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le vaisseau qu'il montoit fut bientôt attaqué par trois brigantins d'Afrique. Comme les Chrétiens refusèrent de se rendre, les infidèles les chargerent avec furie, leur tuèrent trois hommes, et blessèrent tout le reste de l'équipage. Vincent recut un coup de flèche dont il se sentoit encore plusieurs années après. La première chose que firent les Mahométans, lorsqu'ils eurent remporté l'avantage, fut de mettre le pilote en pièces, pour se venger de ce qu'il ne s'étoit pas rendu d'abord, et de ce que, dans le combat, il avoit tué un des principaux d'entre eux avec quatre ou cinq esclaves. Ils enchaînèrent les autres prisonniers, et coururent encore la mer sept à huit jours. Enfin, chargés de butin, ils firent voile du côté de Tunis. A peine y eurent-ils abordé, qu'ils dressèrent un procès-verbal de leur prise, où ils déclaroient faussement que Vincent et ses compagnons avoient été enlevés sur un vaisseau espagnol. Le but qu'ils se proposoient en cela étoit d'empêcher le consul français de revendiquer leurs prisonniers. Ayant habillé les Chrétiens en esclaves, ils les promenèrent cinq ou six fois dans la ville pour les faire voir; ils les ramenèrent ensuite à leur vaisseau, où ils furent visités par ceux qui se présentoient pour les acheter. On les examinoit, afin de s'assurer s'ils mangeoient bien; on leur tâtoit les côtes, on leur regardoit les dents, on sondoit leurs plaies, après quoi on les faisoit marcher et courir pour connoître s'ils étoient forts et robustes. En un mot, on les traitoit comme des bêtes de charge.

Vincent fut acheté par un pêcheur; mais celuici voyant que son esclave ne pouvoit supporter l'air de la mer, il le revendit à un vieux médecin, grand chimiste et grand distillateur, qui cherchoit

depuis cinquante ans la pierre philosophale. Il traita Vincent avec beaucoup d'humanité; il lui promit, s'il vouloit changer de religion, de lui laisser tous ses biens, et ce qu'il estimoit infiniment plus, de lui communiquer tous les secrets de sa prétendue science. Le Saint, qui craignoit plus le danger que couroit son ame que les rigueurs de l'esclavage, implora le secours du ciel par l'intercession de la bienheureuse Vierge, et il se crut toujours principalement redevable à la mère de Dieu du bonheur qu'il avoit eu d'échapper à la tentation. Une année environ se passa de la sorte. Le médecin étant mort, laissa pour héritier un neveu, qui fut le troisième maître de Vincent. Celui-ci, plein de confiance en la bonté divine, jouissoit dans la captivité d'une paix inaltérable. Il apprenoit, en méditant souvent sur la passion du Sauveur, à faire un bon usage de ses peines, et à acquérir, autant qu'il lui étoit possible, une parfaite ressemblance avec Jésus-Christ.

Peu de temps après, son nouveau maître le vendit à un renégat, originaire de Nice, en Savoie, qui l'envoya dans son témat: c'est le nom que l'on donne au bien que l'on fait valoir comme fermier du prince. Ce temat étoit situé sur une montagne, dans un lieu extrêmement chaud et désert. Le renégat avoit trois femmes. Une d'entre. elles, qui étoit turque de naissance et de religion, alloit souvent à la campagne où Vincent travailloit; elle lui faisoit diverses questions sur la loi, les usages et les cérémonies religieuses des Chrétiens; elle lui commandoit quelquefois de chanter les louanges du Dieu qu'il adoroit. Le Saint avoit coutume de chanter le psaume Super flumina Babylonis, le Salve Regina, et d'autres semblables prières de l'église; ce qu'il faisoit avec

beaucoup d'onction, et toujours les larmes aux yeux. La femme mahométane fut extrêmement frappée de ce qu'elle avoit appris du christianisme, ainsi que de la conduite vertueuse de son esclave. Elle fit des reproches à son mari de ce qu'il avoit abandonné une religion qui paroissoit si bonne, et l'amena au point qu'il sentit son crime, et rentra en lui-même. Malheureuse de n'avoir point elle-même ouvert les yeux à la lumière !

Le renégat, confus, ne put rien répondre à sa femme. Plein d'horreur pour son crime, il eut un entretien avec Vincent, et ils convinrent tous deux de se sauver. Ils montèrent sur une petite barque, et traversèrent la Méditerranée, sans penser que le moindre coup de vent pouvoit les faire périr. Enfin, le 28 Juin 1607, ils abordèrent à Aigues-Mortes, d'où ils se rendirent à Avignon. Le renégat y fit abjuration entre les mains du vice-légat. L'année snivante, il accompagna le saint à Rome, où il entra, pour faire pénitence, dans le couvent des Fate-Ben-Fratelli, qui servoient les malades dans les hopitaux, suivant la règle de saint Jean-de-Dieu.

