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grégation. Encouragé par ces premiers succès, il porta plus loin ses vues; il voulut que ses frères s'engageassent à servir les pestiférés, les prisonniers, et ceux mêmes qui mouroient dans leurs propres maisons. Leur principal soin étoit de secourir les ames, en suggérant aux malades des actes de religion convenables à l'état où ils se trouvoient. Camille procura aux prêtres de son ordre les meilleurs livres de piété qui traitoient de la pénitence et de la passion de Jésus-Christ, et leur recommanda de se faire, d'après les psaumes, un recueil de ces prières touchantes que l'on appelle jaeulatoires, pour qu'ils s'en servissent dans le besoin. Il leur ordonna d'assister sur-tout les moribonds; de leur faire régler de bonne heure leurs affaires temporelles, afin qu'ils ne s'occupassent plus que de celle de leur salut; de ne point les laisser trop long-temps avec des amis ou des parens qui pourroient les troubler par un excès de tendresse; de les faire entrer dans de vifs sentimens de pénitence, de résignation, de foi, d'espérance et de charité; de leur apprendre à accepter la mort en esprit de sacrifice et en expiation de leurs péchés; de les exhorter à demander miséricorde par les mérites du Sauveur agonisant, à le conjurer de leur appliquer le fruit de cette prière qu'il fit sur la croix, de leur accorder la grâce de lui offrir leur mort en union avec la sienne, et de vouloir bien recevoir leur ame dans le sein de la gloire. Il forma un recueil de prières qu'on devoit réciter pour les personnes qui étoient à l'agonie.

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Il n'y avoit personne qui ne fût charmé d'un établissement qui avoiteu la charité ponr principe. Le projet en paroissoit d'autant plus admirable, qu'il avoit été formé et exécuté par un homme sans lettres et sans crédit. Le pape Sixte V le confirma

en 1586, et ordonna que la nouvelle congrégation seroit gouvernée par un supérieur triennal. Camille fut le premier. On lui donna l'église de SainteMarie-Magdeleine pour son usage et pour celui de ses frères. On l'invita, en 1588, à venir à Naples, afin d'y fonder une maison de son ordre. Il s'y rendit avec douze de ses compagnons, et fit ce qu'on lui demandoit. Ces pieux serviteurs des malades (c'étoient le nom qu'ils prenoient) volèrent au secours des pestiférés qui étoient dans des galères qu'on n'avoit point voulu laisser aborder. Deux d'entre eux moururent victimes de leur charité. Camille montra le même zèle à Rome en deux différentes circonstances où cette ville fut affligée par une maladie contagieuse.

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En 1591, Grégoire XIV érigea la nouvelle congrégation en ordre religieux, et lui accorda tous les priviléges des ordres mendians, sous l'obligation toutefois d'ajouter aux voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, celui de servir les malades, même ceux qui seroient attaqués de la peste. Il leur défendit de passer dans d'autres communautés religieuses, excepté chez les Chartreux. En 1592 et en 1600, Clément VIII confirma le même ordre, et lui accorda de nouveaux priviléges.

Saint Camille ne négligea rien ponr prévenir les abus qui se glissoient jusque dans les lieux consacrés par la charité. Son zèle devint d'autant plus ardent, qu'il découvrit que dans les hôpitaux on enterroit quelquefois des personnes qui n'étoient point mortes (a). Il ordonna à ses religieux de continuer les prières pour les agonisans, quelque temps encore après qu'ils paroîtroient avoir rendu le dernier soupir, et de ne pas permettre qu'on (a) Cicatello en rapporte plusieurs exemples, L. 2, c. 1, P. 446.

leur couvrit le visage sur-le-champ, comme il s'étoit toujours pratiqué (b); mais son attention à

(b) Cette précaution est très-nécessaire par rapport aux personnes noyées, dans les apoplexies et dans toutes les maladies qui ne viennent que d'obstructions, ou qui sont causées par des révolutions subites d'humeurs. Cette observation a été confirmée par divers exemples de personnes que l'on avoit enterrées vivantes, ou qui sont revenues à la vie après qu'on les avoit long-temps crues mortes. On trouve de ces exemples cités dans les écrits de plusieurs savans modernes qui ont paru dans ce siècle, sur-tout en France et en Allemagne. L'expérience montre d'ailleurs, que le cas dont il s'agit a dû arriver fréquemment.

Selon les savans qui ont traité cette matière, la cessation de la respiration et de la circulation du sang ne prouve pas toujours qu'une personne soit morte, cette cessation pouvant être occasionnée pour quelque temps par une obstruction totale dans les mouvemens organiques des esprits et des fluides de tout le corps. Ceci posé, cette obstruction venant à cesser, comme la chose est possible, les fonctions vitales seront rétablies. Il suit que la mort ou la séparation de l'ame d'avec le corps n'a lieu que quand quelque organe ou quelque partie absolument essentielle à la vie est détruite pour toujours. On ne peut être assuré de la mort que lorsqu'on voit évidemment quelque marque de putréfaction commencée.

