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Un jour qu'il s'entretenoit avec saint Bonaventure, il lui dit : « Mon père, Dieu vous a fait une

cienne fête. Cette messe toutefois est de saint George, et l'on ne fait point mémoire du serviteur de Dieu. Papebroch lui donne cependant le titre de bienheureux, et il se fonde sur les preuves qui constatent la vérité du culte public qu'on lui rendoit anciennement.

De tous les premiers disciples de saint François, il n'y en a point qui ait possédé dans un degré plus éminent l'esprit de charité, d'humilité, de douceur et de simplicité qui le caractérisoit. On connoitra cet esprit par les leçons de piété qu'il donnoit aux autres, et par les maximes admirables qui nous restent de lui. Papebroch en a donné un recueil d'après les manuscrits. Quelques-unes avoient déjà été réimprimées par les soins de Wadding et de plusieurs autres auteurs. Nous n'en citerons qu'un petit nombre.

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Le B. Gilles vivoit toujours du travail de ses mains. L'évêque de Tusculum lui proposa de recevoir de sa table, comme un pauvre, le pain dont il avoit besoin pour se nourrir; mais il lui répondit par ces paroles du Psalmiste: « Vous êtes heuDreux et il vous en arrivera du bien, parce que vous mange»rez le fruit du travail de vos mains. Ps. cxxvI. C'étoit ainsi » que le frère François enseignoit à ses frères d'être exacts » et fidèles à travailler, et de prendre pour salaire, non » de l'argent, mais ce qui étoit nécessaire pour vivre. Papeb. » p. 224.

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Si quelqu'un s'entretenoit avec lui de la gloire de Dieu, le plus tendre objet de son amour ou de son paradis, il étoit ravi en esprit, et restoit comme immobile une grande partie du jour. Les bergers et les enfans qui savoient cela, s'amusoient quelquefois en le voyant, à crier : Paradis, paradis, ce qui le faisoit tomber dans une sorte d'extase. Lorsque les autres religieux conversoient avec lui, ils avoient soin de ne point prononcer ces mots, de crainte qu'il ne lui arrivât quelque ravissement, et qu'ils ne fussent ainsi privés de son entretien. Papeb. p. 226, et Wadding.

On remarquoit toujours sur son visage une sérénité et un air de joie extraordinaire; et quand on lui parloit de Dieu, ses réponses annonçoient la jubilation intérieure de son ame. Un jour, qu'étant sorti de la retraite, il s'étoit rêuni à ses frères, il se mit à chanter avec une ferveur merveilleuse : « Il n'y a point de langue qui soit capable d'expliquer, point > de paroles qui expriment, point d'esprit créé qui puisse comprendre la grandeur des biens que Dieu prépare à ceux qui désirent l'aimer. »

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Le pape Grégoire IX, qui tint sa cour à Pérouse depuis 1234 jusqu'à l'automne de l'année 1236, l'ayant un jour envoyé chercher, commença par le questionner sur son état de

» grande miséricorde, et vous a comblé de beau» coup de grâces; mais nous qui ne sommes que

vie. « Je tâche, répondit le saint homme, de porter avec joie » le joug des commandemens du Seigneur. Vous avez raison, » reprit le pape; mais votre joug est doux et votre fardeau » léger. » A ces mots, le frère Gilles parut un peu distrait, puis étant ravi en esprit, il resta sans parole et sans mouvement jusque bien avant dans la nuit. Grégoire parla de cet événement merveilleux aux cardinaux de sa cour et à plusieurs autres personnes.

Le même pape ayant pressé, dans une autre occasion, le serviteur de Dieu de lui dire quelque chose sur ses propres devoirs, celui-ci s'en excusa long-temps, après quoi il dit : « Vous avez deux yeux, l'un droit et l'autre gauche, qui » sont toujours ouverts. Avec le droit, vous devez contempler les choses qui sont au-dessus de vous, et avec le > gauche, vous devez gouverner celles qui sont au-dessous de vous. »

