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au tombeau. Lorsque l'état de cette religieuse paroissoit entièrement désespéré, M. Manguet, évêque de Soissons, lui appliqua une relique de saint Vincent, et elle fut parfaitement guérie. François Richer, parisien, recouvra la santé d'une manière qui ne tenoit pas moins du prodige. Une troisième guérison miraculeuse par laquelle nous finirons ce détail, s'opéra sur une Anglaise paralytique, nommée Louise-Elizabeth Sackville, et fut la suite d'une neuvaine faite au Saint. La vérité de ce miracle fut attestée par madame Hayes, protestante, chez laquelle demeuroit mademoiselle Sackville. Celle-ci entra depuis chez les religieuses du Saint Sacrement à Paris, où elle mourut en 1742, cinqans après la canonisation de saint Vincent de Paul par le pape Clément XII.

Ce Saint ne pouvoit travailler plus utilement pour le service du prochain, qu'en réveillant les Chrétiens de cette léthargie où la plupart étoient plongés. Il leur représentoit vivement l'indignité de leur conduite, et leur montroit, comme un autre Jean-Baptiste, l'obligation où ils étoient de faire de dignes fruits de pénitence. En effet, on ne peut avoir part aux faveurs célestes, quand on est comme indécis entre la vertu et le vice, quand on suit tantôt l'une et tantôt l'autre, que l'on est, en un mot, tour à tour païen et chrétien. Mais que penser de ceux qui vivent habituellement dans le crime, et qui ne craignent point le danger de leur état? Faut-il que l'on voie si souvent les passions produire dans les hommes l'extravagance, l'aveuglement, et même l'incrédulité? A quel excès ne se portent pas, je ne dis pas seulement les hommes ordinaires, mais même les plus beaux génies, lorsqu'ils sont abandonnés de Dieu, ou plutôt lorsqu'ils ont aban

donné Dieu, et fermé les yeux à cette lumière qui éclaire tous ceux qui viennent au monde ! Pour peu que nous aimions Dieu et le prochain, pourrons-nous refuser nos larmes et nos prières aux pécheurs plongés dans l'aveuglement funeste dont il est ici question?

S. ARSÈNE, ANACHORÈTE EN ÉGYPTE.

Tiré de ses deux vies, l'une par saint Théodore Studite, et l'autre publiée par Métaphraste; des vies des Pères du désert, données par Rosweide et d'Andilly, et comparées avec un ancien manuscrit qui est fort beau, et qui paroît venir de saint Emund's-bury; des apophtegmes des Pères, imprimés dans les Monumenta ecclesiæ græca de Cotelier. Voyez les Bollandistes, t. IV, Julii, p. 605, et le P. Marin, Vies des Pères des déserts d'Orient, t. III, p. 284 ad p. 339.

Vers l'an 449.

ARSENE, romain de naissance, sortoit d'une famille alliée à celle de plusieurs sénateurs. Il fut élevé avec soin, et se montra, dès sa jeunesse, plein d'ardeur pour la pratique de la vertu. Il acquit une grande connoissance des auteurs grecs et latins, et se rendit ainsi fort habile dans celle de l'écriture sainte. Ayant embrassé l'état ecclésiastique, il fut ordonné diacre. Il avoit une sœur avec laquelle il menoit à Rome une vie retirée.

L'empereur Théodose-le-Grand cherchoit avec soin une personne à laquelle il pût confier l'éducation de ses enfans; il s'adressa à l'empereur Gratien, et le pria de consulter l'évêque de Rome sur le choix qu'il vouloit faire. Celui-ci parla d'Arsène de manière à faire connoître qu'il avoit toutes les qualités que demandoit Théodose. Gratien l'envoya donc à Constantinople. L'empereur le reçut avec de grandes marques de distinction, l'éleva à la dignité de sénateur, et ordonna qu'il

fût respecté comme le père de ses enfans, dont il le nommoit tuteur et précepteur. Il voulut qu'il eût un train magnifique, et il attacha à son service cent domestiques qui étoient tous richement habillés.

Etant un jour allé voir les princes pendant leur étude, il les trouva assis, tandis qu'Arsène étoit debout en leur parlant. Non-seulement il en fut fâché, mais il dépouilla ses enfans pour quelque temps des marques de leur dignité, et ordonna que durant leurs leçons ils fussent debout, et Ar

sène assis.