Vincent étant à Rome, ressentit une grande consolation à la vue d'une ville où residoit le chef de l'églige militante, qui avoit été arrosée du sang de tant de martyrs, et dans l'enceinte de laquelle sont les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul, ainsi que ceux d'une multitude innombrable d'autres saints. Il ne pouvoit retenir ses larmes quand il se rappeloit le zèle, le courage, l'humilité, et les autres vertus qui avoient éclaté dans tous ces dignes disciples de Jésus-Christ. Souvent il visitoit les lieux où reposoient leurs cendres sacrées,

et demandoit à Dieu la grâce de marcher fidellement sur leurs traces.

Lorsqu'il eut satisfait sa dévotion à Rome, il partit pour la France. Arrivé à Paris, il se logea au faubourg Saint-Germain, dans le voisinage du lieu où est l'hôpital de la Charité, et il y alloit souvent servir et consoler les malades. Quelque soin qu'il prît de cacher ses vertus, plusieurs personnes les découvrirent. On le fit connoître à la reine Marguerite qui faisoit alors profession de piété (a). Cette princesse voulut le voir; elle le mit sur l'état de sa maison, et lui donna le titre de son aumônier ordinaire.

Il y avoit à la cour de cette princesse un docteur qui avoit toujours montré beaucoup de zèle pour la religion, et qui s'étoit rendu redoutable aux hérétiques et aux impies; mais Dieu, soit pour l'éprouver, soit pour le punir de quelques fautes, permit qu'il fût attaqué de tentations violentes contre la foi. Les moyens qu'il employa, ou qui lui furent suggérés pour dissiper le trouble qui l'agitoit, ne produisirent aucun effet, ils ne servirent même qu'à augmenter encore la tentation. Ses peines devinrent telles, qu'il tomba dans le désespoir, et qu'on craignit plus d'une fois qu'il ne s'ôtât lui-même la vie. Enfin la nature succomba, et il fut attaqué d'une maladie dangereuse. Vincent, touché de son état, sollicita en sa faveur la miséricorde divine; il s'offrit même au Seigneur en esprit de victime, et se chargea, pour dédommager sa justice, ou de subir une semblable épreuve ou telle autre peine qu'il plairoit à Dieu de lui infliger. Sa prière fut exaucée

(a) Le mariage de Marguerite de Valois avec Henri IV fut déclaré nul à Paris le 17 Décembre 1599. Elle mourut le 27 Mars 1617.

dans toute son étendue : le docteur recouvra le calme, et fut entièrement délivré de la tentation; mais cette tentation resta à Vincent de Paul. Celui-ci eut recours, pour s'en délivrer, à la prière et aux pratiques de la mortification. En vain le démon redoubloit ses efforts, il ne perdoit point courage, et mettoit toujours en Dieu sa confiance. Il écrivit sa profession de foi, et l'appliqua sur son cœur; puis faisant un désaveu général de toutes les pensées d'infidélité, il convint avec Notre-Seigneur, que toutes les fois qu'il toucheroit l'endroit où étoit cette profession de foi, il seroit censé la renouveler, et par conséquent renoncer à la tentation, quoiqu'il ne proférât aucune parole extérieure: par-là il rendoit inutiles les assauts de l'ennemi. Cependant il s'appliquoit de plus en plus à mener cette vie de foi qui fait le caractère du juste. Quatre ans se passèrent de la sorte. Enfin un jour que, fatigué de la violence de son mal, il s'occupoit des moyens de l'arrêter pour toujours, il résolut de se consacrer au service des pauvres pour suivre plus parfaitement l'exemple que nous a laissé le Fils de Dieu. A peine eut-il formé cette résolution, que toutes ses peines s'évanouirent, la paix qu'il goûta depuis fut suivie des plus abondantes consolations; il reçut même le don de guérir dans la suite ceux que Dieu éprouvoit de la même manière.

Vincent demeuroit dans la même maison qu'un juge du village de Sore, situé dans les Landes, et dans le district du parlement de Bordeaux. Celuici étant sorti sans avoir pris les précautions nécessaires, trouva à son retour qu'on lui avoit volé quatre cents écus. Il accusa Vincent du vol, et se mit à le décrier parmi toutes ses connoissances el tous ses amis. Le Saint se contenta de nier le

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