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parlent peu, et s'exercent au grand art de se taire à propos; ils descendent souvent dans leur inté– rieur pour se connoître parfaitement eux-mêmes, et contractent la sainte habitude d'avoir leur conversation dans le Ciel (2). Avec de telles dispositions, ils peuvent sans crainte se prêter aux emplois publics; lorsque le devoir, la justice ou la charité les y appelleront, ils n'auront rien à craindre des piéges du monde, et ils se sanctifieront dans le commerce des hommes. Nous en avons un bel exemple dans la visite que la sainte Vierge rendit à sainte Elizabeth, sa cousine. C'est la remarque de saint François de Sales, qui emprunta de ce mystère le nom qu'il donna aux religieuses dont il étoit le fondateur, et qui, suivant leur institution primitive, étoient destinées à visiter et à servir les malades.

Dans le mystère de l'annonciation, l'ange Gabriel dit à la mère de Dieu qu'Elizabeth, sa cousine, avoit conçu miraculeusement, et même qu'elle étoit au sixième mois de sa grossesse. La sainte Vierge, par humilité, cacha la dignité surprenante à laquelle l'élevoit l'incarnation du Verbe dans son sein; mais transportée de joie et de reconnoissance, elle voulut aller féliciter la mère de Jean-Baptiste. Ce fut le Saint-Esprit qui lui inspira cette résolution, pour l'accomplissement de ses desseins sur le précurseur du Messie, qui n'étoit point encore né. Marie partit donc, et s'en alla en diligence au pays des montagnes, en une ville de la tribu de Juda (a), et étant entrée dans la maison de Zacharie, elle salua Elizabeth. Elle visita une sainte, parce qu'il y a beaucoup à ga

(2) Phil. III, 29.

(a) Hébron, ville sacerdotale située à l'Occident de la ibu de Juda.

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gner dans la compagnie des serviteurs de Dieu; leur exemple, leur silence même éclairent l'esprit et échauffent le cœur. Semblable à la flamme qui s'augmente par le contact des charbons ardens, le feu de la charité s'allume davantage dans une ame fervente par les vertus et les discours de ceux qui aiment véritablement Dieu.

Quelles leçons d'humilité la sainte Vierge ne nous donne-t-elle pas en cette occasion! Elle est traitée de mère de Dieu, et placée au-dessus de toutes les créatures. Loin de s'élever, elle n'en devient que plus humble. Elle prévient Elizabeth dans un devoir de charité. Quoi de plus propre à confondre l'orgueil des mondains! Non contens de ces égards que leur assurent les lois de la subordination, ils bannissent, à force d'exiger, toute liberté du commerce de la vie, et se rendent insupportables à eux-mêmes et aux autres. Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que, dans leurs conversations et dans leurs visites, il ne s'agit de rien qui ait trait à la religion, et qu'ils ne cherchent qu'à satisfaire une vanité ridicule, ou cette dissipation dans laquelle ils vivent continuellement, et qui est le poison de toute vertu.

Quand la charité appelle Marie, elle n'est effrayée ni par les dangers, ni par les difficultés d'un voyage long et pénible. L'écrivain sacré remarque qu'elle s'en alla avec diligence, pour exprimer l'ardeur avec laquelle elle s'empressa de rendre à sa cousine le bon office dont il s'agit. Tel est le propre de la charité; rien n'est capable d'arrêter sa ferveur et son activité. Marie se hâtoit sans manquer à la modestie; elle ne cherchoit point à se montrer aux yeux du public; la vanité et la curiosité n'entroient point dans sa démarche; aussi avoit-elle soin, durant le voyage, de fuir

tout ce qui auroit pu la distraire et la dissiper. Apprenons de là avec quelle attention nous devons veiller sur nos sens, et de quelle manière il faut que les Chrétiens se comportent en voyage.

Lorsque Marie fut arrivée au terme de sa course, elle entra chez Zacharie, et salua sa parente. Quel bonheur pour cette maison d'être honorée la première de la visite du Verbe fait chair! De quelle bénédiction sa présence ne fut-elle pas suivie? La sainte Vierge en fut l'instrument, parce que Dieu vouloit nous montrer qu'elle est le canal des grâces, et que nous pouvons avec confiance implorer son intercession.