Arsène avoit eu toujours une forte inclination pour la retraite, et cette inclination, il la sentoit augmenter de jour en jour à cause des embarras et des distractions attachées à sa place. Les titres et les honneurs étoient pour lui un fardeau insupportable. Enfin il trouva vers l'an 390 une occasion de rompre les chaînes qui le retetoient à la cour. Arcade, l'un des enfans de l'empereur, ayant commis une faute considérable, il l'en punit sévèrement. Le jeune prince en fut vivement piqué, et n'en devint que plus opiniâtre. Arsène saisit cette occasion d'exécuter le projet qu'il avoit formé depuis long-temps d'abandonner le monde (a). Un jour que, suivant sa coutume, il prioit Dieu de lui faire connoître sa volonté, il entendit une voix qui lui disoit : « Ar» sène, fuis la compagnie des hommes, et tu

(a) Cette circonstance du ressentiment d'Arcade n'est rapportée que par Métaphraste; il n'en est parlé ni dans les vies des Pères du désert, ni dans Rosweide, ni dans Cotelier : c'est pour cela que Tillemont et d'autres auteurs n'en ont fait aucune mention. Quoi qu'il en soit, tout le monde convient que saint Arsène étoit plein de mépris pour le monde, et qu'il désiroit depuis long-temps de pouvoir mener dans la retraite une vie inconnue aux hommes.

» seras sauvé. » Il suivit sans délai la vocation du ciel, s'embarqua sur un vaisseau qui faisoit voile pour Alexandrie, d'où il se rendit dans le désert de Scété pour y vivre en anachorète. Ceci arriva vers l'an 394. Arsène avoit alors quarante ans, et il en avoit passé onze à la cour de Constantinople.

Comme il ne cherchoit qu'à plaire à Dieu en toutes choses, il redoubla de ferveur dans ses prières, afin de connoître encore plus parfaitement ce que le Seigneur demandoit de lui. Un jour qu'il prioit, il entendit une voix qui lui disoit de nouveau : « Arsène, fuis, garde le silence, et » sois en paix ; c'est là le fondement du salut (1). » C'est-à-dire, ce sont là les principales choses qu'il faut faire pour être sauvé. En conséquence d'un tel avertissement répété par deux fois, il se retira dans une cellule fort écartée, pour n'être point dans le cas de recevoir des visites; il ne voyoit même que rarement ses propres frères. Lorsqu'il alloit à l'église, éloignée du lieu de sa demeure d'environ trente milles, il se mettoit derrière un pilier pour ne voir personne, et pour n'être vu de qui que ce fût.

Cependant Théodose, affligé de la fuite d'Arsène, fit faire les plus exactes perquisitions sur terre et sur mer pour découvrir où il s'étoit caché; mais il fut bientôt après obligé de passer en Occident pour venger la mort de Valentinien II, et pour étouffer la révolte à la tête de laquelle étoient Eugène et Arbogaste. Il mourut d'hydropisie à Milan, en 395, et laissa l'empire d'Orient à son fils Arcade. Ce prince donna la place de premier ministre à Rufin, qui étoit préfet du prétoire, et

(1) Fuge, tace, quiesce; hæc sunt principia salutis. Rosweide, Cotelier et saint Théod. Stud. e. 1, n. 7.

qui l'avoit bassement flatté lorsqu'il étoit son gouverneur. Il n'oublia pas non plus Arsène; il résolut de le rappeler à la cour, afin de se conduire par ses sages conseils. Ayant appris qu'il étoit dans le désert de Scété, il lui écrivit pour se recommander à ses prières; il lui abandonnoit encore, par sa lettre, la disposition des tributs de l'Egypte, pour qu'il s'en servit à pourvoir aux besoins des monastères, et à soulager les pauvres de la manière qu'il jugeroit la plus convenable : mais le Saint, qui préféroit à tout l'avantage de vivre dans la solitude, où il pouvoit, sans distraction, gémir sur ses péchés, et préparer son ame au passage de l'éternité, se contenta de répondre de vive voix à l'envoyé de l'empereur : « Je prie » Dieu qu'il nous pardonne à tous nos péchés. » Quant à la distribution de l'argent, je ne suis » point capable d'un tel emploi, étant déjà mort » au monde. »

Ce qui lui arriva à son entrée dans le désert, mérite d'être rapporté pour l'édification du lecteur. Lorsqu'il se présenta pour la première fois aux anciens ou supérieurs des moines de Scété, et qu'il les pria de lui permettre de servir Dieu sous leur conduite, ils le remirent entre les mains de saint Jean, surnommé le Nain. Celui-ci s'assit sur le soir avec les frères, pour prendre un peu de nourriture. Pour Arsène, il le laissa debout au milieu de l'assemblée, sans faire attention à lui. C'étoit une épreuve bien délicate pour un courtisan; mais elle fut suivie d'une seconde qui étoit beaucoup plus rude. Au milieu du repas, saint Jean prend un morceau de pain qu'il jette à terre devant Arsène, en lui disant, avec un air d'indifférence, qu'il peut manger s'il en a envie. Arsène se couche par terre, et mange en cette posture.

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