » Cette réponse frappa saint Ephrem, qui profitoit de tout pour sa sanctification, et il admira la Providence qui prenoit tant de soins pour l'instruire. Il composa depuis un traité sur les paroles de la courtisane. Nous n'avons plus cet ouvrage, qui étoit anciennement regardé par les Syriens comme un des plus beaux et des plus utiles qui fussent sortis de la plume du saint docteur.

Durant le séjour que saint Ephrem fit à Edesse, il y fut universellement estimé et respecté. Ayant été ordonné diacre, il y devint l'apôtre de la pé

(e) Sous le dernier des Séleucides, dont le règne fut trèsfoible, les princes, appelés abgars, formèrent à Edesse un petit royaume,

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