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Saint Jean, charmé et édifié de sa conduite, n'exigea point d'autre épreuve avant de l'admettre. « Allez, dit-il aux frères, retournez dans vos » cellules avec la bénédiction du Seigneur. Priez » pour nous cet homme est propre pour la vie » religieuse. »

Arsène se distingua au-dessus des autres, anachorètes par son humilité et sa ferveur. Dans les commencemens il se permettoit, sans toutefois y penser, certaines choses auxquelles il étoit accoutumé dans le monde, et qui, quoique innocentes en elles-mêmes, sembloient annoncer un peu de légèreté et d'immortification. Telle étoit l'habitude d'avoir les jambes croisées. Les anciens, qui le respectoient singulièrement, ne voulurent point l'en avertir dans une assemblée publique où les frères étoient venus pour assister à la conférence; mais l'abbé Pémen ou Pastor se servit de ce stratagême. Il convint avec un moine qu'il se tiendroit dans la même posture, et qu'il l'en reprendroit comme d'une chose contraire à la modestie religieuse; ce qui fut fait. Le moine écouta la réprimande en silence, sans rien dire pour s'excuser. Arsène vit bien que c'étoit un avertissement indirect qu'on lui donnoit; il veilla sur lui-même, et se corrigea.

De tous les moines de Scété, il n'y en avoit point qui fût vêtu plus pauvrement que lui: il vouloit par-la se punir de cette magnificence extérieure avec laquelle il avoit autrefois vécu à la cour. Les jours ordinaires, il s'occupoit à faire des nattes de palmier, et il avoit toujours un mouchoir dans son sein pour essuyer les larmes qui tomboient continuellement de ses yeux. Jamais il ne changeoit l'eau où il mettoit tremper ses feuilles de palmier, quoiqu'elle fût corrom

pue, et qu'elle répandit une odeur infecte; il se contentoit d'en verser de nouvelle par-dessus. Quelqu'un lui en ayant demandé la raison, il répondit: « Je dois, par cette mauvaise odeur, me >> punir de la sensualité qui m'a porté à user de » parfums quand j'étois dans le monde. » Afin d'expier ce qu'il appeloit son ancien goût pour les superfluités, il se réduisit à la pauvreté la plus universelle: en sorte que dans une fièvre violente, il fut obligé de recevoir par aumône quelques petits secours dont il avoit besoin. Il remercia Dieu de l'avoir jugé digne d'être assisté en son nom par la charité des fidèles. Sa maladie fut longue, et le prêtre du désert le fit porter dans son logement qui étoit auprès de l'église. On le coucha sur un petit lit fait de peaux de bêtes, et on lui mit un oreiller sous la tête. Un des moines l'étant venu voir, se scandalisa de le trouver ainsi couché, et demanda si c'étoit là l'abbé Arsène. Le prêtre le tira en particulier, et le questionna sur la profession qu'il exerçoit au village avant d'être moine. « J'étois berger, ré» pondit-il, et j'avois beaucoup de peine à vivre. Voyez-vous l'abbé Arsène, reprit le prêtre ? » étant dans le monde, il étoit le père des em» pereurs. Il avoit à sa suite cent esclaves habillés » de soie, et ornés de bracelets et de ceintures » d'or; il étoit mollement couché sur des lits ma» gnifiques. Pour vous, qui étiez berger, vous » vous trouviez dans le monde plus mal à votre » aise qu'ici. » Le bon moine, touché de ces paroles, se prosterna en disant : « Pardonnez-moi, » mon père, j'ai péché; je reconnois qu'Arsène » est dans la vraie voie de l'humiliation. » Il se retira ensuite extrêmement édifié.

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Un des officiers de l'empereur apporta un jour

à Arsène le testament d'un sénateur de ses parens, qui, avant que de mourir, l'avoit institué son héritier. Le Saint prit le testament et alloit le déchirer, si l'officier ne se fût jeté à ses pieds pour le prier de ne le pas faire, vu que sans cela il seroit exposé au danger de perdre la vie. Arsène ne le déchira donc point; mais il refusa d'accepter le bien qui lui avoit été légué. « Je » suis mort, dit-il, avant mon parent; je ne puis » conséquemment être son héritier. »