D'habiles chirurgiens de France ont fait sentir dans des ouvrages solides deux inconvéniens qui résultoient de l'usage où l'on est d'enterrer tant de monde dans les églises : le premier est celui dont nous venons de parler; le second est le danger auquel les vivans sont exposés par la corruption de l'air. Pour prévenir le premier de ces inconvéniens, ils veulent qu'on n'enterre aucun corps, et que l'on n'enveloppe le visage d'aucun mort, avant qu'il n'y ait des preuves certaines de putréfaction. Voyez M. Bruhier, Mémoire présenté au roi sur la nécessité d'un règlement général au sujet des enterremens et embaumemens en 1745, et Dissertation sur l'incertitude des signes de la mort, imprimée en 1749, 2 vol. in-12. Voyez aussi M. Louis, Lettres sur la certitude des signes de la mort contre M. Bruhier, imprimées en 1752, in-12.

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Les Romains gardoient ordinairement huit jours les corps des morts, et les appeloient souvent par leur nom. Il reste en plusieurs lieux quelques traces de cette coutume, d'après l'ancien cérémonial pour l'enterrement des rois et des princes. Servabantur cadavera octo diebus, et calida abluebantur, et post ultimam conclamationem abluebantur. ( Servius in Virgilii Eneid. 1. 8, vers. 218.) On voit par ce passage qu'on lavoit le corps quand il étoit encore chaud, et une seconde fois après la dernière proclamation. Cette cérémonie achevée, on

assister les ames l'emportoit de beaucoup sur celle qu'il avoit à soulager les corps. Il parloit aux malades avec une onction à laquelle il étoit impossible de résister; il leur apprenoit à réparer les défauts de leurs confessions passées, et à entrer dans les dispositions où doivent être des moribonds. Tous ses discours rouloient sur l'amour de Dieu, même dans les conversations ordinaires, et s'il lui arrivoit d'entendre un sermon où il n'en fût point parlé, il disoit que c'étoit un anneau auquel il manquoit un diamant.

Le serviteur de Dieu fut lui-même affligé de diverses infirmités, dont la complication le fit beaucoup souffrir. Ce qui le touchoit le plus, étoit de ne pouvoir servir les malades comme auparavant; du moins il les recommandoit fortement à la charité de ses religieux. Il se traînoit encore de lit en lit pour voir si rien ne leur manquoit, et pour leur suggérer différens actes de vertu. Souvent on l'entendoit répéter ces paroles de saint François : « Le bonheur que j'espère est si grand, » que toutes les peines et toutes les souffrances "deviennent pour moi un sujet de joie. »

Saint Camille n'obligea point ses religieux à réciter le bréviaire, à moins qu'ils ne fussent dans les ordres sacrés; mais il leur étoit enjoint de se confesser, et de communier tous les dimanches

le brûloit ou on l'enterroit. La privation de cette proclamation étoit regardée comme un grand malheur. Corpora nondum conclamata jacent. Lucan. I. 2, vers. 22. Jam defletus et conclamatus es. Apuleius, l. 1, Metam. et l. 11, ibid. Desine, jam conclamatum est. Terent. Eunuch. 2, 3, v. 56. Saint Zénon de Vérone, parlant d'une femme qui se livroit à une douleur immodérée à cause de la mort de son mari, s'exprime ainsi; Cadaver amplectitur conclamatum, 1. 1 tract. 16, p. 126, edit. Veron. Cette cérémonie, puérile en elle-même, devenoit importante, en ce qu'elle servoit à constater publiquement la mort d'une personne.

et toutes les grandes fêtes, de faire chaque jour une heure de méditation, d'entendre la messe, de dire le chapelet et quelques autres prières.

L'humilité du saint fondateur étoit extraordinaire; il se méprisoit lui-même, au point que tous ceux qui le connoissoient, en étoient dans l'étonnement. Ce fut par un effet de cette vertu qu'il se démit du généralat en 1607; il vouloit encore, par cette démission, se donner plus de temps pour servir les pauvres. Il fonda des maisons de son ordre dans plusieurs villes, comme à Bologne, à Milan, à Gênes, à Florence, à Ferrare, à Messine, à Mantoue, etc.; il envoya aussi quelquesuns de ses frères en Hongrie, et dans d'autres lieux qui étoient affligés de la peste. Nole ayant été attaquée de ce fléau en 1600, l'évêque de la ville établit Camille son vicaire-général. Le Saint se dévoua génereusement au service des pestiférés. Ses compagnons imitèrent son exemple. Il y en eut cinq d'entre eux auxquels il en coûta la vie. Dieu récompensa le zèle de son serviteur par l'esprit de prophétie, par le don des miracles, et par plusieurs autres grâces extraordinaires.

Saint Camille assista au cinquième chapitre de son ordre, qui se tint à Rome en 1613; il alla ensuite visiter, avec le nouveau général, les maisons de Lombardie, faisant par-tout des exhortations fort touchantes. Etant à Gênes, il fut extrêmement mal. S'étant trouvé un peu mieux, il s'embarqua pour Civita-Vecchia, d'où il se rendit à Rome. Sa santé se rétablit, et il se vit en état de faire la visite de ses hôpitaux; mais il retomba peu de temps après, et les médecins désespérèrent de sa vic. En ayant été averti, il s'écria: Je me réjouis de ce que l'on m'a dit: Nous irons dans la maison du Seigneur. Il reçut le saint viatique des

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