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Il s'exprimoit de la manière suivante sur l'humilité : » n'est que par l'humilité qu'on peut parvenir à la connoissance de Dieu. Le moyen de monter haut, est de descendre. Comment, lui dit un jour un frère, nous préserverons-nous de l'orgueil ? Si nous considérons, répondit-il, » les bienfaits de Dieu, nous devons nous humilier et cour»ber nos têtes. Nous ferons aussi la même chose si nous je>tons les yeux sur nos péchés. Malheur à celui qui cherche à ⚫ tirer de l'honneur de sa propre confusion et de ses fautes ! » Le premier degré de l'humilité est que nous connoissions » que tout ce qui vient de notre propre fonds est opposé à » notre bien. C'est une branche de cette humilité que de donner aux autres ce qui est à eux, et de ne point nous approprier ce qui leur appartient, c'est-à-dire, que nous devons > attribuer à Dieu tous les biens et tous les avantages dont D nous jouissons, et même la connoissance que nous avons ⚫ que tout le mal qui est en nous vient de notre propre fonds. » Bienheureux est celui qui se regarde devant les hommes comme un vil néant, tel qu'il est aux yeux de Dieu! Bien>> heureux celui qui marche avec fidélité dans l'obéissance à » autrui! Celui qui veut jouir de la paix intérieure, doit regarder chaque homme comme son supérieur, et comme » meilleur et plus grand que lui devant Dieu. Heureux celui qui sait garder et cacher les faveurs de Dieu !..... L'humi»lité ne sait comment parler, et la patience n'ose parler, ⚫ dans la crainte de perdre la couronne promise à ceux qui » souffrent sans se plaindre, et parce qu'elle est fermement ⚫ convaincue que l'homme est toujours traité mieux qu'il ne » mérite... L'humilité bannit tout mal, est ennemie de tout ▸ péché, et sait qu'un homme n'est rien à ses yeux. Par cette

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⚫ des ignorans, comment pouvons-nous corres› pondre à son infinie bonté, et parvenir au sa

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» vertu, on trouve grâce auprès de Dieu, et on a la paix avec » le prochain. C'est aux humbles, et non aux orgueilleux, » que Dieu accorde les trésors de sa grâce. Nous devons toujours nous donner de garde de l'orgueil, de peur qu'il ne » nous renverse et ne nous jette dans le précipice; toujours » craindre et veiller sur nous-mêmes. Comment arrive-t-il qu'un homme qui mérite la mort, et qui est en prison, ne >> tremble pas continuellement ?.... L'homme, de lui-même, » n'est que pauvreté et indigence, et n'est riche que des dons » de Dieu; il doit les aimer ces dons, et se mépriser lui-même. Qu'y a-t-il de plus grand pour lui, que d'être reconnoissant » de ce qu'il doit à Dieu, que de s'humilier et de se pénétrer » de confusion à la vue de ses propres maux? Je voudrois pouvoir étudier cette leçon depuis le commencement jusqu'à la fin du monde. Quelles obligations n'avons-nous pas » à celui qui désire nous délivrer de tout mal, et nous com»muniquer toutes sortes de biens ? »

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Le serviteur de Dieu combattoit la vaine gloire par la comparaison suivante: « Supposons un homme réduit à la » dernière pauvreté, tout couvert de plaies, sans chaus» sure, et n'ayant pour cacher sa nudité, que quelques » haillons en lambeaux ; supposons qu'on s'approche de lui en cet état, qu'on le salue par des paroles honorables, et qu'on lui dise: Nous vous admirons tous, seigneur ; vous êtes prodigieusement riche; personne ne vous égale en » beauté et en bonne mine; rien de plus magnifique que vos » habits. Ne faudroit-il pas que cet homme eût perdu le sens, » pour prendre plaisir à de pareilles louanges, et pour penser qu'il est tel qu'on lui dit, quoiqu'il sache bien qu'il est précisément le contraire ? »

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Il y avoit quelque chose d'admirable dans sa douceur et sa charité. « Nous ne pouvons, disoit-il, prendre le bien du prochain, ni nous l'approprier; mais plus nous nous rẻjouissons du bien d'autrui, plus nous y avons part. Si donc vous voulez participer aux avantages des autres, vous devez vous en réjouir, et vous attrister du mal qui arrive à > "chacun ; voir et connoître vos propres misères, et ne croire » que le bien du prochain; honorer les autres, et vous mépriser vous-même.... Nous prions, nous jeûnons, nous » travaillons; mais nous perdons le mérite de tout cela, si nous ne souffrons les injurés avec patience et avec charité. Puisque nous prenons tant de peine pour acquérir la vertu, pourquoi n'apprenons-nous pas à faire ce qui est si facile ? » Vous devez supporter les fardeaux des autres, parce que vous n'avez point de justes raisons de vous plaindre de qui » que ce soit, méritant vous-même d'être honni et maltraité

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» lut? Si Dieu, répondit le Saint, n'accordoit à » un homme d'autre talent que la grâce de l'aimer,