Quoiqu'on n'ait pas une connoissance parfaite de ses jeûnes, on ne peut douter qu'ils ne fussent extraordinaires. En effet, on ne lui envoyoit pour une année que la mesure de blé appelée thallin par les Egyptiens (b). Non-seulement elle lui suffisoit pour vivre, mais il en faisoit encore part à ses disciples quand ils venoient le visiter. Si on lui apportoit quelque fruit nouveau, il en goûtoit, et en rendoit grâces à Dieu; il n'en mangeoit qu'autant qu'il falloit pour éviter le reproche de singularité. Avec une grande abstinence, un sommeil très-court suffit à la nature. C'est ce qui faisoit qu'Arsène passoit souvent toute la nuit en oraison. Lorsque ses forces étoient épuisées, il dormoit quelque temps assis, après quoi il reprenoit ses exercices. Nous apprenons de Daniel, l'un de ses disciples, que les samedis au soir il commençoit au coucher du soleil à prier, les mains élevées au ciel, et qu'il ne cessoit sa prière que le lendemain matin, lorsque les rayons du soleil venoient lui donner dans le visage. C'étoit son amour pour ce saint exercice, ainsi que la

(b) Le thallin étoit une petite mesure faite de feuilles de palmier dont on se servoit pour les végétaux. Voyez Cotelier Monum. gr. t. III, p. 748, et Ducange, dans son glossaire

grec, au mot ταλλιν.

S. ARSÈNE. ( 19 Juillet. crainte du danger de la vaine gloire, qui lui ins351 } piroient tant d'ardeur pour la retraite. Il avoit deux disciples qui vivoient auprès de lui, et qui étoient chargés de toutes les affaires du dehors: l'un se nommoit Alexandre, et l'autre Zoïle. Il en reçut depuis un troisième nommé Daniel. Tous devinrent célèbres par leur sainteté et leur prudence. Il est souvent parlé d'eux dans les vies des Pères des déserts d'Egypte,

Arsène consentoit difficilement à voir les étrangers qui venoient le visiter, ne voulant, disoitil, se servir de ses yeux que pour contempler le ciel. Théophile, patriarche d'Alexandrie, s'étant un jour rendu à sa cellule avec un officier et quelques autres personnes, il le pria de les entretenir sur des choses relatives au salut. Il leur demanda à tous s'ils étoient résolus de faire ce qu'il leur diroit : et comme ils répondirent affirmativement, il ajouta : « Eh bien, je vous prie, en

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quelque lieu que vous appreniez que je demeure, » de m'y laisser tranquille, et de vous épargner » à vous-même la peine de me venir trouver.» Le patriarche Theophile lui ayant envoyé demander une autre fois s'il lui ouvriroit sa porte en cas qu'il vînt le voir: « Oui, répondit-il, s'il vient »seul; mais s'il amène quelques personnes avec » lui, je ne resterai plus ici, et je me retirerai > ailleurs. >>

Une dame romaine, nommée Mélanie, avoit fait le voyage d'Egypte uniquement pour voir Arsène, et par le moyen de Théophile, elle le joignit lorsqu'il sortoit de sa cellule. Elle ne l'eut pas plutôt aperçu, qu'elle se prosterna à ses pieds. Le serviteur de Dieu lui dit : « Une femme » ne doit point quitter sa maison. Vous avez tra» versé de vastes mers pour pouvoir dire à Rome

yeux,

et

par

exciter pour » que vous avez vu Arsène, » là dans les autres la curiosité d'en faire autant.» Mélanie toujours prosternée, et n'osant lever les le conjura de se souvenir d'elle, et de prier pour sa sanctification. « Je prie Dieu, répliqua »le Saint, de ne me souvenir jamais de vous. » Mélanie, fort affligée de cette réponse, retourna à Alexandrie; mais le patriarche la consola, en lui expliquant les dernières paroles d'Arsène. » Il » prie, lui dit-il, d'oublier votre personne, parce » que vous êtes une femme; quant à votre ame, > ne doutez pas qu'il ne la recommande forte»ment à Dieu. »

Jamais Arsène ne visitoit ses frères; il se contentoit de se trouver avec eux aux conférences spirituelles. L'abbé Marc lui ayant un jour demandé, au nom de tous les ermites, pourquoi il évitoit ainsi leur compagnie, il répondit : « Dieu » sait combien je vous aime tous; mais je sens » que je ne puis tout à la fois être avec Dieu et › avec les hommes; il ne m'est donc pas permis » de quitter l'un pour converser avec les autres. » Cela ne l'empêchoit pourtant pas de donner quelques leçons de vertu à ses frères, et nous avons encore plusieurs de ses apophtegmes parmi ceux des anciens Pères. On lui entendoit dire souvent:, « Je me suis toujours un peu repenti d'avoir con» versé avec les hommes, et jamais d'avoir gardé » le silence. » Il avoit fréquemment à la bouche ces paroles que saint Euthyme et saint Bernard se répétoient depuis à eux-mêmes pour s'exciter à la ferveur: «Arsène, pourquoi as-tu quitté le » monde, et pourquoi es-tu venu ici? » Comme on lui demandoit un jour pourquoi, étant si versé dans les sciences, il recherchoit les avis et les instructions d'un moine qui n'avoit aucune tein

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