A la voix de Marie, l'enfant dont Elizabeth étoit enceinte fut rempli du Saint-Esprit, et sanctifié dans le sein de sa mère. Il eut par anticipation l'usage de la raison, et connut par une lumière surnaturelle quel étoit celui qui venoit le visiter. Cette connoissance le pénétra d'une joie si vive, qu'il en tressaillit dans le sein d'Elizabeth (b). Si les anciens patriarches goûtèrent une si grande consolation en voyant seulement en esprit le jour du Seigneur, plusieurs siècles avant sa venue, il n'est pas surprenant que Jean-Baptiste ait éprouvé de si vifs transports en jouissant de la réalité. On ne peut douter qu'il ne désirât dès lors d'exercer les fonctions du ministère auquel il étoit destiné, et d'être en état d'annoncer au monde son Rédempteur, afin que tous pussent le connoître et l'adorer: mais qui pourroit expri

(b) Le mot joie qu'emploie l'évangéliste en cette occasion, et le consentement unanime des Pères, montrent évidemment que Jean-Baptiste eut par anticipation l'usage de la raison; ainsi son tressaillement ne fut point la suite d'un mouvement purement naturel, comme quelques protestans l'ont avancé, mais le résultat d'un jugement réfléchi, et l'effet de la joie et de la piété.

mer les sentimens de respect et d'adoration dont il fut lui-même pénétré ? Il ne seroit pas plus possible de comprendre les faveurs dont le Sauveur combla son ame. Il fut purifié de la tache originelle, rempli de la grâce sanctifiante, élevé à la dignité de prophète, à un rang même supérieur à cette dignité.

En même temps, Élizabeth fut aussi remplie du Saint-Esprit. A la faveur d'une lumière qui lui fut communiquée, elle comprit l'ineffable mystère de l'incarnation que Dieu avoit opéré dans Marie, quoique celle-ci, par humilité, ne voulût point le découvrir. Elle s'écria, dans les transports de son étonnement, que Marie étoit bénie au-dessus de toutes les femmes, puisque Dieu l'avoit choisie pour répandre sur le monde sa bénédiction, et pour écarter les maux dont Eve avoit accablé le genre humain. En appelant aussi béni le fruit de ses entrailles, elle donna à ce titre un sens infiniment plus sublime. Le divin enfant étoit en effet le principe de toutes les grâces, et ce n'étoit que par lui que Marie elle-même en avoit reçu de si grandes.

Elizabeth tournant ensuite les yeux sur ellemême, s'écria: Eh! d'où me vient ce bonheur, que la mère de mon Seigneur daigne venir me visiter? Elle savoit bien qu'elle avoit conçu par miracle; mais Marie avoit conçu en restant vierge, et par l'opération du Saint-Esprit. Celui qu'elle avoit conçu étoit plus grand que les prophètes; mais Marie devenoit mère du Fils éternel de Dieu, vrai Dieu lui-même. Jean-Baptiste se servit depuis d'une semblable exclamation pour exprimer les sentimens de sa profonde humilité, quand Jésus-Christ se présenta pour être baptisé par ses mains. Telles sont les dispositions où nous devons

puis

être lorsque Dieu nous visite par sa grâce, surtout dans les sacremens. Elizabeth appelle Marie, mère de son Seigneur, c'est-à-dire, mère de Dieu, et elle lui prédit ce qui doit arriver tant à elle qu'à son fils, qui avoit été l'objet des prophéties.

Marie s'entendant louer descendit dans l'abîme de son néant; puis rapportant à Dieu tous les dons de la grâce qui étoient en elle, elle fit éclater son amour, sa reconnoissance, son humilité, par l'admirable cantique que l'église récite tous les jours à vêpres. On y trouve une élévation de sentimens et une sublimité de style qui ne sont point dans les écrits des anciens prophètes. La sainte Vierge y loue Dieu de ses miséricordes infinies, et lui en donne toute la gloire. Dans le transport de sa joie, elle adore son Sauveur, qui a bien voulu jeter les yeux sur sa bassesse. Quoique toutes les nations doivent l'appeler bienheureuse elle déclare que l'abjection seule est son partage, et que le mystère qui l'occupe est uniquement l'effet de la puissance et de la bonté de Dieu; elle ajoute que celui qui a détrôné les tyrans, qui a nourri dans le désert les Juifs affamés, et qui a opéré tant de prodiges en faveur de son peuple est venu le visiter en personne, afin de vivre parmi les hommes, de mourir pour eux, et d'accomplir toutes les prédictions des prophètes. Marie, après avoir passé environ trois mois avec sa cousine, reprit la route de Nazareth.

Lorsqu'unis à l'église, nous louons Dieu de ses miséricordes, et des prodiges qu'il a opérés dans le mystère de l'incarnation, appliquons - nous à imiter les vertus dont la sainte Vierge nous a donné l'exemple; apprenons d'ellé sur - tout à sanctifier les visites et les conversations qui sont la source de tant de péchés pour un si grand nombre

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