» de toutes les créatures. Vous voulez éviter les reproches et » la condamnation du monde à venir; comment donc pouvez» vous souhaiter d'être honoré dans celui-ci ? Comment aspi» rer au repos, tandis que vous refusez le travail et la peine? » Tâchez de vaincre vos passions, de vous accoutumer à supporter les épreuves et les humiliations. Il est néces»saire de se vaincre soi-même dans tout ce que l'on fait. Il ▸ vous sert de peu d'attirer les autres Dieu, si vous ne

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» mourez à vous-même. »

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Le serviteur de Dieu s'exprimoit ainsi sur la prière, qui faisoit ses délices et sa principale occupation. « La prière est » le commencement et la consommation de tout bien. Cha» que pécheur doit demander à Dieu qu'il lui fasse connoître ses misères et ses fautes, ainsi que les bienfaits qu'il a reçus » de la miséricorde divine. C'est ne pas connoître Dieu que d'ignorer comment il faut prier. Tous ceux qui veulent être sauvés sont obligés de prier quand ils ont l'usage de » la raison. Une femme, quelque timide et quelque simple qu'on la suppose, se voyant enlever, par l'ordre du roi, son fils coupable d'un grand crime, ne manque point de se frapper la poitrine, et d'implorer la clémence du prince » irrité. Son amour, l'état malheureux et le danger où est » son fils, lui fournissent les expressious les plus touchantes... » Les fruits de la prière sont, 1.o d'éclairer notre esprit ; 2.o de nous fortifier dans la foi et dans l'amour du bien; 3.o de nous apprendre à connoître et à sentir nos misères; 4.o de nous pénétrer de la crainte de Dieu, de nous rendre » humbles et méprisables à nos propres yeux; 5.o de nous » percer le cœur de componction; 6.° de nous fournir une source abondante de larmes pleines de douceur; 7.o de pu> rifier nos ames; 8. de rendre le calme à notre conscience; 9.° de nous apprendre l'obéissance; 10.o de nous faire par» venir à la perfection de cette vertu; 11.o de nous commu»niquer la science des saints; 12.o de rendre notre entendement tout spirituel; 13. de nous donner un courage invincible; 14. de nous faire obtenir la patience; 15. de nous » mériter la véritable sagesse; 16.o de nous rendre partici» pans de la connoissance de Dieu, qui se manifeste à ceux qui l'adorent en esprit et en vérité. De là il arrive que ⚫ l'ame est enflammée d'amour, qu'elle court à l'odeur des parfums célestes, qu'elle est enivrée d'un torrent de délices ⚫ ineffables, qu'elle jouit de la paix intérieure, et qu'elle est portée dans le sein de la gloire immortelle.»

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Voyez la vie du bienheureux Gilles, publiée par le P. Papebrock, t. III, April. ad diem 23.

> cela seul suffiroit et seroit un grand trésor. » Quoi! reprit le frère Gilles, un ignorant, un » idiot peut aimer Dieu d'une manière aussi par» faite que le plus grand docteur? Oui, répliqua » Bonaventure: il y a plus, c'est qu'une bonne » femme peut aimer Dieu plus qu'un célèbre théologien. A ces mots, le frère Gilles, transporté de joie, va dans le jardin; puis, se tenant à la porte qui étoit sur le grand chemin, et du côté de la ville de Rome, il se met à crier : « Venez,

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hommes simples et sans lettres, venez, bonnes » femmes, venez tous aimer Notre-Seigneur. Vous » pouvez l'aimer autant et même plus que le père » Bonaventure et les plus habiles théologiens. » Il tomba ensuite dans une extase qui dura trois heures (6),

En 1265, le pape Clément IV nomma saint Bonaventure à l'archevêché d'Yorck, ne doutant pas que son choix ne fût agréable à toute l'Angleterre. Le Saint n'en eut pas plutôt été informé, qu'il pria Dieu de le délivrer du grand danger auquel il se croyoit exposé; il alla ensuite se jeter aux pieds du pape, et vint à bout, par ses instances et ses larmes, de se faire décharger d'un fardeau qu'il se jugeoit incapable de porter. L'année suivante, il tint à Paris le chapitre général de son ordre. Ce fut dans celui qui se tint à Assise, qu'il régla qu'on réciteroit l'angelus tous les matins, à six heures, pour honorer le mystère de l'incarnation.

Saint Bonaventure contribua beaucoup à l'élection du successeur du pape Clément IV, qui se fit en 1272. Le choix des cardinaux tomba sur Thibaud, archidiacre de Liége, né à Plaisance, et qui étoit pour lors en Palestine. Il prit le nom

(6) Voyez Papebroch, Vit, B. Egid. t. III, April. p. 236.

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