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Cyrila exerceroit cette fonction, ils demandèrent de nouveau par quelle autorité Cyrila s'attribuoit le rang et la juridiction de patriarche. Les Ariens, qui n'avoient rien à dire, remplirent de tumulte le lieu de l'assemblée, et obtinrent un ordre qui les autorisoit à donner cent coups de bâton à tous les laïques catholiques qui étoient présens. Ensuite, Cyrila chercha divers prétextes pour empêcher que la conférence n'eût lieu.

Cependant les catholiques présentèrent une confession de foi par écrit. Elle étoit divisée en deux parties: la première, qui établissoit par l'écriture la consubstantialité du Fils de Dieu, compose tout le troisième livre de l'histoire de Victor de Vite; nous n'avons plus la seconde, qui confirmoit la même doctrine par les écrits des Pères. Il paroît que cette confession fut dressée par saint Eugène; du moins Gennade lui attribue une confession de foi contre les Ariens (e). Quand on en eut fait la lecture, les Ariens trouvèrent mauvais que les orthodoxes prissent le nom de catholiques, quoiqu'il leur fût donné universellement, même par les hérétiques, comme saint Augustin l'obser voit quelque temps auparavant. A la fin les ennemis de l'église prévalurent, et l'on rompit tout à coup la conférence.

Le 25 de Février de la même année 384, le rci, par un édit qu'il méditoit depuis long-temps, ordonna une persécution générale. On chassa les ecclésiastiques des villes, et on leur défendit

(e) Dans cette confession de foi, les catholiques en appellent à la tradition de l'église universelle. Hæc est fides nostra, evangelicis et apostolicis traditionibus atque auctoritate firmata, et omnium quæ in mundo sunt catholicarum ecclesiarum societate fundata, in qua nos per gratiam Dei omnipotentis permanere usque ad finem vitæ hujus confidimus. Victor Vit. Į. 3, p. 62.

d'exercer aucune fonction dans le pays. Tous les catholiques furent déclarés inhabiles à hériter, et à disposer de leurs biens, de quelque nature qu'ils fussent. Les bourreaux qu'on envoya de tous côtés tourmentèrent plusieurs orthodoxes de la manière la plus barbare, et en mirent à mort un grand nombre. Une femme nommée Denyse avoit été cruellement traitée, et sa patience n'avoit pas peu contribué à soutenir les autres fidèles. Toute son inquiétude étoit que Majoric, son fils, jeune, et d'une complexion délicate, ne se laissât ébranler. S'étant aperçue qu'il trembloit à la vue des tourmens qu'il alloit endurer : « Mon fils, lui dit-elle » en jetant sur lui un regard sévère, souviens-toi » que nous avons été baptisés, au nom de la Tri» nité, dans le sein de l'église notre mère. Le jeune homme, encouragé par ces paroles, souffrit le martyre avec une constance admirable. Sa mère l'enterra dans sa propre maison, afin de pouvoir offrir tous les jours, sur son tombeau, des prières à la sainte Trinité, et de se fortifier par l'espérance de lui être réunie au dernier jour. Sa sœur Dative et le médecin Emilius, son parent, eurent, ainsi que beaucoup d'autres, le bonheur de donner aussi leur vie pour la foi.

A Typase, dans la Mauritanie césarienne, on arrêta plusieurs catholiques qui avoient assisté à la célébration des divins mystères dans une maison particulière, et on leur coupa, par ordre du roi, la langue, avec la main droite, ce qui ne les empêcha pas de parler aussi bien qu'auparavant. La vérité de ce miracle est attestée par Victor de Vite, qui en avoit été témoin oculaire (1). Parmi ces catholiques étoit un sous-diacre nommé Ré

(1) L. 5, p. 76.

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parat: il vivoit à la cour de Constantinople dans le temps que Victor écrivoit son histoire, et il y étoit singulièrement estimé de l'empereur Zénon et de l'impératrice. Quoiqu'il n'eût plus de langue, et qu'on la lui eût coupée jusqu'à la racine, il parloit fort distinctement, et même avec grâce. Enée de Gaze, philosophe platonicien, qui écrivoit en 533, et qui étoit pour lors à Constantinople, dit (2) qu'il avoit vu et entendu parler facilement ces catholiques auxquels on avoit coupé la langue ;* il ajoute que ne pouvant s'en rapporter à ses oreilles, il leur avoit fait ouvrir la bouche, et qu'il avoit remarqué que leur langue étoit arrachée jusqu'à la racine; en sorte qu'il s'étonnoit moins de ce qu'ils parloient, que de ce qu'ils n'étoient pas morts de ce supplice. Procope, qui florissoit peu de temps après, dit aussi (3) qu'il avoit vu les mêmes personnages à Constantinople, et qu'il les avoit entendus parler aussi librement que s'ils avoient encore leurs langues. Il assure que deux de ces catholiques, étant tombés dans un péché d'impureté, perdirent l'usage de la parole dont ils avoient joui jusque-là (f).

Hunéric déchargea le poids de sa fureur sur beaucoup d'autres fidèles, et principalement sur les Vandales qui avoient abjuré l'arianisme. Les rues de Carthage n'offroient par-tout que de tristes spectacles de sa cruauté. On voyoit par-tout des hommes sans main, sans yeux, sans nez ou sans (2) Dial. de animarum immortalitate et corporis resurrectione. P. 415.

(3) De bello Vandal. l. 1 c. 8.

(f) Voyez, sur le miracle dont nous venons de donner l'histoire, le livre intitulé: La religion chrétienne prouvée par un seul fait, à Villefranche de Rouergue, chez Vedeilhié, et à Paris, chez Barbou, 1766. Cet ouvrage est digne de l'accueil que lui a fait le public.

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oreilles; d'autres avoient la tête enfoncée dans les épaules, pour avoir été suspendus en l'air par les mains au haut des maisons, où ils servoient de jouet aux barbares. Plus de quatre cent soixante évêques furent amenés à Carthage. Quatre-vingthuit d'entre eux moururent des tourmens qu'on leur fit souffrir; quelques-uns recouvrèrent leur liberté, et les autres furent bannis. On comptoit parmi ces derniers saint Eugène, auquel on ne permit pas même de dire adieu à ses amis: mais il trouva le moyen d'écrire à son troupeau une lettre qui nous a été conservée par saint Grégoire de Tours (4). Il s'y exprime ainsi, en adressant la parole à ses diocésains: « Je vous demande avec » larmes, je vous exhorte, je vous conjure, par » le redoutable jour du jugement et par la lumière » formidable de l'avénement de Jésus-Christ, de >> rester fermes dans la profession de la foi catho»lique...... Conservez la grâce d'un seul baptême » et l'onction du chrême. Que personne d'entre » vous ne souffre qu'on le rebaptise. » Il parloit de la sorte, parce que les Ariens d'Afrique, semblables aux Donatistes, rebaptisoient ceux qui embrassoient leur secte. Il proteste aux fidèles qu'en cas qu'ils soient inébranlables, l'éloignement ni la mort ne l'empêcheront point de leur être uni en esprit; mais qu'il sera innocent du sang de ceux qui périront, et que sa lettre sera lue contre eux devant le tribunal de Jésus-Christ. « Si je retourne à Carthage, ajoute-t-il, je vous >> verrai en cette vie; si je n'y retourne pas, je » vous verrai en l'autre. Priez pour nous, et jeû» nez, parce que le jeûne et l'aumône ont toujours fléchi la miséricorde de Dieu : mais sou>> venez-vous sur-tout qu'il est écrit que nous ne (4) Hist. Franc. l. 2, p. 46.

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» devons pas craindre ceux qui ne peuvent tuer » que le corps (g).

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Saint Eugène fut conduit dans une contrée déserte de la province de Tripoli, et confié à la garde d'Antoine, évêque arien, homme barbare, qui le traita avec la dernière indignité. Il ajoutoit à ses souffrances des austérités volontaires, portoit un rude cilice, couchoit sur la terre nue, et passoit en prières une partie considérable de la nuit. Etant tombé malade, Antoine l'obligeoit à prendre des choses entièrement contraires à sa maladie. Il guérit cependant, par une protection spéciale de Dieu.

Tous les évêques ariens devinrent de cruels persécuteurs. Ils parcouroient les villes et les provinces, laissoient par-tout des traces de leur barbarie, employoient la violence pour rebaptiser les catholiques, et leur faisoient souffrir mille sortes de mauvais traitemens, sans distinction d'âge ou de sexe. Les apostats sur-tout se signaloient par leur inhumanité envers les orthodoxes. Elpidophore, l'un d'entre eux, fut établi juge à Carthage. On conduisit devant lui le diacre Muritta, qui autrefois avoit été présent à la cérémonie de son baptême. Lorsqu'on commençoit à le dépouiller pour le tourmenter, il tira tout à coup l'habit

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(g) Nous avons ap. Ruinart, Hist. persec. Vand., le catalogue de tous les évêques des provinces d'Afrique qui vinrent à la conférence, et qui furent envoyés en exil. Cinquantequatre étoient de la province consulaire, cent ving cinq de Numidie, cent sept de la Byzacène, cent vingt de la Mauritanie césarienne, quarante-quatre de la province de Sitifi, cinq de celle de Tripoli, dix tant de Sardaigne que de différens autres lieux, ce qui fait en tout quatre cent soixantequatre évêques. Quatre-vingt-huit moururent à Carthage de leurs tourmens, vingt-huit recouvrèrent leur liberté par la fuite, quarante-six furent bannis dans l'île de Corse, et trois cent trois dans d'autres lieux.

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